Flexisécurité : peu de valeur économique et pas d'emplois durables

Par Gilles Lecointre  |   |  965  mots
La flexisécurité favorise le développement des emplois précaires
Combinaison de flexibilité de l'emploi et de protection des salariés, la fléxisécurité semble faire l'unanimité. Il faut relativiser ses effets positifs: elle ne créerait pas plus de croissance que d'emplois durables. Par Gilles Lecointre, entrepreneur, professeur à l'Université de Paris Ouest et enseignant à l'Essec

Tous les « experts » s'accordent avec les politiques pour considérer que le redémarrage de l'économie et de l'emploi passera par davantage de flexibilité dans le contrat de travail.  Des contrats de travail plus courts, des contrats plus souples et faciles à rompre est-ce une bonne idée ?  Si l'on a comme seul horizon le très court terme, on peut imaginer que de telles facilités aideront l'embauche. La prise de risque de l'employeur étant très faible, il y aura bon nombre d'entre eux qui profiteront de cette aubaine.
Mais, ces contrats « allégés » créeront-ils suffisamment de valeur économique pour booster l'emploi à grande échelle ?

Des emplois précaires, pour répondre à un problème ponctuel


Cette question trouve sa réponse dans l'examen de la nature de ce type de contrats. Ce sont presque toujours des emplois précaires dont l'objectif est de résoudre, à moindre coût, un problème ponctuel d'organisation : absence, congés, surcharge saisonnière d'activité, mission de courte durée nécessitant une compétence n'existant pas dans l'entreprise, calage des horaires de travail sur des flux suffisants de clientèle, test d'une idée sans prise de risques, etc...
Bien sûr, ce type de contrats est utile car toutes les entreprises ont à gérer des situations de frictions temporaires qui rendent nécessaires l'appel à une main d'œuvre intérimaire.
Mais faut-il pour autant compter sur leur généralisation pour créer les conditions d'une reprise économique générale et l'amélioration du niveau de l'emploi?

Des emplois défensifs

Je pense que non. Et il y a deux raisons à cela :
- Première raison : la création d'emploi durable repose sur la création de richesses qui dépend elle-même de la création de produits ou de services innovants. La mise sur le marché de ces produits va générer un double mouvement, d'investissement (augmentation de l'offre), puis d'achats (augmentation de la demande). De ce cercle vertueux résultera une augmentation importante et durable de l'emploi. A contrario la flexisécurité, ayant comme motivation économique principale l'allègement maximal des coûts de production, crée surtout des emplois « défensifs ». Elle protège temporairement l'offre mais ne crée pas de nouvelle demande significative et donc, n'améliore pas le niveau général de l'emploi à long terme.

- Seconde raison : la création de valeur en économie nécessite deux conditions : la confiance et le temps. La confiance d'abord pour inciter les banques à financer des produits innovants. Les banques seront-elles davantage rassurées par la présence de salariés non-permanents et par la frilosité des entrepreneurs à investir dans le « capital humain » ? La confiance encore, pour réunir et entraîner les équipiers qui vont chercher, trouver, mettre en œuvre ces produits nouveaux. Peut-on sérieusement envisager de rendre solidaires et donc parties prenantes du projet d'entreprise des salariés qui sont appelés à leur poste dans le cadre d'horaires raccourcis, variables et insuffisants pour leur permettre de vivre correctement?

Vous allez sans doute m'objecter qu'il faut distinguer les salariés dits « responsables » qui doivent être des permanents et les simples exécutants. Je vous répondrai à cela deux choses : d'une part la flexisécurité est envisagée aussi pour les cadres (notamment pour ce qu'on appelle les contrats de mission). D'autre part dans une entreprise (particulièrement dans les services, un secteur aujourd'hui prépondérant) ce qu'on appelle les « petites mains » sont parfois plus rares et plus précieuses qu'on ne le pense pour asseoir le sérieux et l'image d'une organisation.

Avoir du temps

Deuxième condition de la création de valeur en économie : le temps, nécessairement long, pour rendre "matures" les projets innovants. Or aujourd'hui nos économies sont orientées court terme : on pare au plus pressé, on zappe, on licencie pour améliorer son cours de bourse, on ne consolide pas, on investit de moins en moins.

Souvenons-nous à cet égard que le projet de la mission Rosetta a nécessité 10 ans de travail. Je m'appuierai sur cet exemple et tant d'autres réussites de projets entrepreneuriaux, pour faire une remarque à contre-courant. Non seulement la flexisécurité, même si elle peut être utile à brève échéance, ne résoudra pas le problème de l'emploi, mais il faut réfléchir dans le sens opposé.

Soutenir les investissements de rupture, avec des contrats de travail longs et stables

Il convient de soutenir les investissements de rupture, ceux qui modifient l'offre et seuls créent l'emploi. Et Il faut en même temps favoriser l'émergence de contrats de travail longs et stables qui traduiront la confiance que nous avons dans notre avenir et dans les équipes qui mettent en œuvre les vrais changements. C'est déjà le cas dans beaucoup de PME qui non seulement conservent leurs emplois sur une longue période mais qui aussi créent 80% des emplois et des innovations.
J'avais appelé cela, dans un livre récent, (« Pour en finir avec l'emploi jetable ») le CELT, contrat d'emploi à long terme. Réapprenons à travailler ensemble, employeurs et employés, dans la durée et avec des obligations économiques mais aussi morales réciproques. On ne construit pas une maison sur du sable, même si les experts veulent nous le faire croire. La flexibilité, pourquoi pas, mais dans le cadre de relations de long terme et qui donnent un horizon de vie possible à tous les acteurs. Pour fonctionner l'économie a besoin d'engagement de toutes les parties de son moteur, et l'engagement ne peut s'obtenir que par l'adhésion à un projet dans le temps.
Comme le dit si bien Erik Orsenna « l'urgence c'est le long terme ».


Gilles LECOINTRE
Entrepreneur, Professeur à l'Université de PARIS Ouest et enseignant à l'ESSEC