2021 sera-t-elle l'année du retour du sens commun nucléaire  ?

Par Samuel Furfari (*)  |   |  1394  mots
Il est urgent avant qu'il ne soit trop tard que la France valorise son savoir-faire nucléaire. Emmanuel Macron veut-il ajouter son nom au binôme Pompidou-Giscard d'Estaing ou bien veut-il être le fossoyeur de ce qui était un fleuron ? (Crédits : Reuters)
OPINION. Pour faire face aux futurs énormes besoins en électricité, il est nécessaire de développer le nucléaire. Contrairement à l'UE qui a misé sur le développement du solaire et de l'éolien, la Russie, la Chine et les États-Unis l'ont compris et ont entrepris une course géopolitique pour dominer l'électricité de demain. De par son choix passé pour le nucléaire, la France a un rôle clé à jouer pour inverser la tendance au sein de l'UE. (*) Par Samuel Furfari, professeur de géopolitique de l'énergie à l'Université Libre de Bruxelles, président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels.

Abraham Maslow, le fondateur de la psychologie transpersonnelle, nous a laissé cet aphorisme : « Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou ». En matière d'énergie, actuellement l'Union européenne (UE) estime ne posséder que l'outil des énergies renouvelables. Lors de récent Conseil européen, elle a confirmé implicitement prétendre décarboner l'UE en 2050 en misant exclusivement sur ces énergies. Quel changement par rapport à la clairvoyance des Six ministres des affaires étrangères réunis à Messine le 1er juin 1955 ! Ce qui n'était même pas encore la Communauté européenne avait engrangé un succès avec la paix et la réconciliation grâce au charbon. Les Six ayant compris qu'il fallait diversifier l'approvisionnement énergétique ont lancé l'idée de la Communauté européenne de l'énergie atomique qui allait aboutir à la signature du traité Euratom à Rome en 1957. Quel était leur mobile ? On le trouve dans la Résolution de Messine : « Il n'y aura pas d'avenir pour la Communauté européenne sans énergie abondante et bon marché ».

Nous semblons avoir oublié cette leçon de l'histoire puisque l'UE s'enfonce dans la monoculture des énergies renouvelables en rejetant tout le reste au point que pour certains l'énergie hydroélectrique n'est pas compatible avec le développement durable. L'extraordinaire développement économique et sociétal de ces 75 dernières années résulte de la mise à disposition d'énergie abondante et bon marché. Le nucléaire a grandement contribué à ce succès fournissant une électricité sans discontinuité et à un prix bas. C'est grâce à cette continuité de l'approvisionnement que nous avons survécu la crise de la Covid. On n'ose pas imaginer ce qu'auraient été nos hôpitaux s'ils devaient être alimentés par des moulins à vent qui ne fonctionnent qu'en moyenne que 23 % du temps dans l'UE.

Augmentation du prix de l'électricité

Hélas, depuis que l'UE oblige la production d'électricité renouvelable le prix moyen pour les ménages de l'UE a augmenté de 2,3 % par an. Chacun peut le constater sur sa facture. J'ai montré que pour les États membres de l'UE il y une augmentation linéaire du prix de l'électricité en fonction de la part de l'éolien et du solaire et qu'elle diminue tout aussi linéairement avec la part de nucléaire. Les Danois et les Allemands payent en 2019 leur électricité 29,5 et 28,8 c€/kWh tandis que les Français payent 18,5 c€/kWh, bien qu'il faille amèrement constater que dix ans plus tôt ce prix n'était que de 12,1 c€/kWh.

Le succès nucléaire de la France est dû à la volonté politique des présidents Pompidou et Giscard d'Estaing. Il est urgent de revenir au sens commun, en réaffirmant que l'avenir de l'électricité est le nucléaire et non pas la chimère des énergies renouvelables. Malgré 40 années de financements et de soutiens divers, les énergies éolienne et solaire ne peuvent rivaliser avec l'énergie nucléaire. Chères, intermittentes, déclenchant le besoin de subsides pour les centrales au gaz qui doivent venir en support lorsque la nature ne veut pas produire l'électricité, elles ont un impact sur l'environnement dont les citoyens prennent enfin conscience et dont Alain Finkielkraut vient de souligner qu' « elles transforment tous les paysages en site industriels ». Après avoir dépensé 1.000 milliards d'euros, elles ne représentent respectivement dans l'UE et en France que 2,5 % et 1,4 % de l'énergie primaire. Tout ça pour ça !

Ce qui est cher, c'est l'investissement

On prétend que l'énergie nucléaire est chère ? Nuançons. L'électricité nucléaire est bon marché comme vient de le montrer une étude de l'OCDE sur 243 centrales dans 24 pays. Ce qui est cher est l'investissement qui a besoin de temps longs pour être récupéré. Or que se passe-t-il depuis que l'UE impose à ses États membres la production d'énergies renouvelables ? La rentabilité de toutes les centrales est remise en question, car on est contraint de donner priorité de transmission à l'électricité la plus chère. L'UE a cassé le marché intérieur qu'elle s'est évertuée à créer depuis 30 ans. Si les politiques ne perturbaient pas le fonctionnement du marché, on n'en serait pas là. Le nucléaire serait resté avec l'hydroélectricité une source d'énergie abondante et bon marché.

Arrêtons aussi de faire peur, car cette technologie est bien maitrisée. L'accident de Tchernobyl résultait du soviétisme et celui de Fukushima d'un tsunami qui a provoqué une explosion d'hydrogène et non pas atomique. Les lobbyistes de la stratégie hydrogène feraient bien d'apprendre les dangers de l'hydrogène avant de promettre un autre nouveau Graal. L'autre peur est ce qu'on appelle erronément déchets, car ils sont une source d'énergie. Observons d'abord que personne au monde n'a eu à subir l'effet du combustible usagé. Ensuite, reconnaissons que les nouvelles technologies Génération-4 en cours de développement vont fonctionner avec ce combustible en le détruisant.

Explosion de la demande d'électricité

Mais revenons à Maslow. Sa pyramide des besoins nous enseigne qu'il est inutile de parler d'environnement, de planète et de biodiversité aux populations démunies. Cela n'est audible que pour ceux qui ont gravi tous les niveaux de la pyramide des besoins. En dehors de l'OCDE, la préoccupation n'est pas la lutte contre le changement climatique, mais l'énergie  ―  singulièrement l'électricité  ―  abondante et bon marché. Si la Chine a fait d'énormes progrès ces 20 dernières années au point d'électrifier complètement le pays, c'est loin d'être le cas en Asie et en Afrique. 200 millions d'Indiens n'ont pas accès à l'électricité et il en est de même pour la moitié de l'Afrique subsaharienne où l'alimentation électrique y est aléatoire et intermittente . Mais il n'y a pas que le rattrapage économique de vastes zones du monde qui exige le développement de la production d'électricité. La numérisation rapide et inéluctable de notre société, y compris de l'agriculture, l'arrivée de la 5G, l'électrification du parc automobile ou le chauffage des bâtiments (si elle devait se réaliser) fera exploser la demande d'électricité. Ce ne sont pas les éoliennes, et encore moins les panneaux solaires, intermittents, qui satisferont ces énormes besoins. Ce sera le nucléaire. Sans énergie, il ne peut y avoir de progrès, de bien-être et ni même de développement durable.

Course géopolitique

Russie, Chine et États-Unis l'ont compris et ont entrepris une course géopolitique pour dominer l'électricité de demain. Qui possèdera la technologie nucléaire du futur détiendra une partie du pouvoir géopolitique du monde. Ces pays ne font pas seulement la course à la technologie de demain, mais investissent dans la construction de centrales aujourd'hui, car pour être prêt pour demain il faut déjà l'être aujourd'hui.

Il est urgent avant qu'il ne soit trop tard que la France valorise son savoir-faire nucléaire. Emmanuel Macron veut-il ajouter son nom au binôme Pompidou-Giscard d'Estaing ou bien veut-il être le fossoyeur de ce qui était un fleuron ? Chine, Russie, Corée, États-Unis et Canada vendront des centrales nucléaires et la France ne vendra même pas des éoliennes qui au demeurant n'intéressent pas ceux qui sont en bas de la pyramide de Maslow, car ils ne sont pas assez riches pour dilapider leur argent. Laissons les Allemands s'enfoncer seuls dans leur chimère de l'EnergieWende.

De manière surprenante, on a assisté ces derniers mois à des frémissements dans plusieurs États membres, comme si le sens commun était en train de revenir et que l'on réalise enfin qu'on ne pourra pas décarboner l'UE avec des éoliennes. La Roumanie a même infligé un camouflet à l'UE, car elle a signé un accord avec Washington pour construire à Cernavodă deux réacteurs américains avec des financements américains puisque les institutions européennes ont décidé de ne financer que des éoliennes et des panneaux solaires. Souhaitons que les États membres aient du courage de ne plus se soumettre au dictat de Bruxelles et que 2021 soit l'année du renouveau nucléaire aussi en Europe. Cela dépend de la France.