Paiement sans contact : un échec logique en France

Par Quentin Bardet  |   |  998  mots
Le paiement par mobile, sans contact, n'apporte pas un avantage suffisant par rapport à la carte bancaire, qui règne en France sans partage. par Quentin Bardet, directeur de marché, Viséo

Le secteur du paiement, qui pèse pas moins de 22 milliards d'euros pour le marché français, est en ébullition : Apple Pay, la récente initiative d'Apple, ne vient qu'ajouter un élément de plus dans ce marché qu'on annonce en pleine transformation sous l'effet des efforts réglementaires (par la mise en place de l'Europe des paiements SEPA), des innovations technologiques (du sans contact aux paiements mobiles), des usages (le développement du paiement en ligne, l'usage des e-wallets) ou encore des initiatives d'acteurs non bancaires (les cagnottes, les comptes prépayés).

Les usages suivent l'offre... en Afrique

Pourtant, la révolution sans cesse annoncée tarde en France à se concrétiser en matière de paiement mobile : si nous avons bien vu se multiplier des offres, de Buyster à Paylib, les usages ne semblent pas suivre l'offre. A ce titre, il est étonnant de constater l'avance de l'Afrique en matière d'adoption de nouveaux modes de paiement mobile. Cette incroyable diffusion du paiement mobile en Afrique nous éclaire sur les facteurs de succès de cette innovation.

C'est un fait connu, le paiement mobile a aujourd'hui trouvé sa place en Afrique. Il arrive du Kenya où la pénétration de cette innovation est forte : 30 % des transactions sont réalisées depuis un mobile. Au-delà des chiffres, quelques exemples frappants et pittoresques illustrent la diffusion de la technologie : les lieux de culte acceptent le paiement par mobile lors des quêtes et c'est un moyen de paiement recherché par les prostituées qui le trouvent plus sûr que les paiements en espèce.

Lancé par Safaricom, filiale de Vodafone au Kenya, le système repose sur les téléphones mobiles de seconde génération. En ouvrant un compte de paiement sur sa carte SIM et en déposant de l'argent auprès d'un correspondant de son opérateur, le client peut transférer des fonds, payer une facture, retirer des espèces ou épargner par un simple code USSD envoyé par texto. Le principe est simple, même s'il gagne aujourd'hui en richesse : on peut y faire virer son salaire, solliciter un micro-emprunt, transférer de l'argent de pays occidentaux... Safaricom réalise 20% de ses revenus grâce à ces services et son succès a fait des émules : Fabrice ANDRE, Senior Vice President Asia and West Africa d'Orange AMEA, indiquait qu'Orange, qui a lancé ce service dans 13 pays à ce jour, vise 30 millions de souscriptions à la fin de l'année. Des défis restent à relever : l'illettrisme est un frein, l'interopérabilité n'est assurée qu'en Tanzanie, les banques sont réticentes à adosser les services faute de savoir garantir le respect des réglementations de lutte contre les fraudes et le blanchiment, mais le point critique qui permet à une offre de dépasser le stade de l'amorçage est déjà derrière nous.

La démarche "leapfrog"

Plusieurs facteurs expliquent la diffusion rapide de l'innovation sur le continent Africain. Premier de ceux-ci, la faible bancarisation (on parle d'un taux de bancarisation de 11% en Afrique subsaharienne) qui appelle des systèmes de substitution pour faire circuler l'argent. Si le transport physique de fonds reste une réalité - l'argent est confié aux chauffeurs de lignes de bus pour effectuer des transferts d'une ville à l'autre - des évènements tels qu'une élection compliquée au Kenya en 2008, qui avait bloqué le pays, et donc son circuit monétaire, ont incité à chercher de nouvelles solutions.

Le m-paiement est ainsi venu compléter les moyens traditionnels de stocker et faire circuler de l'argent de façon simple et sécurisée. Le texto est devenu un moyen commode de payer pour les neuf africains sur 10 qui n'ont pas de compte courant - sachant que les téléphones mobiles, eux, sont diffusés auprès de 60% de la population. En somme, le retard africain en matière de bancarisation expliquerait son avance spectaculaire dans le segment du paiement mobile.

Quelles leçons pour le marché français des paiements?

En France, les paiements sur mobiles peinent à trouver leur place : les trois grands opérateurs téléphoniques et Atos ont échoué à lancer ensemble Buyster, une solution liant une carte bancaire au mobile. Crédit Agricole délaisse sa solution Kwixo pour rejoindre une solution de place, Paylib, qui doit encore montrer sa capacité à s'imposer dans cet environnement très disputé et ardu.

Le règne de la carte bancaire

La France se distingue par la très forte utilisation de la carte bancaire (43 % des transactions hors espèces). Ce moyen de paiement, interopérable (nul besoin pour le client de chercher un commerçant affilié à la même banque que lui), sécurisé et simple d'usage, s'est imposé à tel point qu'une solution concurrente doit démontrer un intérêt d'usage très élevé pour lui être préféré. A l'instar de Buyster, les systèmes proposés en France par les opérateurs bancaires ou téléphoniques ne déméritent pas quant à leur qualité intrinsèque ou leur caractère innovant, mais comparé à la simplicité d'usage de la carte, ils n'apportent pas un gain d'usage suffisant pour valoir leur coût, ou simplement l'effort ou la crainte de changer d'habitude.

Aussi, nous faisons le pari que sauf à compter sur les effets de mode, qu'Apple parvient parfois à initier sur le seul attrait de sa marque, les nouveaux moyens de paiement auront du mal à se lancer dans un pays si adepte des cartes à puce, la mère patrie de Gemalto. Taper un code sur son smartphone plutôt que sur le clavier d'un terminal de paiement n'apporte pas un bénéfice suffisant dans l'expérience ou la sécurité pour le client. Nos innovations pâtissent du confort des moyens de paiement depuis longtemps à la disposition des français. Le marché français du paiement est condamné à se détourner de l'innovation incrémentale pour se jeter à l'eau et pleinement sauter dans une « leapfrog innovation ».