Grèce : histoire d'une erreur européenne

Par Céline Soulas  |   |  817  mots
La Grèce va-t-elle, désormais, trouver un nouveau modèle économique? par Céline Soulas, Enseignant-chercheur au Groupe ESC Dijon-Bourgogne

 Octobre 2009. La Grèce se réveille avec la gueule de bois. Papandreou, nouveau premier ministre, annonce un déficit public supérieur à 10% et une dette publique avoisinant les 115% du PIB. Beaucoup accuseront derrière ces chiffres une politique fiscale laxiste et l'incivisme grec. C'est en tous les cas le début de la crise grecque.

Les banques du pays ne sont pas en reste dans ce qui s'annonce comme une débâcle économique : elles manquent de liquidités après leurs nombreux placements dans les subprimes et ne peuvent donc plus alimenter le circuit économique. Consommation et investissement tournent au ralenti.

 Défaillance de l'UE face à la Grèce

 À partir de 2010, l'Union Européenne prend réellement acte de la situation. En créant un Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF devenu le Mécanisme Européen de Stabilisation MES), les pays membres se dotent enfin de moyens pour venir en aide aux pays en difficulté. Mais l'Union Européenne tarde trop, tergiverse trop. Les marchés financiers ont dès le départ identifié le talon d'Achille de notre Europe : la Banque Centrale Européenne (BCE) n'a pas le droit de financer directement les États et la solidarité financière entre États membres est interdite conformément au traité de Lisbonne.

Alors, les marchés financiers s'en donnent à cœur joie. Face au risque de défaut de paiement de la Grèce, les taux d'intérêt à long terme augmentent. Au plus fort de la crise, le pays emprunte à hauteur de 28%, dans le but de financer son déficit public et le renflouement de ses banques. Une dynamique spéculative se met en ordre de marche et continue le travail de sape de l'économie grecque : les baisses de la note du pays, via les agences de notation, augmentent les taux d'intérêt à 10 ans et donc le risque de défaut de paiement. C'est ce que les économistes appellent les anticipations auto-réalisatrices des marchés.

Quand l'Union Européenne se décide à financer la Grèce, les conditions d'aide et d'utilisation du FESF sont drastiques. L'austérité et ses 8 plans successifs laissent le pays à genou, entre émeutes, destruction du service public, anéantissement du système de protection sociale et une pression fiscale sans commune mesure.

 Le réveil tardif de la BCE

 Dérogeant à ses prérogatives institutionnelles, la BCE se réveille à son tour via le rachat des titres de dettes de la Grèce. Mais il est déjà trop tard ; les marchés financiers et le FESF ont enclenché la marche de l'austérité coûte que coûte. Face à un gouvernement grec pieds et poings liés, la crise économique aggrave le chômage, lui faisant atteindre des niveaux record (26,1% de la population active en juillet 2014).

La baisse de la consommation, consécutive à la baisse du revenu disponible (via l'augmentation des impôts, la baisse des allocations sociales, le chômage) emporte avec elle la chute de l'investissement. La limitation des crédits bancaires est venue renforcer les faibles demandes de consommation et d'investissement ; les entreprises ont alors vu leurs débouchés fondre comme neige au soleil et ont mis un dernier coup de grâce au marché de l'emploi. CQFD.

 La révolte du peuple Grec

 Alors comment relancer la croissance économique dans ces conditions ? Comment se donner les moyens de relever la tête quand le poids de la dette ne cesse de croître sous l'effet de la charge des intérêts notamment ? Au final, les restrictions budgétaires, en provoquant une baisse de la production, une baisse des recettes fiscales et une dégradation du taux d'endettement, n'ont pas réussi à rassurer les marchés et la Grèce n'en peut plus de la pauvreté et des inégalités croissantes.

 Revoir les remboursements de dette

Janvier 2015. Voici donc Alexis Tsipras à la tête d'un gouvernement d'extrême gauche et c'est l'Europe de l'austérité qui se réveille à son tour avec la gueule de bois. La question épineuse de la dette publique est évidemment la priorité absolue : moratoire et renégociation des emprunts sont les outils à la disposition du Syriza.

C'est à la seule condition d'avoir revu les remboursements de dette publique en cours que la Grèce pourra se redonner les moyens de sa renaissance économique et remettre sur pied un État « providence », censé protéger les plus faibles et promouvoir l'équité et la paix sociale.

L'histoire reste à écrire. La Grèce saura peut-être trouver un nouveau modèle économique, moins destructeur que le capitalisme actuel, qui comme tout système économique lorsqu'il est poussé à bout, n'offre guère de perspectives à l'être humain.

 Et sur les traces de la Grèce, demain, l'Espagne s'engagera peut-être elle aussi sur le chemin de la révolte citoyenne.

Céline Soulas, Enseignant-chercheur au Groupe ESC Dijon-Bourgogne