Manuel Valls, vice-président en lévitation

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  1167  mots
Manuel Valls, qui se rend en Chine, a-t-il pris conscience de l'effet dévastateur, à l'étranger, de son utilisation du terme d'Apartheid, pour qualifier la situation française ? par Jean Christophe Gallien, Professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne, Président de j c g a

De plus en plus Vice-Président, Manuel Valls s'envole pour la Chine ce mercredi à bord de l'Airbus présidentiel. Celui qui voit sa cote de popularité bondir depuis les événements terribles de ce mois de janvier s'en trouve comme lévité, presqu'exalté ! Il est bon, pour la France, pour les Français et pour lui même que Manuel Valls voyage. Il va se confronter au réel et recevoir son imparable évaluation.

Il découvrira combien il a récemment abîmé l'image de notre pays, son attractivité, celle dont il devrait être le zélé VRP.  Et non son fossoyeur, même seulement d'un pointe de vue lexical ! Depuis ces mots terribles, les nombreux amis de la France, en Europe et au delà, demeurent bouche bée, incrédules, souvent choqués.

L'Apartheid en France? Valls alimente le french bashing

L'Apartheid, matrice politique d'un état qui emprisonne ses adversaires, les torture, les tue, ... la France de 2015 ? Pire que Fox News, Manuel Valls alimente lui même le french bashing quand il décrit, son pays, comme une dictature raciale. Vu depuis les fenêtres diplomatiques, citoyennes et business d'un Monde qui change de Hong Kong à Sao Paulo, de Moscou à Johanesbourg, ces attaques sonnent comme une incroyable révélation !

Pas banal un Premier ministre qui accuse son propre pays, une démocratie née d'un processus révolutionnaire libérateur. Car c'est bien d'accusation dont il s'agit. L'apartheid désigne la politique systématique de discrimination raciale qui a eu cours en Afrique du Sud de 1948 à juin 1991. Quel rapport avec la France ? Au delà de la géographie il faut que Manuel Valls voyage dans l'histoire, il y trouvera, là encore, une évaluation implacable de ses propos.

Pour Mandela, le concept de droits de l'homme est synonyme de la Révolution française

Le 6 juin 1990, alors qu'il foule pour la première fois le sol de France, Nelson Mandela encore vice-président d'une ANC en lutte pour faire tomber l'Apartheid, invité par François Mitterrand, déclare : « Le concept de droits de l'homme est synonyme de la Révolution française. ... La révolution française a contribué à changer le cours de l'histoire du monde. » Le lendemain le 7 Juin 1990 devant, cette fois, l'Assemblée Nationale, il prolonge : « Le mot France évoque parmi notre peuple des images bien vivantes de succès dans la lutte contre l'autocratie, pour la démocratie et la justice. Cette Assemblée est l'un des produits de cette lutte, une affirmation de la permanence de la victoire du peuple français contre la tyrannie. »

6 années plus tard, Président d'une Afrique du Sud libérée, venu à Paris célébrer la date anniversaire de la prise de la Bastille, le 15 juillet 1996 il affirmera au nom du peuple Sud Africain : « Le 27 Avril 1994, nous avons aussi, à notre manière propre, pris d'assaut notre Bastille ... Nous sommes venus en tant que Sud-Africains pour rendre hommage à une nation ... qui depuis deux siècles a inspiré ceux qui recherchent la liberté ... C'est une joie de rejoindre les descendants de ces grands révolutionnaires pour célébrer la naissance de leur nation. »

Alors qu'elle célèbre les 70 ans de l'horreur absolue d'Auschwitz, la France d'aujourd'hui demeure encore, n'en déplaise à Manuel Valls, celle qu'aimait Nelson Mandela, victime et héros vainqueur de l'Apartheid : celle de Montesquieu, celle des Lumières, celle de Victor Hugo, d'Emile Zola, celle du Général de Gaulle, ... celle du 11 janvier 2015, celle que tant de chefs d'Etats et de gouvernements, comme Nelson Mandela en son temps, sont venus célébrer comme fille aînée de la démocratie, marchant avec elle dans les rues de Paris.

Tous les pays d'Europe confrontés à des difficultés d'intégration

La France c'est le pays de l'AME - aide médicale aux étrangers -, le pays de la CMU - couverture mutuelle universelle -, du logement social, de l'éducation publique et de ses 15 milliards d'euros par an, de la politique de la ville, ... certes souvent en échec monsieur le Premier ministre, mais pas du fait des moyens apportés, pas du fait du volume de l'engagement associatif, et certainement pas de celui des français qui contribuent tous au financement de la stratégie de solidarité et s'y impliquent souvent individuellement ... l'échec des populations parfois peut-être, de la difficulté de faire appliquer l'État de droit sûrement sans parler d'autres causes locales, nationales, européennes et internationales. Tous les pays d'Europe, malgré des stratégies d'intégration opposées, républicaine et laïque comme le notre ou communautariste comme celle des Pays-Bas, sont confrontés aux mêmes difficultés !

"A mal nommer les choses, on aggrave les malheurs du monde"

Les mots ont une histoire et un sens et « à mal nommer les choses, on aggrave les malheurs du monde », disait Camus. Le peuple de France, en tous cas celui du 11 janvier 2015, n'est pas celui d'un nouvel Apartheid. Vous lui devriez des excuses. Manuel Valls, vous avez frappé cette France au coeur, dans une période de vulnérabilité qui plus est, une période de deuil collectif qui requiert comme vous le demandez aux autres : retenue et respect. C'est notre histoire commune que vous avez foulée, notre rayonnement et notre attractivité que vous abimez.

Gouverner, ce n'est pas insulter l'histoire

Et maintenant, alors que vous vous rendez dans la Chine du 21e siècle, la méthode Valls voudrait nous plonger dans un revival idéologique projetant sur la France des libertés les mots d'un autre siècle, d'une autre histoire : ceux d'une mystérieuse « politique de peuplement » ! Encore la dérive de la description caricaturale du réel par des mots injustes. Gouverner c'est certes communiquer mais c'est surtout agir, faire, exercer sa responsabilité, trouver des solutions ! Ca n'est pas insulter l'histoire et le présent de son propre pays et condamner son avenir.

Investir au pays de l'Apartheid?

Qui voudrait investir au pays de l'Apartheid, qui voudrait venir étudier au pays de l'Apartheid, qui voudrait venir habiter au pays de l'Apartheid, qui voudrait venir ne serait-ce qu'un we au pays de l'Apartheid ... Qui voudra des Jeux Olympiques d'été en 2024 au pays de l'Apartheid !

La France demeure une terre où les opprimés de tous les apartheids, les vrais, viennent chercher protection, la France est une terre où de plus en plus nombreux d'autres citoyens du Monde arrivent pour tenter de trouver une dignité économique et sociale inatteignable chez eux. Nos concitoyens, nos voisins européens et tous les autres qui regardent la France encore et toujours comme un pays référence des combats démocratiques le savent : une grande partie de l'avenir du Continent européen se jouera en France et avec les Français. Leurs leaders qui sont venus marcher à leurs côtés le 11 janvier dernier le pensent aussi. Et vous, monsieur le Premier ministre ?

 *Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals