Pour une liberté d'expression garantie, dans le respect de la religion d'autrui

Par Alassane Dia  |   |  1204  mots
Manifestation le 7 janvier pour la liberté d'expression
Jusqu'où peut aller le droit à la caricature? par Alassane DIA, doctorant en Droit public à l'Université Toulouse1 Capitole

Lorsqu'il se produit un trouble ou une tentative manifeste d'atteinte à l'ordre public ou à la paix sociale, toutes les pistes de réflexion devraient être nécessairement étudiées en vue de trouver une solution efficace. Pareillement, lorsqu'une grave infraction est commise, l'une des meilleures voies permettant d'éviter sa reproduction, c'est de prendre en compte les motivations de son auteur, de ses coauteurs ou complices.

Suite à l'attentat qui a décimé le 7 janvier 2015 la rédaction du journal satirique français Charlie Hebdo, le message lancé sur internet par les présumés coauteurs et complices est le suivant : « on a vengé le prophète Mohamed». Autrement dit, cet attentat semble être la réponse aux caricatures sur le prophète de la religion musulmane. De ce fait, quelles que soient les mesures de sécurité prises à cet effet, il semble tout aussi déterminant d'essayer d'établir une réconciliation entre la garantie de la liberté d'expression et le respect de la religion d'autrui.

Pour une liberté d'expression garantie...

La liberté peut être considérée, en termes très simples, comme le refus de toute forme de servitude non consentie. La liberté d'expression serait un droit de partager avec autrui, à travers des méthodes différentes, ses opinions, ses pensées, ses convictions etc. C'est un droit aussi fondamental qu'il a toujours été la quête de tous les peuples. De même, les prophètes,  les philosophes, les politiques, les savants et tant d'autres porteurs de messages s'en sont toujours servi afin de pouvoir enseigner, éduquer, critiquer et changer, par les idées, le fonctionnement quotidien de la société.

On songe au prophète Moïse qui ne disposait pratiquement que de son verbe sublime pour convaincre les enfants d'Israël à s'extirper de la domination du pharaon d'Egypte. C'est aussi grâce à la liberté d'expression que le prophète Jésus Christ a pu transmettre son message biblique à ses douze apôtres. C'est aussi en vertu de la liberté d'expression que le prophète Mohamed a pu perfectionner le comportement de ses disciples par des idées tirées du Saint Coran. Les enseignements de Bouddha ont également permis une large adhésion à cette idéologie à caractère philosophico-religieux.

Aussi, la liberté d'expression a permis à Socrate, à Platon et à Aristote de contribuer par leurs enseignements, à la construction de toute une civilisation principalement fondée sur la rationalité et l'esprit critique. N'eût été la liberté d'expression, de gigantesques découvertes n'auraient pu voir le jour dans les domaines scientifiques et techniques. D'ailleurs, c'est en usant de cette liberté d'expression que le sage Solon a pu trouver une Constitution adaptée à la Grèce antique et qui constitue jusqu'à nos jours une référence en matière de régime politique en ce qu'il a permis au peuple de pouvoir exprimer sa volonté dans le choix de ses dirigeants.

Sans ce droit fondamental, les idéologies communistes, libérales, socialistes et de toute autre nature ne pourraient prospérer dans ce monde. Cette liberté d'expression continue de permettre aux peuples du monde de faire face à leurs dirigeants respectifs. L'histoire garde encore les souvenirs de la révolution américaine de 1776, de la révolution française de 1789, des mouvements de décolonisation des années 1960 et du printemps arabe de 2011. Toutes ces révolutions ont été menées grâce à la liberté d'expression et dans une logique d'acquisition et de garantie supplémentaire de tous les droits et libertés. Dès lors la préservation de la liberté d'expression semble être une nécessité impérieuse.

...dans le respect de la religion d'autrui.

La liberté de caricaturer est une variante de la liberté d'expression. Elle entre dans la même catégorie que la liberté d'écrire et de parler. Donc, elle exige d'être bien protégée. Toutefois, par rapport aux autres libertés d'expression, l'usage dont elle fait l'objet parait manifestement outrancier à maints égards. La liberté de caricaturer autrui serait simplement la liberté de le représenter  sous une forme satirique.

En d'autres termes, c'est la liberté de se moquer d'autrui. Caricaturer le prophète d'autrui reviendrait alors simplement à se moquer de lui dans le but de susciter le rire. Si un tel procédé peut probablement être toléré par beaucoup d'adeptes de la religion, cela ne semble pas être le cas pour bon nombre d'entre eux. S'il en est ainsi, c'est parce que la religion paraît être l'une des choses les plus intimes dont dispose toute personne humaine croyante.

De plus, les prophètes, les édifices religieux, les textes sacrés et les choses analogues constituent dans certaines religions un patrimoine sacré qui réfute toute tentative de profanation. Donc, une satire dirigée à l'encontre d'un prophète serait possiblement conçue comme de la provocation. De surcroit, elle serait considérée comme un usage excessif de la liberté de caricaturer.  En effet, certaines religions conçoivent la caricature de leurs prophètes comme un acte blasphématoire. C'est la raison pour laquelle, il semble nécessaire de ne pas procéder à une telle manœuvre. Il suffit simplement d'opérer une mise en balance entre la liberté de caricaturer le prophète d'autrui et les risques d'atteinte à l'ordre public pour conclure à la nécessité de limiter la première.

Des limitations conformes aux principes de la République

D'autant plus que l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 prévoit que : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Au surplus, l'article 24 alinéa 6 de la loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit une peine pour ceux qui auront « incité la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Par conséquent, lorsqu'une communauté religieuse se sent strictement offensée par l'exercice de la liberté d'expression, sous sa forme caricaturale, il serait même conforme aux principes d'une République laïque que les dispositions normatives précitées soient mises en application.

Il serait enfin intéressant de comprendre que la démocratie est un régime politique qui promeut le vivre ensemble dans le respect des croyances de chaque catégorie de la société. Bien qu'elle met en avant la controverse, la critique et le débat contradictoire sur presque tous les domaines y compris sur les affaires religieuses, la démocratie gagnerait en s'adaptant dans le temps et dans l'espace. Les démocraties occidentales semblent faire face, de nos jours, à deux sortes d'extrémisme : l'extrémisme dans la promotion des droits et libertés humains et l'extrémisme dans la promotion des faits religieux. Pour l'un et pour l'autre, il faudrait apporter nécessairement des encadrements afin de garantir la paix sociale ou l'ordre public. D'où la nécessité de procéder à une réconciliation entre la liberté d'expression et le respect de la religion d'autrui.

Alassane DIA,

Doctorant en Droit public à l'Université Toulouse1 Capitole

Membre de l'Institut Maurice Hauriou

diaalou@yahoo.fr