Ce que les objets connectés peuvent apporter aux banquiers et assureurs

De la maison à la voiture connectée, le monde de l'assurance se prépare à adopter une série d'objets. Les banques misent surtout sur le smartphone. Par Sylvain Martinez-Gil, Manager Retail Banking, Investance

Plus de 20 ans après, le World Wide Web n'a jamais aussi bien porté son nom. Notre quotidien, notre activité, nos objets, tous sont pris dans la toile. Notre vie entière et nos interactions avec le monde ne pourront résister au piège de la soie, gluante et connectée.
L'Internet des objets, "Internet of Things", semble être le digne représentant d'une future révolution technologique, économique et sociale. Nous en serions juste à l'aube. Fantasme absolu d'une science-fiction pas si ancienne que cela, le monde ultra-connecté, artificiellement intelligent, contrôlé par des multinationales à position quasi-dominante, existe déjà en réalité et se développe de manière exponentielle. Vêtements et accessoires (wearables), moyens de transports, maison et mobilier, sport et santé, loisirs...la plupart des études visent dorénavant entre 50 et 80 milliards d'objets connectés dans le monde en 2020. En plein virage digital, les acteurs de la finance ont tout intérêt à bien négocier les objets connectés sur leur route.


"Internet of Things, of Everything" : révolution dans l'usage et la tarification?

Les nouveaux comportements et usages des clients, ainsi que la masse de données disponible inhérente, impliquent des transformations digitales inéluctables pour les acteurs de la Banque et de l'Assurance. Les objets connectés n'échappent pas aux réflexions et expérimentations actuelles, mais force est de constater qu'au-delà d'une technologie nouvelle au design sémillant, la proposition de valeur bancaire est plutôt floue.
Pour la clarté d'usage, les assureurs, et par extension les « bancassureurs », s'en sortent plutôt mieux et nous promettent de faciliter les tracas quotidiens, d'optimiser leur tarification individuelle, voire de prévenir les sinistres :
- Pour les automobiles et motos connectées, la prime d'assurance s'ajuste en fonction des kilomètres parcourus, des routes empruntées, et de la manière de conduire, autour du principe du « Pay how you drive ». En vous alertant sur certains points névralgiques de l'état du véhicule, des accidents sont prévenus. En cas de sinistres, réaliser un constat dématérialisé (e-constat), et transmettre instantanément les informations et photos, accélèrent le traitement de l'expertise et des réparations, limitent les mauvaises interprétations de responsabilité. Et puis prévenir le vol en détectant, « géolocalisant » et alertant instantanément propriétaire et assureur (Antivols connectés TEO ou I-Close).

- Pour les maisons connectées, signaler un début d'incendie en votre absence, couper automatiquement l'alimentation d'eau en cas d'inondation détectée, surveiller et limiter les intrusions : une démarche gagnante pour l'assuré ainsi que pour les assureurs. Quelques-uns investissent le marché de la domotique à l'instar de Crédit Mutuel Protection Vol, Cardif Habit@t en Italie, et le partenariat d'Axa Assistance avec la solution MyFox.
- Pour la santé connectée, suivre l'activité cardiovasculaire, la température, le taux de glycémie, contrôler la prise de pilule, pouvoir alerter d'urgence en cas d'incident, limiter la dépendance. Au final, adapter la prime d'assurance en fonction de l'activité physique ou effectuer des remises après une année saine de corps et d'esprit. Même pour les animaux, identifier rapidement des problèmes de santé, contrôler et réguler leur alimentation.

Image, tarification, côté client,  et maîtrise de risques, côté assureur

Ces exemples, non encore généralisés au quotidien, existent déjà et fonctionnent. Mêlant intelligence et efficacité, via ses différents capteurs, traitement des informations, et capacité à interagir instantanément avec le monde extérieur, l'objet connecté est ici au service d'enjeux financiers, de confort, et de sécurité. Ces enjeux sont au cœur de l'activité des Assurances dans un contexte ultra-concurrentiel : pour l'image et la tarification côté Relation Client, la maitrise et la gestion des sinistres côté Risques.

Objet connecté Bancaire Non Identifié

Du côté de la Banque de Détail pure, apporter de la valeur bancaire à l'Internet des Objets semble plus difficile à imaginer. Les initiatives de co-création et les « hackathon » dans ce domaine en sont symptomatiques. Le sujet est alors traité dans un seul sens : Il y a d'abord des objets connectés intelligents et ludiques, par exemple les nouvelles montres « smartwatch », quel service ou application bancaire pouvons-nous proposer ? Les premières réponses classiques et naturelles sont celles de la consultation de soldes et de la notification d'alertes, soit l'équivalent de ce qu'offre un smartphone, lui-même déjà portable et porté, et qui va souvent de pair avec la montre. Peu convaincant pour le moment. Coutumier du fait, rien ne dit cependant que l'arrivée sur ce marché de l'Apple Watch en avril ne change pas la donne.
Les expérimentations sur les Google Glass ne révolutionnent pas non plus l'usage : qu'elles soient portées par le conseiller ou le client, elles prolongent simplement, dans le cas d'une relation bancaire, les informations d'un écran déjà existant ou les capacités déjà probantes du smartphone : identification, géolocalisation, prise de photos, etc. Sans doute une des raisons du virage stratégique actuel de Google.
A ce stade des réflexions, dans les exemples cités, le support est nouveau, l'expérience également, mais pas l'usage ni l'utilité, l'effet « mains libres » ne suffit pas, sans parler de l'esthétique dont la notion est subjective. Dans les rapports humains, les Google Glass peuvent également troubler la communication et la confiance établie, surtout du côté de celui qui n'en portent pas.

Le smartphone, objet connecté ultime pour les banquiers

Force est de constater que le smartphone reste l'objet connecté ultime au potentiel sans doute non encore totalement exploité par les Banques. Il centralise à lui seul toutes les capacités technologiques modernes : téléphone, internet, appareil photo, caméra, géolocalisation, capteurs d'activité, stockage, communication en champ proche, biométrie, etc. au service d'applications aux usages multiples. Car en réalité, la technologie est secondaire pour l'utilisateur, elle est appelée en tâche de fond, elle est le support de l'usage, elle prend tout son sens lorsqu'elle reste discrète et devient naturelle au quotidien.
Sans utilité concrète, sans être adapté à la vie réelle et réaliste de son propriétaire, l'objet connecté finira par prendre la poussière au grenier, quelques jours après l'effet « waouh ». Pour les Banques, il s'agit d'être crédible, il y a un risque d'image à proposer des choses tous azimuts sans valeur, mais dont le client sait pourtant qu'elles ont un coût à supporter.
En la matière, il n'y a pourtant pas en Banque la barrière de l'individualisation du traitement du client, contrairement aux Assurances qui préfèrent, par principe de base, mutualiser et faire adhérer collectivement.

Assumer la promesse derrière l'objet

Le Digital a tendance à mettre le focus sur l'expérience exclusivement, le piège étant d'oublier clairement ce pourquoi le client a besoin de sa Banque. Il faut prendre sa part du marché connecté, certes, mais place d'abord au banquier. La bonne démarche serait donc d'identifier l'apport de valeur métier avant d'en imaginer la meilleure expérience, sans y mettre de barrières préalables. L'objet connecté n'est alors qu'un potentiel support, qui trouve sa place ou non une fois qu'on a pris de la hauteur sur l'expérience et le parcours client global.

A vouloir à tout prix maîtriser l'usage, le risque de ne plus rien imaginer

D'un autre côté, le risque, à vouloir à tout prix maîtriser l'usage, est de ne rien imaginer du tout, car par définition, au-delà des problématiques d'assurance, le produit d'une Banque n'est pas tangible, d'où la difficulté d'intégrer l'objet dans un processus bancaire traditionnel.
La notion de confort, très présente en domotique, est souvent une notion sous-estimée. Il est par exemple possible de faciliter le quotidien des clients rien qu'en signalant l'éloignement trop important entre une carte de paiement et son smartphone, ou plus facilement entre le porte-carte et son smartphone.
Il est également possible d'assumer l'aspect exclusivement ludique de surface de l'objet connecté.
Participer à égayer le quotidien d'un individu, d'un foyer, tout en développant le capital sympathie d'une marque, d'une Banque en l'occurrence, pourquoi s'en passer ?
Imaginez une tirelire connectée, au design moderne et interactif, adossée à un véritable compte sur livret, les deux parties vendues en package lors de l'entrée en relation d'un enfant du foyer. Une application mobile associée permettrait de paramétrer un projet d'achat à sa guise (console de jeux, tablette, chaussures de football...), et la tirelire rendrait compte visuellement du niveau actuel d'épargne avant d'atteindre l'objectif convoité.
Un virement reçu sur le compte impacterait directement la jauge visuelle de la tirelire. L'application permettrait aux parents de déposer instantanément 5 euros en approchant directement le smartphone de la tirelire, ou bien ils saisiraient l'objet pour rêver de leur prochain grand voyage, ainsi la Banque anticiperait la commande de devises. Si c'est une voiture, elle rebondirait commercialement sur le crédit et l'assurance. Elle pourrait même y verser du "cashback" de fidélité, accompagné d'un son « jingle » reconnaissable entre tous.
Au-delà de l'aspect ludique, une vraie sensibilisation pédagogique de l'épargne est réalisée, un des fondamentaux de la Banque. Et par effet tiroir, l'intérêt commercial de la Banque apparait : conquête, vivier, connaissance, rebond. Il n'y a pas de règle prédéfinie dans le processus de créativité marketing.

Penser concret, à l'heure de la dématérialisation

De manière ironique, l'Internet des Objets oblige à penser concret au moment où les Banques pensent surtout dématérialisation. Au-delà de ce marché particulier des objets connectés, les modèles relationnels et opérationnels traditionnels sont dans l'oeil du cyclone Digital et les schémas directeurs stratégiques des Banques seront plus que jamais sur le fil des enjeux. Déjà les phases de réflexion semblent trop longues par rapport à l'agilité nécessaire de nos jours. L'effet « percolateur » risque d'en surprendre plus d'un. Il sera alors trop tard pour ouvrir les esprits et cultiver l'innovation digitale.
Côté technologie, le smartphone a clairement révolutionné les usages et comportements bancaires, et ce qui se prépare autour de la réalité virtuelle et augmentée, tel que l'Hololens de Microsoft, mais aussi autour des nouveaux écrans fins comme du papier et flexibles, risque fortement de participer aux turbulences dans les modèles relationnels actuels et futurs.

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Commentaires 8
à écrit le 11/02/2015 à 13:21
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"Déjà les phases de réflexion semblent trop longues par rapport à l'agilité nécessaire de nos jours. L'effet « percolateur » risque d'en surprendre plus d'un. Il sera alors trop tard pour ouvrir les esprits et cultiver l'innovation digitale" : alors,...

à écrit le 11/02/2015 à 13:10
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Bien pratique mais sans confiance!

à écrit le 11/02/2015 à 12:50
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PAYEZ PRESQUE 100EUROS POUR FAIRE GEREZ SONT COMPTE PAR UNE BANQUE C EST DEJA DE L ABUS? CAR ELLES FAIS DU FRIC AVEC NOTRE ARGENT NON RENUMEREZ? ?ILS VEULENT TOUS LE BEURRE EST L ARGENT DU BEURRE? AVEC LES OBJETS CONNECTEZ ILS AURONT MEME LA CREMIERE...

à écrit le 11/02/2015 à 10:49
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Si les "gens"sont prêts à accepter toutes ces inutilités, je comprends qu'ils acceptent aussi facilement les thèses du FN. Les objets connectés, ou comment se laisser pourrir une vie passablement difficile supervisée par Big Brother

le 11/02/2015 à 12:45
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EXAT? QUE DEVIENT LA LIBERTE INDIVIDUELLE DANS TOUS CELA? ??

le 21/02/2015 à 21:17
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On peut etre pro domotique ou objet connecté et vomir les thèses du FN. C est mon cas. Ceci etant dis je ne vois pas trop le rapport avec l article. Une critique de big brother arrivant a grand eut été plus intelligente.

à écrit le 11/02/2015 à 10:13
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Excellent article dont le monde de la finance devrait s'inspirer en termes d'innovation !

le 11/02/2015 à 16:17
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Excellent article dont le péquin moyen devrait s'inspirer en termes de dangers divers et variés d'innovations toujours à sens unique : tondre toujours plus des clients transformés en troupeau de moutons !

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