Air France : et maintenant ?

Par Jean-Louis Baroux  |   |  1176  mots
Les mesures annoncées ce lundi par les dirigeants d'Air France sont insuffisantes. Il faut aller plus loin, et oser la chirurgie lourde: en allégeant l'organisation, en mettant fin au hub de Roissy, en se séparant de Hop! Par Jean-Louis Baroux, président de JLB conseil

On est entré dans le dur. Le dialogue entre la direction et les syndicats n'a pas abouti. C'était d'ailleurs largement prévisible. En conséquence, le plan dit B va être mis en place. De quoi s'agit-il ? De progressivement diminuer la production de la compagnie en supprimant les lignes long courrier déficitaires dans le but de dégager un bénéfice d'exploitation d'un peu plus de 700 millions d'euros en 2017. Cela conduit à réduire les effectifs de près de 3000 salariés dans la même période, dont 300 pilotes, 700 stewards et 1900 personnels au sol.

Une situation très dégradée

Voilà de bonnes intentions, mais comme toujours depuis des années, l'espoir secret est que cette baisse des charges homéopathique, alliée à une forte diminution du coût du carburant et à une éventuelle reprise d'activité, permettent de sortir la compagnie de l'impasse dans laquelle elle se trouve. Seulement c'est trop tard, le mal est trop grand et les concurrents trop forts pour que ces petites mesures, même si elles paraissent énormes à une institution qui se pensait préservée de tout danger, aient un effet suffisant. Oh bien sûr le groupe va pouvoir dégager un bénéfice d'exploitation, mais celui-ci sera mangé par les coûts financiers. Rien que pour le premier semestre de 2015, ceux du groupe AF/KL se sont élevés à 555 millions d'euros soit 167 millions pour le financement de la dette et 388 millions pour les autres financements, le tout comparé à 311 millions pour le premier semestre 2014. En année pleine, les coûts financiers finissent sur une base de plus d'un milliard d'euros et par conséquent, même en dégageant 700 millions d'euros de bénéfice d'exploitation pour la seule Air France et ses filiales, le compte n'y sera pas.

Les institutions financières ne s'y sont pas trompées. La dernière levée d'obligations d'un montant de 600 millions d'euros a été souscrite à 6,5% alors que n'importe quel particulier emprunte à moins de 3%. La capitalisation boursière est passée de 5,286 millions d'euros, actualisés, à la date d'entrée en bourse le 22 février 2002 à 1,821 millions aujourd'hui. Dans les derniers 12 jours le montant de la capitalisation boursière a baissé de 187 millions d'€.

Face à cette situation, la chirurgie lourde s'impose car tous les efforts ne suffiront pas à remonter la pente. Comment faire ?

Retrouver une capacité d'investissement

D'abord il faut se redonner des capacités financières. Or le groupe n'a pratiquement plus rien à vendre sauf à se séparer du dernier joyau qu'est Air France Industries et encore cette filiale travaille essentiellement pour les besoins internes. Alors que reste-t-il ? Il reste à démanteler le groupe, tout bonnement. D'abord revendre KLM aux Hollandais qui ne demanderaient probablement pas mieux que de récupérer leur transporteur national. Et puis, dans la foulée, Air France peut aussi bien se séparer de HOP pour laquelle les acheteurs ne manqueront sans doute pas surtout si, pour l'occasion, Transavia est fusionnée avec la compagnie domestique. Cela devrait donner un sérieux coup de pouce financier et permettre alors de retrouver une vraie capacité d'investissement pour, en particulier, être dans la position de recevoir les appareils long-courriers qui ont été commandés : B 787 et A 350 dont la livraison est pour le moment repoussée.

Alléger l'organisation

Ces mesures auraient pour premier effet d'alléger sérieusement l'organisation et d'accélérer les prises de décision. Cela entrainerait également une flexibilité bien meilleure, les éventuels conflits sociaux d'une société n'ayant alors aucun effet sur les autres. Enfin beaucoup de temps serait gagné dans la tenue de nombreuses réunions de coordination, lequel temps serait beaucoup mieux employé à créer de la valeur ajoutée.

En finir avec l'exploitation « hub ».

Le prix du maintien du « hub » de Charles de Gaulle est devenu insupportable. Son alimentation par les lignes court-courrier coûte une fortune car il faut subventionner les clients européens pour les acheminer sur le réseau long-courriers. Pourquoi ne pas laisser les transporteurs « low costs » s'occuper de cela ? Michael O'Leary, le CEO de Ryanair, qui ne dit pas et ne fait pas que des bêtises l'a proposé dernièrement. Est-ce si idiot ? En retrouvant une exploitation de point à point Air France s'épargnerait bien des difficultés avec ses passagers surtout dans le cas, hélas fréquent, où ceux-ci manquent leur correspondance. Et que l'on ne me dise pas que cela assècherait le réseau long courrier d'Air France car il est fort possible de gérer les transferts à Charles de Gaulle entre plusieurs transporteurs si tout le monde y met du sien, y compris Aéroports de Paris.

Décentraliser le « yield management »

Il est urgent de redonner une proximité entre la compagnie et ses marchés. Pour cela il faut décentraliser la composante majeure de l'offre qui est le prix. Les outils sont suffisamment sophistiqués pour pouvoir être mis à la disposition des directeurs de marché avec les équipes correspondantes. Ceux-ci retrouveraient ainsi une vraie responsabilité et une agressivité plus forte pour récupérer les clients qui ont fui pour d'autres compagnies. Et pourquoi pas ne pas laisser à ces mêmes directeurs de marché la capacité de donner des commissions aux agences de voyages s'ils le jugent utile ?

Retrouver la fierté du produit

C'est la grande nostalgie à la fois du personnel et des clients. La grande époque où Air France était la référence de grande qualité du transport aérien est révolue. Pourquoi ne pas se donner tout simplement l'ambition de la retrouver ? Il faut à l'évidence améliorer le produit pour le porter au niveau des meilleurs... mais avec la « French Touch » qui reste encore inimitable. Pour retrouver la clientèle de l'avant de l'avion, il faut copier ce qui se fait de mieux chez les concurrents, avec le petit plus « à la française ».

Bien entendu je ne possède pas toutes les clefs de l'analyse et ce point de vue est extérieur. Mais y a-t-il une alternative au retour aux fondamentaux ? En quoi la séparation de HOP et Transavia desservirait-elle l'activité long-courrier ? D'ores et déjà une très grosse partie des acheminements vers Charles de Gaulle se fait en train et des accords avec HOP sont à l'évidence, inévitables. En quoi la séparation d'avec KLM affaiblirait-elle la coopération entre les deux transporteurs qui peuvent parfaitement poursuivre leurs accords de « code share » ? Pourquoi ne pas laisser HOP et Transavia vivre leur propre aventure et devenir un vrai « low cost » une fois séparés du modèle Air France qui freine toutes les avancées dans la gestion du personnel ? En devenant autonome, mais avec des rapports amicaux avec les anciens membres de la famille, chaque compagnie imaginerait certainement sa raison de vivre et de se développer. Enfin les personnels retrouveraient la fierté d'exercer leur métier dans un univers certes concurrentiel, mais dans lequel tous peuvent se tailler une place enviable.

Jean-Louis BAROUX


Président de JLB Conseil