Dettes souveraines : un risque sous-estimé par les banques françaises ?

Par Philippe Borne  |   |  1107  mots
Philippe Borne
Le discours dominant est celui de la fin du risque souverain pour les banques et assureurs français. En réalité, l'exposition reste non négligeable à l'égard de la dette publique de certains pays "périphériques". par Philippe Borne, Manager - Practice Retail Banking, Investance

Quatre mois après les résultats des stress tests par la Banque centrale européenne (BCE), les banques et assurances françaises semblent soumises à de nouveaux défauts de paiement liées aux dettes souveraines de certains pays de la zone euro.

Grèce : le spectre du défaut de paiement persiste

Après la victoire en Grèce de la gauche radicale, Syriza, et de son leader Alexis Tsipra aux élections législatives anticipées qui se sont tenues le 25 janvier, la question se pose. La possibilité d'un nouveau défaut de paiement des emprunts grecs (et l'effet 'domino' qui pourrait en résulter sur les autres pays de l'Europe du Sud) est susceptible de remettre en cause les modèles actuels de pondération des actifs bancaires.

Pour rappel, le dernier défaut de paiement d'obligations grecques a eu lieu le 08 mars 2012 : les créanciers privés détenteurs d'obligations de droit grec avaient accepté d'échanger leurs titres avec une décôte de près de 50%. Alexis Tsipras souhaite négocier une nouvelle restructuration de la dette publique qui asphyxie l'économie grecque.

Si l'Allemagne reste intransigeante sur un possible rééchelonnement de l'endettement grec, le futur chef du gouvernement pourrait décider du non-remboursement de tout ou partie du principal des emprunts consentis par l'Union européenne, le FMI et la BCE. La dette publique grecque s'élève aujourd'hui à 320 milliards d'euros, soit 177 % du PIB. Elle est actuellement détenue par ces mêmes prêteurs ainsi que des banques centrales nationales et le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Le secteur privé (banques, assurances...) ne détient plus que quelques milliards d'euros après avoir échangé ces titres auprès de la BCE.

Les banques françaises et la prise en compte du risque souverain

Si nous reprenons les comparaisons des notes internes de contrepartie et les calculs de probabilités de défaut établi pour les premiers établissements français (en fonction des notations S&P pour les pays), nous obtenons le tableau suivant :

(source : rapport annuel 2013 des établissements BNP Paribas, Groupe Crédit Agricole, Société Générale)

Comparaison des encours allemands et français en obligations italiennes et espagnoles

Selon une étude récente de JPMorgan, les trois banques françaises les plus exposées (Crédit Agricole, BNP Paribas et Société Générale) détiendraient ensemble 4,5 milliards d'euros de créances auprès d'emprunteurs grecs (souverain et entreprises), ce qui reste une exposition relativement modeste. L'exposition des banques françaises aux emprunteurs des autres pays européens les plus fragilisés est en revanche significativement plus élevée.
Une analyse des déclarations de l'exposition aux pays européens dits 'fragiles' réalisée par la Banque des Règlements Internationaux (BRI) au 1er trimestre 2013 donnait la répartition suivante:

On remarque que le principal risque 'souverain' pour les banques françaises n'est plus un possible défaut de la Grèce mais plutôt celui de l'Italie (330 milliards d'euros) et, dans une moindre mesure, l'Espagne (100 milliards d'euros). Le niveau de notation par les agences Standard & Poor's et Fitch Ratings situe l'Espagne et l'Italie entre 'BBB+' et 'BBB-'. Si on se reporte au tableau comparatif des pondérations des actifs et du pourcentage de probabilité de défaut, les trois banques françaises mentionnées ci-dessus leur accordent une probabilité de défaut sur 1 an de seulement 0,26 % à 0,60 %.


Réévaluer les risques de défaut de paiement souverains

Lors des stress tests réalisés au cours du premier semestre 2014 et publiés en octobre, l'ensemble des 130 établissements contrôlés par la BCE a considéré les obligations souveraines comme des actifs sans risque.

Il est vrai que l'historique des défauts de paiement ou les rééchelonnements des dettes observés dans les pays développés européens ne révèle aucun incident depuis la fin de la deuxième guerre mondiale si ce n'est vers les années 1980 avec la Roumanie (1981, 1986) et la Russie (1991, 1998) et plus récemment la Grèce en 2012. Aussi, la probabilité prochaine d'un défaut de paiement pour un État de la zone euro apparait difficile à quantifier si on se réfère au passé. En effet, quelle probabilité peut-on calculer pour l'Italie et l'Espagne ? Compte tenu que l'Italie n'a jamais fait défaut depuis plusieurs siècles et que, pour l'Espagne, cet évènement remonte aux années 1936-1939.

Cependant, ne faudrait-il pas que les modèles internes de risques de crédit des banques françaises rehaussent la probabilité de défaut potentiel et/ou partiel de l'Espagne et de l'Italie et ce, afin de constituer un matelas plus conséquent de capitaux propres qui risquera de faire "défaut" quand un évènement de crédit surviendra ?

Et pour les assureurs français, problématique identique ?

Selon la dernière étude de l'ACPR, l'exposition des assureurs français à fin septembre 2014 montre le même degré d'appétence pour les titres souverains italiens (37 milliards d'euros) et espagnols (20 milliards d'euros). Les expositions en obligations d'Irlande et du Portugal restent faibles (5 et 2 milliards d'euros respectivement).
Aucun encours en titres grecs au 3ème trimestre 2014.

Source : ACPR - Analyses et synthèses- n° 38 décembre 2014

Cependant, contrairement aux modèles de risques bancaires, la prise en compte du risque souverain n'est pas contrainte par la directive Solvabilité II et relève d'une décision propre de l'assureur, dans le cadre ORSA ou d'une création d'un modèle interne. On peut cependant souligner que le groupe Allianz a intégré le risque de spread, notamment le risque de crédit pour les obligations d'État.

Une charge en capital a donc été calculée selon les encours en titres souverains au 31/12/2013 et a entrainé une baisse sensible du ratio de solvabilité S2 (les fonds propres éligibles sur SCR passent ainsi de 222 % à 194 %). Comme pour les établissements de crédit, les assureurs français devraient reconsidérer la dette souveraine comme un actif à risque et, par conséquent, l'intégrer dans leur modèle interne d'évaluation pour le calcul de leur ratio de solvabilité.

Les résultats des stress tests européens parus en octobre 2014 n'ont révélé aucune faiblesse dans les expositions souveraines des banques et des assureurs. Le détail sur les actifs contrôlés et les analyses des modèles internes d'évaluation des risques pour chaque établissement peuvent être le point de départ à une meilleure appréhension du risque souverain (plus spécifiquement européen) et à l'émergence d'un nouveau paradigme pour les marchés obligataires.