Il faut encore encourager la mobilité des salariés en Europe

Par Sébastien Daziano  |   |  1004  mots
Sébastien Daziano, maître de conférences à Sciences Po, est co-auteur de « Grandes questions européennes » (Sedes, 2013)
La question des travailleurs détachés suscite beaucoup de polémiques, surtout depuis l'entrée des bulgares et roumains sur le marché de l'emploi européen. Ce système doit être clarifé et contrôlé. Au delà, une zone monétaire unique ne peut que s'accompagner d'une grande mobilité du travail. Par Sébastien Daziano, maître de conférences à Sciences Po

La liberté de circulation des personnes est l'une des quatre libertés fondamentales, et fondatrices, énoncées par le Traité de Rome en 1957, aux côtés de la libre circulation des biens, des capitaux et des services. Mise en œuvre dans le cadre du marché intérieur, la liberté de circulation des personnes a fait l'objet d'un traité européen spécifique avec les Accords de Schengen, signés en 1985, auxquels tous les Etats membres ne sont d'ailleurs pas soumis de la même manière.

Or, la crise économique, la montée du chômage et les résultats électoraux des partis « populistes » ont mis en lumière, ces derniers temps, plusieurs critiques sur la liberté de circulation en Europe. L'attention s'est notamment focalisée sur la libre circulation des travailleurs et sur les conditions de détachement. Cette disposition se fonde sur le traité qui reconnaît le droit de libre prestation des services transfrontaliers (article 56 TFUE). Dans ce cadre, il convient de rappeler trois éléments.

 Une circulation des salariés strictement encadrée

En premier lieu, la libre circulation est strictement encadrée par des textes européens. La libre circulation est un principe fondamental garanti par l'ensemble des textes juridiques qui régissent l'Union européenne, au premier rang desquels le Traité de Rome (article 3), la Charte des droits fondamentaux (article 45) et la jurisprudence de la Cour européenne de justice de Luxembourg. Ces dispositions ont été intégrées dans un texte unique avec la directive du 29 avril 2004 qui rassemble les conditions d'exercice de ce droit, ainsi que les limites afférentes. Pour les séjours de plus de trois mois, la directive définit les catégories de personnes bénéficiant du droit à la libre installation, en particulier les travailleurs salariés ou non salariés et les membres de leur famille, sous réserve que certaines conditions soient réunies. En 1996, une directive a encadré ce dispositif en garantissant un corpus de règles impératives. Ainsi, les salaires et les conditions de travail du pays d'accueil s'imposent. En revanche, les cotisations sociales applicables sont celles du pays d'origine.

 1% de la population active européenne en détachement

En second lieu, le nombre de travailleurs détachés au sein de l'Union européenne, selon la Commission, est de 1,5 million de personnes, soit 1% de la population active européenne, avec une durée de détachement de 50 jours en moyenne. Il s'agit donc d'un phénomène extrêmement limité, surtout si on le compare aux mouvements similaires aux Etats-Unis.

Une pénurie de main d'oeuvre dans certains secteurs

En troisième lieu, alors que le chômage connaît une forte poussée au Sud de l'Europe, certains secteurs d'activité, tels que le BTP ou l'industrie, ou certaines zones géographiques, telles que l'Allemagne, connaissent une pénurie de main-d'œuvre. Selon la Commission européenne, plus de deux millions d'emplois ne seraient pas pourvus en Europe, faute d'adéquation entre les postes et les compétences. A coté de la formation initiale et professionnelle, dont les effets sont souvent longs à se matérialiser, la mobilité des travailleurs est en conséquence un facteur de flexibilité et d'efficacité essentiel. Pour les entreprises, parce qu'elles doivent réunir les compétences qui leurs manquent. Pour les travailleurs, parce qu'ils doivent trouver des débouchés sauf à devoir affronter des périodes de chômage ou d'activité réduite qui, souvent, rendent plus difficile leur retour à l'emploi.

De vives réactions depuis l'accès du marché de l'emploi des bulgares et roumains

Cependant, depuis le déclenchement de la crise économique en 2008, il est vrai que les critiques fusent contre le principe de libre circulation des personnes, et notamment celui des travailleurs. Le soutien des Européens s'est progressivement érodé. Dans une enquête publiée en 2011 par Eurobaromètre, 62% des Européens considéraient que ce principe était surtout favorable aux grandes entreprises et à la baisse des coûts du travail. De plus, le plein accès du marché de l'emploi aux travailleurs bulgares et roumains, le 1er janvier 2014, a provoqué de vives réactions des gouvernements anglais, autrichien, allemand et néerlandais.

 Clarifier et accroître les contrôles

De ce point de vue, la crise économique, et la hausse du chômage, rendent nécessaires deux évolutions concernant la libre circulation des travailleurs en Europe.

D'une part, il faut clarifier le recours au statut de travailleurs détachés en précisant les conditions du recours à ce dispositif, tout en accroissant les contrôles. Les Etats membres s'y sont engagés. Le projet de directive, adopté par le Parlement et le Conseil le 27 février 2014, permet de réaliser de réelles avancées en la matière. Ce texte apporte plusieurs clarifications pour prévenir les détournements, veiller au respect des droits des travailleurs détachés et renforcer les contrôles.

 Une zone monétaire unique doit s'accompagner de la mobilité de la main D'ŒUVRE

D'autre part, il faut admettre que la création d'une zone monétaire unique doit entraîner une mobilité de la main-d'œuvre. En effet, lorsqu'une monnaie unique est créée, selon le modèle Mundell-Fleming énoncé par l'économiste Robert Mundell en 1963, l'ajustement aux chocs externes ne peut se réaliser qu'à travers une mobilité de la main-d'œuvre ou une politique budgétaire fédérale. Il faudra que la zone euro progresse sur ces deux volets si elle souhaite enfin se doter d'une politique économique efficace, alors que la déflation guette nos économies.

 Au-delà de la question des travailleurs salariés, c'est l'édifice européen, et tout particulièrement le marché unique, qui doit être relancé et conforté. L'enjeu est de créer un cadre propice au retour de la croissance et rétablir la confiance des Européens. La reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et une carte professionnelle unique pourraient ainsi être des sujets de discussion concrets.