À la veille des vacances, les Français vont-ils céder à la honte de voler ?

Par Arnaud Doré  |   |  1389  mots
(Crédits : DR)
Quelle que soit la réponse, les voyagistes sont de plus en plus confrontés à leur impact sur le climat. A la veille des vacances, les français vont-ils céder à la honte de voler ? Par Arnaud Doré, directeur associé, EcoAct

Le « flygskam », en Suède, serait déjà en partie responsable d'une baisse du trafic aérien et selon la récente enquête BVA[1], commandée par les Entreprises du Voyage, sur l'impact du réchauffement climatique sur les habitudes de voyage en avion, 8 Français sur 10 se déclarent préoccupés par le sujet. Cette étude révèle que 63% des voyageurs seraient prêts à changer leur comportement pour limiter l'impact environnemental du voyage : choisir une destination moins lointaine (49%), renoncer à l'avion pour un mode de transport moins polluant (44%), compenser les émissions carbone du voyage (34%) ou encore y renoncer (30%). Ces chiffres laissent entendre que les habitudes de voyages peuvent évoluer très vite. Il est donc temps pour les acteurs du tourisme de prendre acte.

70 à 75%[2] de l'impact GES d'un voyagiste est lié au déplacement en avion. Jusqu'à présent, le faible prix des vols, directement favorisé par la baisse des coûts des technologies via l'amortissement des appareils et la quasi-absence de taxation du kérosène dans de nombreuses régions du monde et d'Europe, a entrainé l'explosion du nombre de voyages, avec les grandes métropoles à portée de portefeuille et de week-end. D'après l'ONG AISBL, fédération européenne pour les transports et l'environnement, les émissions de CO2 liées au trafic aérien européen ont augmenté de 21% au cours des 3 dernières années[3].

On peut donc comprendre que les compagnies aériennes soient interpellées sur le sujet du changement climatique et de leurs émissions. Alors que certains consommateurs se préparent à faire des choix en conscience, on peut également attendre des entreprises clientes de voyages business ou loisirs qu'elles remettent en cohérence leurs politiques voyages dans le cadre de leur propre stratégie RSE.

Le sujet de la taxation des vols intérieurs fait son chemin en Europe : la direction générale des transports de la Commission européenne a justement demandé une étude sur le sujet en 2017. Selon cette étude, toujours dans les cartons de la Commission, mais dont le contenu a récemment été porté à la connaissance des médias, la taxation du kérosène serait non seulement bénéfique pour le climat, mais aussi pour l'économie, avec de conséquentes rentrées fiscales, le tout sans impact négatif sur l'emploi. Le trafic aérien européen est déjà soumis au système d'échange de quotas (EU-ETS) et l'OACI, organe onusien à l'origine de la non-taxation du kérosène après-guerre, travaille à l'adoption d'un mécanisme, CORSIA, pour compenser les émissions de CO2 liées à la croissance du secteur aérien : il s'agit de viser la neutralité des émissions « en plus » de celles émises en 2020, ce qui manque d'ambition, d'autant que le mécanisme ne prévoit pas le retour d'une taxe kérosène.

Ce secteur doit trouver rapidement le moteur de sa transformation vers un modèle bas carbone et une croissance décarbonée. Pour les voyagistes, il s'agit non seulement de contribuer à atteindre les objectifs ambitieux fixés par l'Accord de Paris, mais aussi d'assurer leur propre pérennité, en reconnaissant la prise de conscience citoyenne, et en anticipant l'inadéquation latente entre l'offre et la demande des consommateurs. Ils doivent s'engager sur deux volets d'action simultanément : retravailler leurs modèles d'affaires et viser la neutralité carbone.

Sur le volet du modèle d'affaires, la bonne nouvelle est qu'un tourisme plus « raisonné » est attendu par le consommateur. Prenons l'exemple de l'alimentation : après le rouleau compresseur du fast-food et de la malbouffe, le slow-food et l'alimentation plus saine sont de retour - notamment parce que les consommateurs ont été sensibilisés et ont d'autres appétences. L'offre s'est alors diversifiée, sans pénaliser les chaines de restauration qui se sont adaptées plutôt que de nier l'évolution des goûts. Comment cela peut-il se traduire pour les voyagistes ?

  • Réduire le nombre d'escales et proposer des vols moins rapides, à grande contenance et aux motorisations plus performantes et plus propres, afin de diminuer mécaniquement l'empreinte carbone du voyage. De grands avions à hélices sont déjà à l'étude, et pour certains trajets, ils constituent une piste non seulement meilleure pour le climat, mais aussi plus économique pour le voyageur.
  • Faire évoluer la nature du séjour. Les voyagistes peuvent envisager de réduire volontairement la communication vers des offres « week-end » lointaines, et mettre l'accent sur les séjours plus longs, des alternatives plus proches et des transports plus doux. Ils peuvent aussi choisir de valoriser des lieux de tourisme en fonction de la disponibilité de transports plus propres comme le rail, le fluvial, le vélo, des infrastructures moins fréquentées.
  • Elargir la cible : on peut imaginer que les villages de vacances s'adressent aux bassins de populations locales pour acquérir une nouvelle clientèle, avec des prix différenciés.

Le second volet d'action, incontournable, consiste à viser la neutralité carbone du secteur. Cet objectif implique l'adoption d'une stratégie bas carbone globale et réfléchie, via une trajectoire de réduction des émissions ambitieuse et via une action de neutralisation, afin d'atteindre un équilibre entre les émissions anthropiques et leur absorption. Sachant que pour diminuer les émissions de CO2 du tourisme, le secteur ne pourra pas compter sur un miraculeux saut technologique pour l'aviation. Évidemment, l'innovation doit être encouragée, mais avant que toutes les compagnies ne puissent utiliser de manière viable et en toute sécurité les promesses liées à la technologie solaire pointée par Solar Impulse ou à l'hydrogène, il sera trop tard pour infléchir le dérèglement climatique. La neutralisation au travers des mécanismes de compensation est donc indispensable. Pour garantir l'intégrité environnementale de ces actions et assurer que les projets sont cadrés, mesurés, audités et certifiés, des standards internationaux et locaux ont été développés. On peut citer par exemple le Gold Standard, lancé à l'initiative du WWF et une coalition de 80 ONG environnementales dans le monde.

On entend dire que « compenser, c'est planter des arbres ». C'est une des options possibles, à condition néanmoins de suivre des standards rigoureux et éprouvés, mais il y en a d'autres : projets d'ENR, biogaz, efficacité énergétique, conservation forestière... Dans le cas des projets de plantations, il s'agit, pour préserver le climat, de considérer les espèces plantées en fonction de la zone et d'opérer un suivi robuste du couvert forestier. Véritables projets d'aide au développement, il est aussi important de respecter une démarche de solidarité internationale : pour les entreprises - et pour celles du tourisme, par définition - il est fondamental de soutenir des projets de compensation carbone dans les pays en développement, apportant aussi des bénéfices sociaux et environnementaux.

Il est fondamental que ceux qui s'engagent dans une stratégie de réduction ambitieuse et qui sont neutres en carbone, soient identifiables par le public. Des initiatives comme ATR, NECSToR ou le WTTC pourraient proposer un tel référentiel. Certaines entreprises ont bien compris que le vent avait tourné et anticipent d'importants changements, même si l'objectif est complexe à atteindre pour certains acteurs et notamment par l'aviation civile. Il ne s'agit évidemment pas de se préparer à un « fly-shaming » généralisé, mais il faut que les entreprises s'engagent, avec ou sans cette menace.

Les voyagistes ne doivent pas être vent debout, mais prendre acte, et embrasser cette transition comme une opportunité de se transformer via leurs offres. Les consommateurs sont prêts. Des offres « sobres en GES » peuvent devenir ultra-désirables, avec une diversification culturelle fort appréciée. L'impact économique positif peut être total, pour les clients, les acteurs du tourisme, mais aussi les territoires et leurs habitants. Le secteur du tourisme, fleuron de l'économie française, ne peut pas rater cette opportunité. Les acteurs qui prendront les devants et s'engageront - comme dans tous les autres secteurs d'activité - s'adapteront par définition plus vite aux enjeux climat et récolteront les fruits de leurs actions. Sur ce front, les voyagistes ont un nouveau champ de créativité à explorer.

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[1] https://www.entreprisesduvoyage.org/wp-content/uploads/2019/05/CP-Enquete-BVA-EdV-21052019.pdf

[2] Retour d'expérience EcoAct

[3] https://www.endingaviationfueltaxexemption.eu/