La Suisse déclare la guerre !

Par Michel Santi  |   |  1048  mots
La Banque nationale suisse est critiquée pour sa décision d'abandonner le cours plancher du franc suisse. Mais elle ne pouvait continuer d'accumuler des euros. Et il faut souligner l'innovation de taux d'intérêt négatifs, qui contraint le capitalisme à une inversion complète de ses valeurs

Les limites des pouvoirs d'une banque centrale? Une Banque Nationale Suisse (BNS) ayant perdu sa crédibilité? Toujours est-il que la suppression du cours plancher de 1.20 sur la parité euro/franc suisse, ayant propulsé la monnaie helvétique de 40% contre l'euro et de 15% vis-à-vis de 150 autres devises mondiales, a semé la terreur parmi les spéculateurs. Des 25 millions provisionnés chez Swissquote, aux 150 millions perdus par Deutsche Bank, en passant par Global Brokers en Nouvelle Zélande contraints de fermer boutique.

Ou encore FXCM - ayant bénéficié d'un volume record de 1.4 trillions de dollars de transaction changes au trimestre dernier - et qui a subi en fin de semaine dernière une perte de 225 millions de dollars et vu son action en bourse s'effondrer de 85%. Autant de victimes collatérales de cette BNS ayant désormais décidé de faire chèrement payer les spéculateurs et les investisseurs - en mal de « valeurs refuges » - qui étouffaient littéralement la banque centrale. Au gré de ses interventions répétitives visant à enrayer l'appréciation de sa monnaie, n'avait-elle pas gonflé son bilan qui atteint désormais près de 85% du P.I.B. helvétique ?

Les taux négatifs, un signal fort

Cette spéculation effrénée, cette ruée irrationnelle vers sa monnaie contraignaient donc la banque centrale, du fait de ses ventes massives de francs suisses et de ses achats d'euros, à s'approprier des actifs étrangers considérés comme moins sûrs et moins fiables que ceux de son propre pays. Dans un monde coutumier des taux d'intérêt positifs, où le débiteur rémunère le créancier pour avoir mis ses liquidités à sa disposition, les taux négatifs instaurés par la BNS, susceptibles de descendre jusqu'à - 2% dans un avenir très proche, sont un signal très fort envoyé par les autorités helvétiques au reste du monde.

« Vous paierez désormais le prix de cette sécurité que l'on vous assure ». Dans ce nouveau contexte international de taux négatifs substantiels mis en place par une banque centrale pionnère, c'est le prêteur qui doit donc dorénavant payer l'emprunteur pour bien vouloir lui conserver ses avoirs. Il est temps que la Suisse se fasse enfin rémunérer pour offrir un îlot de quiétude et de stabilité dans un monde dangereux, tant financièrement que politiquement. Et elle ne s'arrêtera pas là!

Une ruée sur les billets...

Comme je l'ai souvent dit et écrit, seule la disparition des espèces autorise les taux négatifs instaurés par une banque centrale de dérouler leurs effets optimaux. En présence de taux d'intérêt négatifs - c'est-à-dire d'une taxe prélevée sur les comptes bancaires - nul n'empêche en effet les investisseurs et spéculateurs, voire le citoyen de base, de se reporter sur les billets de banque ou « monnaie fiduciaire » payant un intérêt de 0%. A moins que la banque centrale ne fasse disparaître le cash ou, prochaine mesure qu'adoptera immanquablement la BNS, qu'elle ne taxe les espèces en circulation. Dans un contexte où la masse des billets de 1000 francs suisses a doublé en 10 ans et où elle représente - pour des motifs évidents - un tiers des 60 milliards d'espèces helvétiques en circulation, il va de soi que cette ruée vers les billets de banques libellés en francs suisses - taxés à 0% - ira en s'amplifiant en présence de taux négatifs sur la « monnaie scripturale », autrement dit sur les comptes bancaires.

...qui va entraîner leur taxation

Voilà pourquoi la prochaine décision spectaculaire et révolutionnaire de la BNS sera de prélever une dîme sur les billets déposés auprès d'elle par le système bancaire, qui répercutera cette taxe sur les clients désireux de retirer des francs suisses au guichet ou au distributeur. Ce n'est en effet qu'à cette condition - que la banque centrale baisse l'ensemble de ses taux d'intérêt- que cette politique monétaire des taux négatifs sera pleinement efficiente. L'abandon du « peg » - c'est-à-dire du plancher des 1.20 sur l'euro/suisse - n'est donc que la première salve émise par la BNS dont le levier principal ne consistera désormais plus en des interventions sur le marché des changes. De même, les taux négatifs de -0.75% sur les dépôts bancaires ne représenteront-ils qu'une étape supplémentaire. Car elle fera prochainement usage de l'arme de destruction massive par excellence : celle de taux d'intérêt négatifs généraux qui lui permettront d'avoir un impact dévastateur à l'encontre de la spéculation et de la flambée de sa monnaie.

La Banque Nationale Suisse mène la charge

Ce n'est qu'à ce prix que l'économie suisse bénéficiera des stimuli dont elle a désespérément besoin, car il devenait urgent pour elle d'une part de cesser d'amasser des euros dans un contexte de grandes incertitudes sur l'avenir de l'Union européenne et de subir d'autre part une ruée vers sa monnaie du fait des boulerversements géopolotiques à l'Est de l'Europe. La Banque Nationale Suisse mène donc la charge et, dans un monde en pleine déflation, lui apprend comment conduire une politique de taux négatifs.

Contraindre le capitalisme à s'adapter à une inversion totale des valeurs

Ce faisant, elle contraint le capitalisme à s'adapter à une inversion totale des valeurs et des critères car c'est désormais l'emprunteur qui impose ses règles. Ne sous estimez donc pas la BNS, et réfléchissez à deux fois avant d'affirmer qu'elle a perdu sa crédibilité, car la Suisse vient en ce 15 janvier 2015 de se départir de sa neutralité séculaire et de déclarer la guerre.

Michel Santi est directeur financier et directeur des marchés financiers chez Cristal Capital S.A. à Genève. Il a conseillé plusieurs banques centrales, après avoir été trader sur les marchés financiers. Il est l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique".

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