Les Enfoirés, les privilèges des anciens et le chômage des jeunes

Les Enfoirés disent aux jeunes: battez vous! Mais les barrières ne sont-elles pas trop hautes, en France, pour entrer sur le marché du travail? Mieux vaudrait s'inspirer des réformes récentes en Italie. par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs d'économie à l'ESSEC

Dans la nouvelle chanson des Enfoirés, « Toute la Vie », un groupe de jeune crie son indignation et en face d'eux, les Enfoirés leur répondent « à chaque génération de travailler dur pour s'en sortir ». Cette chanson aborde la question intéressante de savoir si la génération des « parents » a une responsabilité dans la situation difficile des jeunes en matière de chômage ou bien si c'est à chaque génération de prendre en main son destin dans le contexte particulier et les difficultés propres à son époque.

Si nous ne pouvons qu'approuver le message de responsabilité individuelle et applaudir à la conversion des Enfoirés à l'économie de l'offre, il faut cependant examiner si le contexte organisationnel et légal actuel, ne créerait pas des entraves spécifiques pesant sur l'action individuelle et donc sur le devenir des jeunes. De ce point de vue il est indéniable qu'en France l'environnement n'est pas porteur pour l'initiative individuelle, la création d'entreprises et l'innovation et les jeunes en sont les victimes les plus visibles.

Un nombre élevé de jeunes ni en activité ni en formation

En effet, selon les statistiques de la DARES, non seulement leur taux de chômage est nettement supérieur à la moyenne nationale, mais également un nombre élevé de jeunes n'est ni en activité ni en formation. D'après les chiffres de 2012, sur les 53,7 % des jeunes âgés de 15 à 29 ans qui étaient sur le marché du travail, 44,0 % occupaient un emploi et 9,7 % étaient au chômage. 15 % des 15-29 ans ne n'étaient ni en emploi, ni en formation initiale ou continue. Ce dernier phénomène, connu sous l'acronyme de NEET (« Not in Education, Employment or Training ») existe dans de nombreux pays mais est particulièrement aigu en France. Si on s'intéresse spécifiquement au chômage des jeunes, il nous apparaît clairement qu'une cause majeure mais pas unique de cette situation est attribuable à un marché du travail rigide à structure duale.

Il y a d'un côté les travailleurs en CDI, bénéficiant d'une protection juridique de l'emploi significative (86.6% de l'emploi total en 2012), et d'un autre côté les travailleurs employés en CDD ou autres formes de contrats temporaires. La pluparts des contrats proposés aux jeunes entrants sur le marché du travail sont de ce dernier type.

Le CDI, une protection de l'emploi aux "privilégiés"

Le CDI donne une protection de l'emploi aux « privilégiés » qui en bénéficient et les syndicats le défendent bec et ongles. Il crée en contrepartie à la fois du chômage et de la précarité. En effet, lorsque l'entreprise sait qu'en cas de retournement de son activité elle ne pourra pas ajuster ses effectifs, elle court un risque économique si elle embauche en CDI. De plus, s'il est compliqué de se séparer d'une personne qui ne fait pas l'affaire sur un poste, cela va amener les recruteurs à limiter au maximum les risques d'erreur de casting. De fait, on observe un renforcement draconien de la sélection à l'embauche qui à son tour conduit les jeunes à chercher à accumuler des diplômes pour se signaler comme compétents aux yeux des futurs employeurs.

Un salaire minimum unique parmi les plus élevés

Cette méthode est en soi discriminante, car la capacité à soutenir des études longues, dépend en partie de la situation financière des familles. Aux effets néfastes de cette rigidité contractuelle se rajoute l'effet d'exclusion des jeunes causé par le salaire minimum unique, parmi les plus élevés d'Europe. Il est évident que le Smic unique se fait au détriment des embauches des travailleurs les moins expérimentés donc au détriment des jeunes peu diplômés, ou titulaires d'un diplôme considéré comme peu prestigieux ou déconnecté des besoins des entreprises.

Puisque certaines des causes de l'exclusion des jeunes du marché du travail sont connues, celle-ci n'est donc pas une fatalité.

 En Italie, un nouveau contrat de travail unique

En Italie, qui connaît des problèmes similaires, le gouvernement Renzi vient d'adopter le 20 février plusieurs décrets dont la principale mesure est la création d'un contrat de travail unique, à « protection évolutive » ou Contratto a tutele crescenti qui s'appliquera, à quelques exceptions près, à toutes les nouvelles embauches dans le secteur privé. Dorénavant, l'employeur pourra terminer un contrat de travail à tout moment. En cas de litige, si le licenciement est estimé injustifié, il devra payer une indemnité proportionnelle à l'ancienneté (deux mois de salaire par année d'ancienneté), d'un maximum de deux ans de salaire, mais ne devra plus réintégrer l'employé en question. Ce changement met un terme à une pratique vieille de 45 ans, où la perspective de réintégration bloquait de facto un grand nombre d'ajustements d'effectifs.

Le décret du 20 février définit aussi une procédure de conciliation avec l'objectif d'éviter les coûts de justice. Elle prévoit une indemnité d'un maximum de 18 mois, exonérée de toute fiscalité. En l'acceptant, l'employé licencié renonce à son droit d'aller en justice. Ce mécanisme de paiement d'une compensation pour un licenciement s'appliquera aussi aux licenciements collectifs, dont le coût devient maintenant transparent pour l'employeur qui souhaite réduire ses effectifs.

Les compromis de Matteo Renzi

Matteo Renzi a dû faire des compromis pour réussir à faire passer une reforme aussi révolutionnaire et a consenti à ne pas inclure les employés du secteur public. De plus, la nouvelle règle va s'appliquer aux nouveaux contrats, mais pas aux contrats en place. Ceci pourrait entraver la mobilité volontaire, puisque les gens ne voudront ne pas renoncer à un contrat protégé pour un nouveau contrat.

En France, le pouvoir aux juges

En France, non seulement le code du travail rend difficile la réduction des effectifs si la situation financière de l'entreprise n'est pas catastrophique, mais aussi il donne un pouvoir de décision à des juges, par nature ignorants en matière de gestion des entreprises, basé sur leur appréciation de la situation économique des firmes qui licencient. À chaque législature successive, le code du travail s'est graduellement alourdi et a dérivé vers de plus en plus de complexité, d'opacité, et de contraintes. L'esprit dirigiste qui anime nos hommes politiques et leur incompréhension des mécanismes de marché constituent le fondement culturel sur lequel cette complexité a proliféré.

Les Enfoirés ont la certitude que travailler dur permet à n'importe qui de pouvoir s'en sortir et se réaliser. C'est généralement vrai, mais pour cela, encore faut-il avoir l'opportunité de déployer ses talents. Si c'est le cas des artistes qui disposent du statut particulier des intermittents du spectacle et dont certains bénéficient de revenus élevés, la génération qu'ils représentent continue de profiter de protection du CDI qui pèse sur la création d'emplois dont ont besoin les jeunes. La partie favorisée des jeunes ayant exprimé ses talents et goût pour l'étude dans de bons lycées puis des grandes écoles peut migrer vers des cieux plus ouverts à l'initiative privée, où ils pourront déployer leur créativité et leur dynamisme. Les autres sont face à ce marché du travail monolithique et au peu d'espoir de développement social. Certains vont se battre avec les contraintes du quotidien pour un résultat aléatoire. D'autres ont déjà baissé les bras et attendent une aide de l'Etat sous forme de RSA inconditionnel et d'emplois aidés.

Nos voisins allemands avaient montré la voie qu'empruntent aujourd'hui nos voisins transalpins. Souhaitons que ces derniers réussissent et que leur succès inspire enfin à nos dirigeants le courage de la réforme qui contribuera à libérer les nouvelles générations.

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Commentaires 28
à écrit le 06/03/2015 à 8:19
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S'il est encore temps pour réagir, je dirais que le problème est lié à la relation entre cout du travail et prix de l'énergie: un prix de l'énergie trop faible incite à réduire le travail, donc a créer du chomage. C'est ce qu'on appelle des gains de ...

à écrit le 04/03/2015 à 10:56
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Mais oui yakafokon ! Villepin avait créé le Contrat d'emploi jeune. On connait la suite. De toute façon le message c'est : il n'y a pas des jobs intéressants pour tout le monde en CDI; donc jeunes gens ne vous contractez pas, ça va faire mal par o...

à écrit le 04/03/2015 à 10:00
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Une bonne partie de Francais gagnerait a aller faire un stage de quelques annees aux USA, ou le CDI n'existe pas, la couverture chomage tres limitee, mais ou les charges sont egalement tres faibles. Les entreprises embauchent sans y reflechir a 3 foi...

à écrit le 04/03/2015 à 9:42
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Et envore bravo. Excellent article qui fait une synthese remarquable de la situation actuelle. il n'y a plus qu'a esperer qu'un Macron ou meme profil se mette au travail sur ce sujet.

à écrit le 04/03/2015 à 9:05
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On dirait du "Gattaz".

à écrit le 04/03/2015 à 0:08
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"Si nous ne pouvons qu'approuver le message de responsabilité individuelle et applaudir à la conversion des Enfoirés à l'économie de l'offre". Mais bien sur! le problème viendrait de l'offre aujourd'hui, un problème de manque d'innovation/de rigidit...

le 04/03/2015 à 11:12
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Le poncif de croire que les dettes ne sont pas fait pour etre remboursees est utilise juste par les gens qui comme vous veulent en creer encore plus afin de ne rien changer. 1) la dette est bien un mechanisme intergenerationel: j emprunte aujourd h...

à écrit le 03/03/2015 à 20:05
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Et cet article n'évoque pas le problème de l'immobilier, qui permet à un jeune retraité qui a acheté un bien défiscalisé, de se faire payer ses vacances à l'année par un jeune en cdd, qui a du mal à assurer ses fins de mois. Au même age, le jeune de...

à écrit le 03/03/2015 à 17:00
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Le probleme, c est que vivre avec le smic est en france souvent synonyme de pauvrete. alors baisser celui ci ne va pas arranger les choses. Il faudrait plutot reduire les prelevemenst sur les salaires et donc avoir un salaire net plus eleve et un cou...

à écrit le 03/03/2015 à 16:39
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Quand la politique de "la demande" n'est pas satisfaite, celle de "l'offre" est inopérante. Mettre l'homme au service de l'économie donne le constat actuel du tout concurrence!

à écrit le 03/03/2015 à 16:10
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Ce que nous repprochons aux boomers n'est pas l'état du marché du travail. Ce que nous leur repprochons ? 1) La dette qu'ils nous lèguent et qui la résultante de leur comportement consistant à reporter les réformes nécessaires aux lendemains, 2) les ...

le 03/03/2015 à 20:00
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j'ai aimer votre analogie sur les boomers, par contre pour votre solution a moins de travailler au black je voit pas comment ce serait applicable, surtout que black = pas de retraite ... c'est donc un cercle vicieux.

à écrit le 03/03/2015 à 15:27
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c'est certains qu'il faudra de l’énergie et du mérite aux jeunes pour payer notre dette et nos retraites

le 03/03/2015 à 15:57
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pq comme le commentaire l'indique :-) 1) je te signale tout de même que les gens cotisent pour la retraite et qu'il faut 42 ans de cotisation. 2) la dette s'accroit d'année en année et surtout récemment, ce ne sont donc pas uniquement les anciens qui...

à écrit le 03/03/2015 à 15:14
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fonctionnaires ou agents des entreprises publiques....est égal a salaires a vie + privileges de toute sortes

à écrit le 03/03/2015 à 15:12
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Ce ne sont pas les "jeunes" contre les "vieux" dans ce clip, sinon les jeunes chanteurs des Enfoirés (TAL, ZAZ etc) auraient rejoint les jeunes anonymes... Ce sont les privilégiés, qui n'y comprennent rien à la réalité de ce monde, contre ceux qui ga...

à écrit le 03/03/2015 à 15:08
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FONCTIONNAIRES....egal sa

à écrit le 03/03/2015 à 14:03
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Sauf que les seniors se retrouvent de plus en plus au chômage et galèrent pour retrouver un travail. Les temps ont changé. De toute façon, cette chanson, ce clip dans cette chanson/ce clip, ce n'est pas les plus vieux qui répondent aux plus jeunes. E...

à écrit le 03/03/2015 à 13:26
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Comme ils ont le ventre bien rempli et l`avenir derrière eux ils n`ont pas eu le courage de dire "Révoltez-vous!" Ces enfoirés ne sont qu`une bouffonnerie du show bizzz

à écrit le 03/03/2015 à 13:24
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Les enfoirés rejoignent la cohorte des nantis dans leurs convictions : il y a 5 millions de chômeurs, 400000 postes soit disant non pourvus mais il suffit de le vouloir pour que ces 400000 postes donnent du travail à 5 millions de personnes...

à écrit le 03/03/2015 à 13:24
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Bien entendu que chaque génération doit faire face à ses propres défis. Le problème, c'est qu'on a fait croire qu'avec un bac +2, tout était dû. Toutefois, le bac +2 actuel ne correspond même pas au certificat d'études d'antan et 2) les autres aussi ...

le 03/03/2015 à 16:11
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Ah ? Je pense qu'il va falloire que les caisses des complémentaires retraites soient vides avant que les vieux ne voient le vent tourné. On verra qui de nous 2 a raison :)

à écrit le 03/03/2015 à 13:18
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La responsabilité ce sont les enseignants qui sont en secondaire, ce sont eux qui montent le coup à nos jeunes, ils les conduisent droit vers le syndicalisme, ils les montent contre leur parents, ils ne faut rien dire aux jeunes , surtout pas leur fa...

à écrit le 03/03/2015 à 13:10
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Les entreprises; leurs rôles est de vendre , pour cela plusieurs pistes mais il faut qu in fine ce soit rentable ; résultat robotisation à outrance et diminution des postes de travail , rien à redire elles font le job . D un autre coté les politiques...

à écrit le 03/03/2015 à 12:59
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merci pour cet article!

à écrit le 03/03/2015 à 12:31
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"... un pouvoir de décision à des juges, par nature ignorants en matière de gestion des entreprises..." Ces litiges ne relèvent pas des prudhommes, issus des entreprises ? Pour le reste, que de clichés rebattus ! Quand s'occupera-t-on des vrais pro...

à écrit le 03/03/2015 à 12:20
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Le CDI et le salaire minimum encore responsable de tous les maux (heureusement on echappe a la tirade sur les fonctionnaires). Ce serait pas plutôt le manque de travail, tout simplement ?

le 03/03/2015 à 13:21
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Le manque du travail est une conséquence directe de la rigidité du marché du travail. Plus on libéralise plus il y a de l activité. Mais bon, c est certainement une conception trop libérale.

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