En lâchant l'euro, la Suisse fait ce qu'elle a de mieux à faire

Par Pascal Nguyen  |   |  888  mots
La BNS offrait la solidité de sa devise au prix d'une monnaie minée par la dette de plusieurs de ses pays membres. La situation était devenue intenable. En lâchant l'euro, la Suisse va devoir accélérer la transformation de son économie et sa spécialisation dans des secteurs à forte valeur ajoutée.

 La Banque Nationale Suisse (BNS) devait un peu s'y attendre. Mais sa décision soudaine d'abandonner le cours plancher de 1,20 franc suisse pour un euro a tout de même provoqué un véritable chaos sur les marchés financiers. Dès l'annonce de la nouvelle, la monnaie européenne a immédiatement décroché pour s'établir autour de la parité avec le franc. L'impact sur les valeurs suisses a été tout aussi dramatique avec un plongeon de l'indice SMI d'environ 14%. Dans le même temps, le CAC 40 a d'abord chuté de 3,7% avant de reprendre plus de 5%.

 La croissance amputée de 1,3 point

La réaction hostile de la classe politique et des milieux d'affaires helvétiques ne s'est pas faite attendre. En laissant filer le franc à la hausse, la BNS pénalise les exportations suisses. Le secteur touristique en sera également affecté. Cela ne sera pas sans conséquences pour l'économie. Les modèles suggèrent d'ailleurs une amputation de la croissance de 1,3% cette année. Quelle mouche aurait donc piqué la BNS pour l'amener à prendre une décision aussi malvenue ?

 La BNS subventionnait les exportations

Il faut dire que le cours-plancher instauré en septembre 2011 arrangeait beaucoup de monde. En fixant le franc à un niveau artificiellement bas, la BNS a subventionné les exportations et permis à la Suisse de maintenir une balance commerciale très largement excédentaire. D'où le gonflement massif de ses réserves de changes. Cette situation est loin d'être unique. La Chine encadre aussi les mouvements de sa devise et la maintient à un niveau qui lui permet d'engranger les excédents et d'avoir aujourd'hui des réserves de changes qui avoisinent les 4.000 milliards de dollar.

 Flambée de l'immobilier... comme en Chine

Tant que les autres pays ne crient pas au scandale, à quoi bon se poser des questions ? Le problème est que l'accumulation des excédents se traduit par une augmentation des liquidités dans l'économie, ce qui favorise l'émergence de bulles spéculatives. A ce titre, la flambée de l'immobilier chinois et suisse trouve là une explication commune. C'est ce que la BNS a déjà cherché à contenir en obligeant les banques à augmenter les réserves qu'elles mettent en face de leurs prêts immobiliers.

 Plus beaucoup d'endroits sûrs dans le monde...

Le timing de l'annonce, un mois après l'effondrement spectaculaire du rouble, laisse penser que la Suisse est également affectée par des décisions politiques venues d'ailleurs. Avec la décision de Washington d'utiliser le dollar comme vecteur de sanction contre les régimes qui ne lui plaisent pas, il ne reste plus beaucoup d'endroits sûrs dans le monde. De surcroît, les intermédiaires financiers se montrent désormais prudents dans leurs transactions en dollars après l'amende record de 9 milliards infligée à la banque BNP Paribas.

Les milliardaires de tous bords soucieux de mettre leur argent à l'abri n'ont plus vraiment d'autre choix que d'aller du coté de la Suisse. Jusqu'à la semaine dernière, ça tombait bien pour eux, car en maintenant le franc à un niveau faible, qui plus est par rapport à une devise européenne en train de s'affaiblir, la BNS offrait la solidité de sa devise au prix d'une monnaie minée par la dette de plusieurs de ses pays membres. De toute évidence, la situation était devenue intenable. La BNS a donc entériné l'inévitable réévaluation de sa monnaie.

 Boeing, Airbus, des exemples d'adaptation à une monnaie forte

Si les cours devaient rester autour de ce qu'ils sont, la hausse du franc suisse face à l'euro sera de 20%. Ce renchérissement n'a rien d'extraordinaire. Introduit au cours de 1,1743 dollar, l'euro a plongé au cours de sa première année à moins de 0,83 dollar, soit une baisse de 29,3%. Boeing en a souffert face à Airbus, mais a du s'adapter et ne porte finalement pas si mal. Après ce point bas, la devise européenne a ensuite grimpé inexorablement dans les années qui ont suivi pour gagner près de 90% face au dollar. Cette fois, ce fut au tour d'Airbus de s'adapter; ce que l'avionneur européen a su faire avec succès.

 Les industriels miseront de plus en plus sur la qualité et l'innovation

De la même manière le won coréen a perdu près de la moitié de sa valeur face au dollar au cours du dernier trimestre de 1997. Ce fut un choc que les sociétés japonaises du secteur de l'électronique semblent avoir moins bien encaissé. Mais leur perte de compétitivité s'explique aussi par leur plus difficulté à s'adapter à un environnement plus mouvant.

Les industriels suisses sont depuis longtemps dans une logique de compétition par la qualité et par l'innovation. La hausse du franc renchérit le coût du travail, mais le rend aussi plus attractif quand il s'agit d'attirer les talents du monde entier. La décision de la BNS de lâcher l'euro va donc avoir pour conséquence d'accélérer la transformation de l'économie suisse et sa spécialisation dans des secteurs à forte valeur ajoutée comme la pharmacie et la mécanique de précision. Si à court terme, nos voisins helvétiques vont en souffrir, à long terme, ils ont tout à y gagner.

 Pascal Nguyen est professeur de finance à Neoma Business School