A l'aube d'un cataclysme monétaire et financier

La Fed a renoncé à augmenter les taux d'intérêt américains. Une telle décision déclencherait un véritable cataclysme financier sur les marchés mondiaux. Par Michel Santi, économiste

C'est l'abondance des liquidités qui a propulsé les marchés financiers, comme l'ensemble des actifs d'une manière générale, depuis 2009. Cette gigantesque reflation, orchestrée à coups de 10 à 12 trillions de dollars injectés dans le système, a été la source principale et fondamentale ayant autorisé une appréciation, voire une euphorie, globale puisque certains analystes attribuent 80% de la hausse des marchés boursiers depuis 2009 aux baisses de taux quantitatives organisées par les banques centrales. il serait donc nécessaire aujourd'hui de créer 200 à 250 milliards de dollars par trimestre dans le seul but de maintenir les valorisations à leur niveau actuel.

Des politiques monétaires désormais désynchronisées

Las, en cette fin d'année 2015, le monde entre dans une phase de politiques monétaires asynchrones au potentiel de déstabilisation dévastateur du fait de cycles divergents entre les principales puissances économiques et financières du monde. A cet égard, l'instant critique où tout basculera irrémédiablement sera la fin des taux 0 mis en place par les Etats-Unis en 2008: processus de remontée des taux d'intérêt américains qui sera enclenché avant la fin de cette année. Dans un tel contexte, c'est une lourde erreur que de croire que la Réserve fédérale US -qui injectait un trillions de nouveaux dollars dans le système par an- pourrait simplement être remplacée par la Banque Centrale Européenne et par la Banque du Japon, qui prendraient en quelque sorte le relais de cette création monétaire.

Un autre phénomène majeur sur lequel je ne m'étendrai pas consiste en ce qu'un tiers à la moitié des opérateurs actuels sur les marchés n'ont jamais connu de hausse de taux américains, puisque le dernier resserrement de politique monétaire US date de 2006 ! Époque à laquelle bien des intervenants actuels n'étaient pas encore sur le marché du travail: de ces jeunes dont on ne sait pas comment ils réagiront dès lors que le loyer perçu sur le dollar sera plus cher.

Un séisme sur le marché de la dette

En réalité, la source principale du cataclysme à venir est ailleurs. En effet, contrairement à la Fed, la BCE, la Banque du Japon et la Banque Populaire de Chine n'ont pas la faculté d'imprimer des dollars, qui est la monnaie centrale pourvoyeuse de liquidités sur l'ensemble du système qui irrigue l'économie universelle. Car le billet vert n'est pas seulement la monnaie de réserve la plus importante au monde. En effet, les marchés obligataires américains -de l'ordre de 60 trillions de dollars -sont, de très loin, les plus volumineux du globe, et dépassent en importance les marchés de la dette européenne et japonaise combinés.

En outre, le rôle du billet vert n'est pas fondamental uniquement du point de vue du nombre affolant de devises émergentes qui y sont indexées. La situation est encore pire car toute hausse des taux d'intérêt US sera répercutée sous forme de séisme sur l'ensemble du marché de la dette de ces pays également libellée en dollars. La Banque des Règlements Internationaux a calculé que l'ensemble des engagements non américains (hors système financier) se montait à plus de 9 trillions de dollars à fin 2014, chiffre en augmentation de 50% depuis 2009!

Le cercle vicieux de la réduction de la liquidité dollars

On comprend mieux, dès lors, l'impact destructeur de toute hausse de taux US, de toute remontée substantielle du billet vert, bref de la raréfaction programmée de la liquidité exprimée en cette monnaie sur l'ensemble des engagements et des endettements des pays émergents. Difficultés et retards de paiement ne seront que le moindre mal enduré par les émergents qui subissent en outre aujourd'hui de plein fouet l'effondrement des matières premières, ayant pour conséquence directe de réduire davantage leurs revenus, et donc leur marge de manœuvre pour régler leurs dettes... En fait, cette déroute des prix des denrées alimentaires, des tarifs pétroliers et des prix des « commodities » induit à son tour un cercle vicieux de réduction de la liquidité dollars qui a été un chaînon vital du financement global ayant eu pour effet de propulser les valorisations des actifs.

 La hausse de la rémunération du risque

Si la chute substantielle des prix de l'énergie est une excellente nouvelle pour le pouvoir d'achat du consommateur occidental, elle réduit en même temps la masse des pétrodollars en circulation qui se traduira immanquablement en une liquidation et en une vente forcées des investissements à l'étranger des producteurs de matières énergétiques, et un effet final négatif sur les économies européenne et américaine.
La conjugaison de ces facteurs (baisse de la liquidité dollars au niveau global et des réserves monétaires des nations émergentes) se traduit d'ores et déjà par une hausse de leurs taux d'intérêt qui remet en cause de manière aiguë leur capacité à honorer leurs engagements.

Du coup, la rémunération du risque connaît, à travers le monde, une escalade tout aussi irrésistible que mortifère. Voilà en effet le 10 ans Bunds allemand qui passe au-dessus de 1% quand il était encore à 0 il y a quelques mois. Pareil pour le rendement des Bons du Trésor français, italien ou espagnol ayant connu une appréciation de la même ampleur. Et que dire des taux de la dette des émergents comme ceux de l'Indonésie (1.75%), de l'Afrique du Sud (1.5%), etc...Notre monde -habitué voire bercé- par le robinet des liquidités généreusement prodiguées par les américains est donc réellement à la croisée des chemins. Les secousses générées par le relèvement de leurs taux d'intérêt se ressentiront à travers les marchés monétaires et, ce, à l'échelle mondiale. Le spectre de déstabilisation financière mondiale se profile.

Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et Directeur Général d'Art Trading & Finance.

Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience", "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique" et de "Misère et opulence", préface rédigée par Romaric Godin.

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Commentaires 20
à écrit le 23/08/2016 à 22:24
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On peut en conclure de ce que j'ai écrit que si on avait écouté Maurice Allais et moi-même aussi, car cela fait plus de 40 ans que j'alerte nos responsables et que j'ai été candidat aux Législatives, nous aurions les moyens d'aider les pays pauvres e...

à écrit le 23/08/2016 à 21:56
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Complément pour Emma. L'effet double ou de ciseau est courant en Économie, comme c'est le cas cette année pour la récolte de céréales en particulier: elle est mauvaise en France mais bonne ailleurs. La surproduction entraîne donc une baisse des prix....

à écrit le 04/11/2015 à 10:10
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Qui peut m'expliquer pourquoi la :"baisse de la liquidité dollars au niveau global et des réserves monétaires des nations émergentes" fait augmenter les taux d'intérêt de ces pays ? Merci

le 23/08/2016 à 21:41
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Michel Santi vous répondrait mieux certainement. Je suppose que les pays émergents ont plus besoin qu'avant de liquidités, donc la loi de l'offre et de la demande s'applique. D'autre part leur prêter est plus risqué car leurs matières 1ères sont moin...

à écrit le 09/10/2015 à 14:28
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L'Europe n'est-elle pas cinglée? On parle de non ZMO. On fait des dettes mais le niveau de vie baisse... le déficit produit peu de croissance. La baisse de la monnaie est une escroquerie au pouvoir d'achat. La compétitivité est mauvaise... On ferai...

à écrit le 07/10/2015 à 15:26
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eh oui, c'est comme la méteo : un jour il fait beau, un autre ca dégringole mais l'important c'est que le casino ne ferme pas ;)

à écrit le 06/10/2015 à 10:15
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ESSAI

à écrit le 05/10/2015 à 23:32
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L'anomalie ne serait pas la remontée des taux, c'est d'avoir des taux ridiculement bas comme maintenant. Lorsque les taux remonteront autour de 3%, qui serait un taux "normal" cela ne changera pas grand chose pour les pays peu endettés comme l'Europe...

à écrit le 05/10/2015 à 14:25
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le pb n'est pas de savoir si les taux vont remonter vu que ca va etre le cas le pb c'est le rythme et l'intensite

le 05/10/2015 à 15:12
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Rien n'est sur,si l'économie us ralentit encore plus et que la FED n'arrive pas a remonter les cours de bourse,on passera aux taux négatifs

à écrit le 05/10/2015 à 14:10
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Le dollar controle le monde.

le 06/10/2015 à 18:48
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Ou bien vous êtes un ricain, ou alors vous êtes un des ces Français qui se prennent pour des ricains. :-)

le 07/10/2015 à 13:57
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Non. Tout simplement la vérité.

à écrit le 05/10/2015 à 13:50
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On est bien d'accord qu'on est dans une situation anormale et que la FED aurait du depuis déjà un moment relevé ses taux d'intérêts. Sauf que ça, ça se fait en temps de reprise de la croissance et de sortie de crise ... ce qui n'est jamais vraiment a...

à écrit le 05/10/2015 à 12:28
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nous avons en France une spécialité reconnue dans le monde d'excellence de production de monnaies papier . utilisons- là pour imprimer en masse de vrais-faux dollars , comme le fait la banque centrale américaine et laissons à Dieu le soin de juger q...

à écrit le 05/10/2015 à 11:45
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Bonjour. A moins d'avoir mal compris, ce qui peut arriver, vous partez du principe que les us vont relever leur taux. Pourrais-je avoir un début d'ébauche de semblant de justification de cela..?? Cela fait trois ans qu'ils nous bassinent avec une hau...

le 05/10/2015 à 13:29
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Il semblerait que la hausse des taux serve a empecher la faillite des compagnies d'assurances minées par les taux zéro.Idem avec les retraites privées qui ont besoin de rendements obligataires positifs pour compenser la stagnation des bourses

à écrit le 05/10/2015 à 11:44
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Article très équilibré ..c'est rare...! je retiens surtout le para : "séisme sur le marché de la dette" ....ramené ce risque à la dette française ...je constate ,que nous sommes terriblement exposé , en cas de hausse des taux d'intérêts sur le US...

le 07/10/2015 à 15:27
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eh bien faisont comme les grecs, arretons de payer nos impots.

le 04/11/2015 à 14:52
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Les impôts de la plupart des Grecs sont prélevés à la source, ils paient donc leurs impôts.

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