Apprendre à vivre avec l'Islam

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  1242  mots
Pierre-Yves Cossé.
La réponse aux attentas du début du mois de janvier doit mobiliser en France toute la société. Sans oublier l'ouverture d'un véritable dialogue avec le monde musulman. par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Les attentats de Paris ont été un événement mondial. Leur retentissement a été quasi immédiat. Il a suffi de quelques heures pour que le « je suis Charlie » apparaisse sur les réseaux sociaux des cinq continents. Depuis quelques jours, les réactions à l'étranger ont pris la forme de manifestations quasi simultanées, violentes, voire sanglantes, contre la France, dans des pays parfois très éloignés, pas nécessairement totalitaires (Indonésie).

La première réaction est de crier à la manipulation, évidemment présente dans le cas tchétchène, et de considérer qu'il s'agit de manifestations sans lendemain de  foules musulmanes régulièrement sujettes à des pulsions irrationnelles.

Une pathologie profonde, le refus de l'occidentalisation

L'on aurait tort. Ces mouvements ne sont pas des épiphénomènes, ils pourraient être durables et nous en subirions durablement les effets. Ils  témoignent d'une pathologie profonde, le refus de l'occidentalisation présent dans de nombreux pays. Ou plus exactement, ces pays veulent emprunter à l'Occident ses techniques, son savoir-faire, sa capacité à créer des richesses et même son économie de marché, en restant eux-mêmes. Or, c'est impossible, la modernité est un phénomène global, même si elle se manifeste selon des modalités variables dans l'espace et dans le temps. La modernité, c'est la montée de l'individualisme, la mise en cause des hiérarchies traditionnelles, sociales et familiales, un mouvement égalitaire notamment au profit des femmes, une poussée de la société de la base vers le sommet, c'est-à-dire une forme de démocratisation, enfin, une moindre place de la religion dans la vie publique.

Ce que nous crient les foules musulmanes, c'est : « nous ne voulons pas être comme vous, nous refusons vos sociétés athées, égoïstes et dissolues. Respectez notre identité et nos valeurs ». A ce cri de douleur identitaire, inutile de répondre en affirmant les droits imprescriptibles - et réels - des dessinateurs et caricaturistes. Aucune chance d'être entendu.

 L'occident n'est pas directement responsable des échecs successifs de ces nouveaux états-nations

Ces foules nous le disent avec une force croissante, depuis 1979, année de la révolution des mollahs en Iran et de la révolte des talibans afghans contre l'URSS. Cette pathologie de la transition, que toutes nos sociétés ont connue à un moment ou à un autre, il appartient d'abord aux États musulmans de la traiter. L'Occident n'est pas directement responsable des échecs successifs de ces nouveaux états- nations, illustrés par le plus grand pays arabe, l'Égypte.

Cela dit, regarder en spectateur cette pathologie relève de l'inconscience. Cette modernité, elle a été apportée par l'occident à travers les mondialisations successives, en particulier par les ex-puissances coloniales, dont la France qui a contribué à la déstabilisation des sociétés coloniales.

Que peut la France?

Que peut la France aujourd'hui ? D'abord prendre au sérieux cette pathologie, la diagnostiquer, avec exactitude mais sans complaisance, et faire un effort de clarification pour elle-même et pour les autres. On ne peut s'en tenir à la distinction faite par François Hollande entre les « mauvais islamistes » et le « bon Islam » intégrable sans problème dans notre démocratie. Reconnaissons que nous avons un problème avec l'Islam, qui, à son stade actuel de développement ne reconnaît pas la liberté religieuse, ni le droit à l'athéisme ni celui de changer de religion.  Ne nous en offusquons pas : il a fallu attendre Vatican II pour que le principe de la liberté religieuse soit pleinement admis dans la religion catholique. Ce n'est pas seulement le djihadisme qui est en cause mais le salafisme, composante intrinsèque de l'Islam, hérité du wahhabisme pratiqué par notre grand allié, l'Arabie Saoudite.

Notre classe politique saura-t-elle trouver les mots pour le dire, pour parler de l'Islam tel qu'il est, sans passion ni complaisance et avoir des gestes d'apaisement ? Dans notre république laïque, cela n'est pas certain ; l'ignorance est décomplexée, un homme politique ne  prenant pas position sur  les religions qui relèvent du domaine privé se tait sur ces sujets. Et pourtant, il va bien falloir parler de l'Islam de France, de ce qui se dit dans les mosquées, de la formation des imams, de l'accès au culte. Il va bien falloir que se constitue un réseau de l'Islam de France et que l'on cesse de déléguer à des puissances étrangères le soin de nous organiser.

 Toute notre société est concernée

Il n'y a pas que la classe politique qui soit concernée. Toute notre société l'est. Quelles que soient nos convictions personnelles, nous devons prendre  au sérieux les phénomènes religieux, qui inspirent les comportements collectifs de plusieurs milliards d'êtres humains. Suggérons à nos caricaturistes la lecture des propos tenus en avion par le pape François qui donnerait un coup de poing à son voisin, un proche collaborateur, si celui-ci disait du mal de sa mère. Cette référence papiste suscitera des ricanements. Je n'aurai probablement pas plus de succès en citant Péguy pour qui on ne fonde aucune culture sur la dérision. Certes, ce ne sont pas nos caricaturistes qui ont commencé. Luther était plus violent dans un temps... où le sang coulait abondamment. Dernière citation : on ne peut pas rire de tout avec tout le monde.

 Ouvrir un dialogue avec le monde musulman

A l'échelle internationale, saurons -nous ouvrir un dialogue avec le monde musulman, comme l'avait fait en son temps Obama avec son discours du Caire, de grande qualité mais peu suivi d'effets ? Qui en Europe a la légitimité et la capacité pour s'adresser au monde musulman ? Pour l'instant, on ne peut que se tourner vers la société civile. Faute de savoir parler, saurons- nous agir et  infléchir notre politique internationale, de manière à contribuer à l'apaisement, sur trois points principaux?

Le conflit israélo-arabe est source d'une humiliation profonde et permanente et aucun apaisement n'interviendra dans le monde musulman sans une reconnaissance d'un État palestinien. Seuls les États-Unis disposent des moyens diplomatiques et financiers pour imposer une négociation aux partenaires en présence. Le président Obama, qui n'a plus de rendez-vous électoral, peut-il faire un pas dans ce sens ?

Sur l'Iran, le poids des États-Unis est également décisif. La réinsertion de l'Iran dans la communauté internationale peut accélérer une acceptation de la modernité dans le monde musulman, du fait de la qualité de ses cadres et de son importance. Une évolution réussie interpellerait le monde sunnite.

Sur la Syrie, ce devrait être à l'Europe, directement impliquée par les djihadistes d'origine européenne, de multiplier les initiatives. Selon la tradition sunnite, la Syrie est le territoire d'excellence pour le djihadisme. C'est là que le Mahdi doit apparaître et que le massacre de tous les mécréants permettra le  rétablissement du califat, signe de la fin des temps. Sans retour de la paix en Syrie, le djihadisme d'origine européenne continuera.

Les historiens, et eux seuls, diront si les 17 morts parisiens et les réactions qu'ils ont suscités sont des événements historiques. On peut néanmoins avancer qu'ils sont le début pour la France d'une nouvelle manière de voir l'Islam sur le plan intérieur comme sur le plan international et souhaitons le de se comporter.