A quand des Podemos et Ciudadanos français ?

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  864  mots
Par delà l'indignation, c'est une alternative politique qui est en passe de naître en Espagne avec Podemos et Ciudadanos. Par Jean Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne,*

35 millions d'espagnols étaient appelés à renouveler 13 des 17 Parlements régionaux du pays et choisir 8122 maires. Avec l'entrée en force de deux partis,  Podemos et Ciudadanos, et de plates-formes de mouvements citoyens au cœur d'assemblées fragmentées et sans majorité: les résultats de ce dimanche confirment le séisme politique débuté avec les élections européennes de 2014. Au delà de la Grèce et de son seul Syriza, l'Espagne est à l'avant garde de l'innovation politique européenne.
Symboles de cette nouvelle ère : Manuela Carmena et Ada Colau, deux femmes soutenues par Podemos. Manuela Carmena, ex-juge et vétérane des luttes antifranquistes, peut l'emporter à Madrid. Pour Ada Colau, une activiste sociale leader de la lutte contre les expulsions de logements, c'est la Mairie de Barcelone. Si elles parviennent à former une majorité municipale, Podemos gouvernera les deux plus grandes villes du pays.

Des personnalités révélées dans les combats sociétaux

Partout en Espagne émergent des personnalités qui se sont formées et révélées dans les combats sociétaux, loin de l'usure et de la fermeture des partis traditionnels. A partir de revendications simples : réduction des prix du gaz, de l'électricité, de l'eau, arrêt des expulsions ... lutte contre la corruption et baisse de futurs traitements.
C'est beaucoup plus qu'un avertissement pour le Parti populaire et le Parti Socialiste. L'amélioration de la situation économique et sociale espagnole n'est pas partagée par les citoyens.

Quand le peuple décide de s'émanciper

On retrouve en Espagne, comme ailleurs l'expression d'une crise de confiance à l'adresse des institutions, de la représentation, et des corps intermédiaires. Un triste feuilleton est vécu par des peuples européens à la dérive, ballotés par la crise et qui ne parviennent pas à voir le bout d'un tunnel toujours plus sombre. Partout et pour tous ou presque se diffuse l'expérience de plus en plus concrète d'une insécurité qui touche toutes les zones de la vie personnelle et de l'expérience collective. Le message espagnol est clair : le peuple ou une partie au moins veut davantage de maîtrise de son destin. « Nous vous avons fait confiance à répétition, nous souhaitions votre, notre réussite commune. Ce fut en vain ! » Le peuple décide de s'émanciper.

Les élites sans pouvoir face à la mondialisation

Pire cette même partie du peuple des citoyens a désormais la certitude que les politiques, les gouvernants, l'ensemble des élites y compris économiques et locales, sont perdus, sans repères, sans vision, pire, sans pouvoir face aux fruits amers d'une mondialisation qui s'invite chaque jour d'avantage dans les territoires de l'Union.
C'est une déclaration collective et transversale : nous citoyens espagnols, nous sommes mieux armés pour faire face aux difficultés nées de la crise et de la mondialisation.

Une solidarité organique

Quand la crise survient, quand les instruments de la solidarité institutionnelle craquent petit à petit, les individus et les communautés cherchent à compenser et inventent ou réinventent d'autres formes. On le voit partout dans le Monde, particulièrement en Espagne, en France parfois aussi. C'est le mélange moderne d'internet et des circuits courts, entre local et global, la solidarité directe, la proximité territoriale, une communauté de destin et un lien identitaire. Partout nous voyons se développer une solidarité organique presque néo-tribale. Elle allie la dimension traditionnelle qui associe la permanence des comportements familiaux et de proximité territoriale d'avant la création des institutions de solidarités comme ceux du modèle social français et les très contemporaines solidarités 2.0.

Naissance d'une alternative politique

Jusqu'à présent les plateforme citoyennes comme les Indignados ou les Occupy ne disaient pas "j'ai la solution". Elles exprimaient une demande de justice sociale et économique. Les mouvements c'étaient des manifestations, des actions de solidarités, des drapeaux, des cris, et quand les élections arrivaient on passait le plus souvent à une abstention collective massive, sans consignes de vote, encore moins d'offre politique électorale.
Aujourd'hui au delà de la crise, c'est une proposition d'alternative politique, qui vient s'inscrire dans les temps forts des rythmes de la démocratie représentative.
Les nouveaux partis, Podemos et Ciudadanos, sont des formations politiques à vocation de conquête électorale. Nouvelle phase.

Les espagnols à l'avant-garde en Europe

En France comme le plus souvent ailleurs en Europe, la différence avec l'Espagne réside dans l'absence, pour l'instant, de Ciudadanos ou de Podemos à nous. Comme si les espagnols avaient pris un temps d'avance et se situaient à l'avant garde citoyenne européenne.
Nous en restons au stade du boycott permanent des urnes par plus de la moitié de nos concitoyens. Notre pays crie, à chaque élection, mais en silence. Des pans entiers de notre société s'éloignent du contexte de représentation républicain des partis, Front National compris. Une profonde crise démocratique est à l'œuvre. Elle est pour l'instant sans réponse organisée. La suite devra s'écrire entre amélioration économique et invention politique. Sinon ....

*Directeur associé de ZENON7 et président de j c g a.
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals