#JeSuisCharlie  : les ressorts psychologiques du fanatisme

Par Catherine Remoussenard-Pourquier  |   |  842  mots
La peur est au coeur du processus conduisant au fanatisme de ceux qui ont assassiné les salariés de Charle Hebdo. Développer la conscience de l'autre, la fraternité, devrait faire partie de l'éducation par Catherine Remoussenard-Pourquier, enseignant-chercheur en management des émotions, Groupe ESC Dijon-Bourgogne

L'attentat perpétré contre Charlie Hebdo montre à quel point la peur de la différence peut conduire à des comportements inhumains. Pourquoi avons-nous peur ? Qu'est-ce qui pousse une personne à rejeter l'autre parce qu'il ou elle est différent ?

 La peur : une émotion, une réaction physiologique et un système de croyance

 La peur est une émotion primaire qui a sa source dans une réaction face à un danger. A l'origine la peur est un mécanisme de défense, lié à notre programme biologique. La peur nous protège en nous donnant une réponse physiologique pour notre survie et plus généralement la survie de l'espèce.

Ce mécanisme de la peur, en grande partie assuré par les glandes surrénales, est donc initialement là pour nous protéger. Comment expliquer alors que ce que la nature a prévu pour protéger la vie puisse devenir un moteur pour l'enlever aux autres ?

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, la peur est mise en action par notre zone du cerveau la plus primitive qui ne distingue pas le danger réel du danger imaginaire. Ensuite, « ce ne sont pas les évènements eux-mêmes qui engendrent l'émotion, mais des évaluations et interprétations de ces évènements qui interviennent entre la stimulation environnementale et les réponses physiologiques et comportementales » (Lazarus). En clair, c'est notre système de croyance qui crée notre réalité émotionnelle.

 Le fanatisme et la déformation du réel

 On peut dès lors s'interroger sur la mécanique mise en œuvre dans l'acte fanatique, « qui se croit inspiré de la divinité, de l'esprit divin » (Robert). La peur semble bien au cœur du processus, peur et rejet de tout ce qui n'est pas conforme à l'objet vénéré.

La peur ne correspond pas ici à un danger réel, mais à un danger imaginaire. C'est en effet tout un système de croyances qui verrouille le processus cognitif et rationnel de la personne fanatique.

Les études sur le cerveau humain ont montré le rôle déterminant du cerveau reptilien dans l'anxiété et la peur (Damasio). Cette partie du cerveau fonctionne dans la réactivité mais n'est pas à elle seule capable d'affiner l'information de danger afin de l'analyser sous l'angle cognitif. Elle a en effet besoin du cerveau limbique et du néocortex.

Le fanatique se crée un monde dans lequel il faut combattre des ennemis (en tout cas supposés), même au prix de sa vie. Le fanatisme est une déformation mentale qui embrume l'esprit et la clairvoyance. La personne fanatique, enfermée dans ses conditionnements et ses préjugés, reste à un niveau frustre de conscience émotionnelle.

 Développer la conscience émotionnelle et le respect de l'autre

 En réaction à ce type d'événements dramatiques, il ne faut surtout pas répondre avec le même type de mécanisme. C'est à dire tomber à son tour dans la spirale de la peur et de la méfiance à l'égard de l'autre. Au contraire il est essentiel de garder l'esprit clair.

Une première solution se situe au niveau individuel en étant capable de trouver en soi le calme et la raison nécessaire pour faire la part des choses entre le danger réel et le danger imaginaire. Ce qui peut nous aider, c'est de choisir en conscience d'alimenter en chacun de nous des valeurs et des émotions positives et constructives. En cela il est primordial de développer une bonne intelligence émotionnelle, discipline qui, cela est bien dommage, ne s'enseigne pas à l'école comme la lecture ou l'arithmétique.

 Ceci est bien entendu tout aussi valable au niveau collectif avec un effet démultiplicateur. Il s'agit de choisir des valeurs de solidarité, d'entraide, de respect de soi même et des autres. Le mouvement collectif « Je Suis Charlie » est dans cette mouvance, il met de l'humain là où, par un acte odieux, il a complètement disparu. C'est un reflexe sain qui montre que l'humanité existe et qu'elle est prête à renaître de ses cendres.

 Choisir la fraternité

 La devise de la République est Liberté - Egalité - Fraternité. La liberté est un combat de tous les instants. L'égalité est un idéal à atteindre qui se heurte au réel. Reste la fraternité. Elle suppose un engagement mais n'exige rien d'autre que la bonne volonté. Elle est un premier pas vers l'autre en dépit des différences.

 Et sur ce point le civisme est rejoint par la science puisque les chercheurs ont découverts des neurones miroirs qui nous permettent de ressentir ce qu'éprouve l'autre. Ainsi ces neurones de l'empathie peuvent être des neurones de la peur si nous faisons écho à la peur de l'autre.

 Ou bien alors des neurones de la fraternité si nous savons reconnaitre nos peurs pour les dépasser et aller à la rencontre de la différence. C'est là qu'est la conscience émotionnelle. À nous de choisir.

Catherine Remoussenard-Pourquier, enseignant-chercheur en management des émotions, Groupe ESC Dijon-Bourgogne