Traité transatlantique, arbitrage opposant investisseurs et Etats : la position chaotique de la France

Par Hervé Guyader  |   |  761  mots
Le gouvernement a semblé accepter l'idée d'un arbitrage international prévu par le traité transatlantique (TTIP), avant de faire machine arrière. Une erreur, qu'il percevra à moyen terme. Par Hervé Guyader, Avocat au Barreau de Paris, Président du Comité Français pour le Droit du Commerce International

L'arbitrage est décidément au cœur de l'actualité.
Le rapport Lange au Parlement européen se prononce très clairement en défaveur de l'arbitrage ISDS (Investor-State Dispute Settlement) opposant investisseurs et Etats confortant la « doctrine économique » du Parti Socialiste Européen réuni récemment à Madrid.
D'après les socialistes, les tribunaux d'arbitrage internationaux seraient le symbole d'une vision libérale du commerce international, forcément contraire à la vision post marxiste qu'ils défendent. Pire, ils sont censés protéger le Grand Capital contre les décisions des Etats qui l'accueillent, au risque de remettre en question leur droit à légiférer.
Ajoutez à cela la rocambolesque annulation de l'arbitrage Tapie et obtenez un climat délétère réservé à l'arbitrage, fustigé de justice privée, corrompue à la solde des puissants pour la satisfaction de leurs seuls intérêts partisans.

Le réalisme gouvernemental... pendant une semaine

Ce concert s'est vu brusquement interrompu, la semaine dernière, par l'annonce surprenante de ce que le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) avait émis une note signifiant que la France ferait machine arrière dans sa lutte contre ce mode odieux de règlement des conflits.
Une semaine plus tard, le Ministre du commerce extérieur a fait machine arrière fustigeant à nouveau l'arbitrage ISDS en déclarant n'avoir pas été informé de la teneur de la note publiée, laquelle ne reflète pas la position du gouvernement.  Le réalisme ne dura qu'une semaine avant de périr devant la satisfaction de l'électorat de ce gouvernement en perdition.
L'argument présenté pendant ce court laps de temps était pourtant judicieux au titre de ce qu'il serait - peut-être - opportun de ne pas fermer la porte au principe d'une juridiction internationale, certains disant même que mieux valait une cour d'arbitrage qu'une juridiction inféodée au pouvoir.

Cesser de se focaliser sur l'incarnation du mal absolu, les USA

Pour le comprendre, il faut cesser de se focaliser sur l'incarnation du mal absolu que sont les USA avec lesquels nous n'avons, pourtant, que de très rares problèmes juridiques ou banalement commerciaux, même s'il est toujours satisfaisant d'avoir un ennemi clairement honni de beaucoup. Et regarder, par exemple, vers la Chine ou l'Inde qui développaient, encore récemment, une croissance étourdissante entraînée par une économie peu régulée.
La note du SGAE faisait état de ce que même si la France estime que l'inclusion d'un mécanisme d'arbitrage investisseur-Etat (RDIE/ISDS) n'est pas nécessaire avec les États-Unis, le projet de résolution tranche de manière un peu trop catégorique cette question. Une approche plus prudente sur ce sujet délicat pourrait être préférable en raison des risques de précédent, avec des États dont les standards juridictionnels ne correspondent pas à ceux qui prévalent aux États-Unis.

Un arbitrage international n'est-il pas préférable à une juridiction chinoise?

En clair, dans de futures négociations avec la Chine (l'Inde...), ne serait-il pas opportun de recourir à une juridiction arbitrale internationale plutôt que de s'en remettre aux juridictions chinoises ? Car, par hypothèse, un mécontentement opposant une entreprise française à la Chine (dans le secteur automobile, de la production manufacturière...) comme à une entreprise chinoise, si l'on sort quelques instants du cadre strict de l'ISDS, pourrait aboutir devant un juge chinois que l'on sait souvent protecteur des intérêts domestiques.
Or, si l'on rejette vertement l'arbitrage à l'occasion du TTIP, le considérant comme trop prédateur, il sera délicat de chercher à l'imposer à la Chine, l'Inde, le Brésil...ou tout autre pays dont les exigences procédurales et l'impartialité des juges sont, a priori, moindres que les nôtres.
Tout observateur du commerce international sait bien que débarrassé d'idéologie, l'arbitrage ISDS TTIP ne peut réserver que peu de surprises au contraire d'un contentieux peu normé avec l'un quelconque des BRICS, pour ne parler que d'eux.
Le principe du réalisme commanderait donc à notre gouvernement de se montrer prudent et de ne pas se laisser bercer par les sirènes d'une fraction de son électorat pour le regretter plus tard quand il s'agira de structurer les échanges commerciaux avec certains pays qui ne s'embarrassent pas de nos principes fondamentaux.
Gouverner, c'est prévoir ! Craindre inutilement les USA ne servira pas à nous protéger des autres.

Hervé Guyader
Avocat au Barreau de Paris
Docteur en droit
Président du Comité Français pour le Droit du Commerce International