Grèce  : pourquoi le nouveau ministre des Finances a raison

Par Frédéric Farah et Thomas Porcher  |   |  851  mots
Yannis Varoufakis va être le nouveau ministre des Finances grec. Sa proposition de ne rembourser la dette qu'à partir de 3% de croissance et son programme de réformes (lutte contre l'oligarchie) peuvent sortir la Grèce du marasme. par Frédéric Farah et Thomas Porcher, économistes*

Le gouvernement d'Alexis Tsipras qui sera annoncé aujourd'hui comptera probablement parmi ses membres un économiste grec d'importance internationale : Yannis Varoufakis. Comme Ulysse qui revient d'un long voyage, il revient des Etats Unis ou il a été trouvé refuge après avoir été contraint de quitter son poste à Athènes au plus vif de la crise grecque. C'est James Kenneth Galbraith de l'université Lyndon Baines Johnson d'Austin au Texas qui lui a fait bon accueil. Il est peu connu du public français même si ces deux ouvrages majeurs « Le minotaure planétaire » et « Modeste proposition pour résoudre la crise de l'euro » ont fait l'objet d'une traduction récente à la fin de l'année 2014.

 La Grèce d'abord, mais aussi des réponses à l'anémie de la zone euro

 Analyste avisé de la crise de 2008 et de celle qui frappe son pays sans jamais la dissocier du sort qui affecte l'Union européenne, Y. Varoufakis nous apparaît comme l'homme de la situation capable d'initier une politique économique à même de répondre à l'urgence de la situation grecque mais aussi d'offrir des réponses à l'anémie de la zone euro. Ses ouvrages sont des vrais programmes de mesures concrètes et précises.

 Sa première tâche sera d'apporter des réponses à la situation économique grecque. Contrairement aux récits lénifiants de la Commission européenne, la Grèce ne va pas mieux. Depuis 2008, la Grèce a perdu ¼ de son PIB et plus de 50 % des jeunes de 16 à 25 ans présents sur le marché du travail sont au chômage. La dette grecque est de plus de 320 milliards d'euros. Les salaires dans le secteur privé ont diminué de 30% depuis le début de la crise sans compter l'urgence sanitaire signalée à plusieurs reprises dans le journal médical anglais « The Lancet » depuis 2011. Les coupes à hauteur de 40% du financement du système de santé se sont traduites par une rupture dans la chaîne d'approvisionnement des médicaments. Les admissions à l'hôpital public ont bondi de 24% alors que ceux de l'hôpital privé chutent de 30%.

 Rembourser la dette quand la croissance revient

Pour essayer d'apporter bon ordre à cette situation et des réponses adéquates, Y. Varoufakis souhaite réduire la dette de la Grèce vis-à-vis de la Troïka européenne car consacrer chaque euro supplémentaire au remboursement de la dette ne favorise pas le dynamisme économique. La Grèce doit 208 milliards à la Troïka, il s'agit, selon lui, de transformer cet ensemble de créances en une créance à échéance illimitée qui serait remboursée à partir du moment où la croissance atteindra en Grèce les 3%. Ce chiffre de 3% de croissance est plus faible que la promesse de la Troïka:  lors des prêts de 110 milliards d'euros en 2010 et de 130 milliards en 2012, elle assurait à la Grèce une croissance de plus de 4,5 % rappelle Y. Varoufakis dans un entretien accordé à La Repubblica (journal italien) le 5 janvier 2015.

 Pour parvenir à ces 3,5% de croissance, il s'agit selon lui d'engager des réformes ambitieuses organisées autour de 4 piliers :

 -  Le premier concerne l'évolution de la dette grecque dont le remboursement suivra l'évolution du PIB nominal c'est-à-dire hors inflation.

 -  Un second pilier fait de réformes qui viennent à bout de l'oligarchie et de la kleptocratie à l'œuvre en Grèce mais sans détruire le tissu social et vendre les entreprises nationales.

- Le troisième pilier est l'investissement nécessaire pour relancer l'économie grecque. Mais ce soutien à l'investissement est valable pour la zone euro dans son ensemble. Comme il le souligne lui-même dans son ouvrage « Modeste proposition » : il s'agit d'européaniser le financement des investissements en amplifiant la puissance d'action de la banque européenne d'investissement afin de développer des projets dans des domaines tels que les hautes technologies, les énergies vertes, la santé...

Cette action est rendue difficile car « le volume de leurs investissements est sérieusement limité par la convention selon laquelle les États membres doivent cofinancer les projets à hauteur de 50 %. Et puisque les États-membres connaissent de fortes difficultés budgétaires, cela réduit d'autant la capacité d'action de la BEI et du FEI. Nous proposons donc que le cofinancement de 50 %, qui est aujourd'hui un frein à la croissance, provienne de nouvelles émissions d'obligations par la BCE ».

 -Enfin, répondre à l'urgence humanitaire dans laquelle la Grèce se trouve depuis le début de la crise de 2009.

 Imaginer une croissance durable et profitable à tous

Y. Varoufakis a raison : la politique économique actuelle conduit à l'impasse. La Grèce s'enfonce dans le marasme et l'action de la Troïka est loin d'avoir eu les résultats escomptés. Le défi d'aujourd'hui est bien d'imaginer une croissance durable et profitable à tous. Le succès de l'entreprise d'Y. Varoufakis et de Syriza peut être l'occasion historique de sortir de l'austérité et d'apporter de vraies réponses aux problèmes de l'Europe qui sont le manque d'investissement, le chômage de masse et la croissance des inégalités.

 * auteurs de TAFTA : l'accord du plus fort, éd. Max Milo