Les Enfoirés, les privilèges des anciens et le chômage des jeunes

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1303  mots
Les Enfoirés disent aux jeunes: battez vous! Mais les barrières ne sont-elles pas trop hautes, en France, pour entrer sur le marché du travail? Mieux vaudrait s'inspirer des réformes récentes en Italie. par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs d'économie à l'ESSEC

Dans la nouvelle chanson des Enfoirés, « Toute la Vie », un groupe de jeune crie son indignation et en face d'eux, les Enfoirés leur répondent « à chaque génération de travailler dur pour s'en sortir ». Cette chanson aborde la question intéressante de savoir si la génération des « parents » a une responsabilité dans la situation difficile des jeunes en matière de chômage ou bien si c'est à chaque génération de prendre en main son destin dans le contexte particulier et les difficultés propres à son époque.

Si nous ne pouvons qu'approuver le message de responsabilité individuelle et applaudir à la conversion des Enfoirés à l'économie de l'offre, il faut cependant examiner si le contexte organisationnel et légal actuel, ne créerait pas des entraves spécifiques pesant sur l'action individuelle et donc sur le devenir des jeunes. De ce point de vue il est indéniable qu'en France l'environnement n'est pas porteur pour l'initiative individuelle, la création d'entreprises et l'innovation et les jeunes en sont les victimes les plus visibles.

Un nombre élevé de jeunes ni en activité ni en formation

En effet, selon les statistiques de la DARES, non seulement leur taux de chômage est nettement supérieur à la moyenne nationale, mais également un nombre élevé de jeunes n'est ni en activité ni en formation. D'après les chiffres de 2012, sur les 53,7 % des jeunes âgés de 15 à 29 ans qui étaient sur le marché du travail, 44,0 % occupaient un emploi et 9,7 % étaient au chômage. 15 % des 15-29 ans ne n'étaient ni en emploi, ni en formation initiale ou continue. Ce dernier phénomène, connu sous l'acronyme de NEET (« Not in Education, Employment or Training ») existe dans de nombreux pays mais est particulièrement aigu en France. Si on s'intéresse spécifiquement au chômage des jeunes, il nous apparaît clairement qu'une cause majeure mais pas unique de cette situation est attribuable à un marché du travail rigide à structure duale.

Il y a d'un côté les travailleurs en CDI, bénéficiant d'une protection juridique de l'emploi significative (86.6% de l'emploi total en 2012), et d'un autre côté les travailleurs employés en CDD ou autres formes de contrats temporaires. La pluparts des contrats proposés aux jeunes entrants sur le marché du travail sont de ce dernier type.

Le CDI, une protection de l'emploi aux "privilégiés"

Le CDI donne une protection de l'emploi aux « privilégiés » qui en bénéficient et les syndicats le défendent bec et ongles. Il crée en contrepartie à la fois du chômage et de la précarité. En effet, lorsque l'entreprise sait qu'en cas de retournement de son activité elle ne pourra pas ajuster ses effectifs, elle court un risque économique si elle embauche en CDI. De plus, s'il est compliqué de se séparer d'une personne qui ne fait pas l'affaire sur un poste, cela va amener les recruteurs à limiter au maximum les risques d'erreur de casting. De fait, on observe un renforcement draconien de la sélection à l'embauche qui à son tour conduit les jeunes à chercher à accumuler des diplômes pour se signaler comme compétents aux yeux des futurs employeurs.

Un salaire minimum unique parmi les plus élevés

Cette méthode est en soi discriminante, car la capacité à soutenir des études longues, dépend en partie de la situation financière des familles. Aux effets néfastes de cette rigidité contractuelle se rajoute l'effet d'exclusion des jeunes causé par le salaire minimum unique, parmi les plus élevés d'Europe. Il est évident que le Smic unique se fait au détriment des embauches des travailleurs les moins expérimentés donc au détriment des jeunes peu diplômés, ou titulaires d'un diplôme considéré comme peu prestigieux ou déconnecté des besoins des entreprises.

Puisque certaines des causes de l'exclusion des jeunes du marché du travail sont connues, celle-ci n'est donc pas une fatalité.

 En Italie, un nouveau contrat de travail unique

En Italie, qui connaît des problèmes similaires, le gouvernement Renzi vient d'adopter le 20 février plusieurs décrets dont la principale mesure est la création d'un contrat de travail unique, à « protection évolutive » ou Contratto a tutele crescenti qui s'appliquera, à quelques exceptions près, à toutes les nouvelles embauches dans le secteur privé. Dorénavant, l'employeur pourra terminer un contrat de travail à tout moment. En cas de litige, si le licenciement est estimé injustifié, il devra payer une indemnité proportionnelle à l'ancienneté (deux mois de salaire par année d'ancienneté), d'un maximum de deux ans de salaire, mais ne devra plus réintégrer l'employé en question. Ce changement met un terme à une pratique vieille de 45 ans, où la perspective de réintégration bloquait de facto un grand nombre d'ajustements d'effectifs.

Le décret du 20 février définit aussi une procédure de conciliation avec l'objectif d'éviter les coûts de justice. Elle prévoit une indemnité d'un maximum de 18 mois, exonérée de toute fiscalité. En l'acceptant, l'employé licencié renonce à son droit d'aller en justice. Ce mécanisme de paiement d'une compensation pour un licenciement s'appliquera aussi aux licenciements collectifs, dont le coût devient maintenant transparent pour l'employeur qui souhaite réduire ses effectifs.

Les compromis de Matteo Renzi

Matteo Renzi a dû faire des compromis pour réussir à faire passer une reforme aussi révolutionnaire et a consenti à ne pas inclure les employés du secteur public. De plus, la nouvelle règle va s'appliquer aux nouveaux contrats, mais pas aux contrats en place. Ceci pourrait entraver la mobilité volontaire, puisque les gens ne voudront ne pas renoncer à un contrat protégé pour un nouveau contrat.

En France, le pouvoir aux juges

En France, non seulement le code du travail rend difficile la réduction des effectifs si la situation financière de l'entreprise n'est pas catastrophique, mais aussi il donne un pouvoir de décision à des juges, par nature ignorants en matière de gestion des entreprises, basé sur leur appréciation de la situation économique des firmes qui licencient. À chaque législature successive, le code du travail s'est graduellement alourdi et a dérivé vers de plus en plus de complexité, d'opacité, et de contraintes. L'esprit dirigiste qui anime nos hommes politiques et leur incompréhension des mécanismes de marché constituent le fondement culturel sur lequel cette complexité a proliféré.

Les Enfoirés ont la certitude que travailler dur permet à n'importe qui de pouvoir s'en sortir et se réaliser. C'est généralement vrai, mais pour cela, encore faut-il avoir l'opportunité de déployer ses talents. Si c'est le cas des artistes qui disposent du statut particulier des intermittents du spectacle et dont certains bénéficient de revenus élevés, la génération qu'ils représentent continue de profiter de protection du CDI qui pèse sur la création d'emplois dont ont besoin les jeunes. La partie favorisée des jeunes ayant exprimé ses talents et goût pour l'étude dans de bons lycées puis des grandes écoles peut migrer vers des cieux plus ouverts à l'initiative privée, où ils pourront déployer leur créativité et leur dynamisme. Les autres sont face à ce marché du travail monolithique et au peu d'espoir de développement social. Certains vont se battre avec les contraintes du quotidien pour un résultat aléatoire. D'autres ont déjà baissé les bras et attendent une aide de l'Etat sous forme de RSA inconditionnel et d'emplois aidés.

Nos voisins allemands avaient montré la voie qu'empruntent aujourd'hui nos voisins transalpins. Souhaitons que ces derniers réussissent et que leur succès inspire enfin à nos dirigeants le courage de la réforme qui contribuera à libérer les nouvelles générations.