Allemagne : une crise qui peut virer à la débâcle

Par Alexandre Mirlicourtois, Xerfi  |   |  731  mots
(Crédits : POOL)
La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, une crise qui peut virer à la débâcle pour l'Allemagne

L'épidémie du coronavirus pourrait très bien être le cygne noir capable de définitivement faire basculer l'Allemagne du mauvais côté. Cela fait deux ans maintenant que l'économie allemande frôle, par épisode, la récession. Et après un zéro pointé fin 2019, 2020 a bien mal débuté, laissant craindre le pire.

De sérieuses difficultés industrielles

Le mal est profond et la chute de l'industrie automobile en est l'élément le plus palpable. Au sein de l'économie allemande, c'est une branche clé qui à elle seule concentre près de 5% de la richesse créée par le pays (c'est moins de 1% en France, en Italie ou au Royaume-Uni par exemple) et 2% de l'emploi.

Or, c'est une citadelle assiégée. La chute des exportations a entraîné celle de la production. Le nombre de véhicules particuliers sortis des chaînes allemandes a ainsi dévissé de 20% en trois années seulement et est tombé à son plus bas niveau depuis 22 ans. Il y a le recul des débouchés, mais aussi le virage raté par les constructeurs de l'automobile électrique après s'être déjà mise à la faute avec le « dieselgate. » Une chose est sûre, l'industrie allemande ne rayonnera pas sur l'électrique comme sur le diesel ou l'essence.

Cette difficulté de l'automobile allemande s'intègre dans le cadre plus global d'un commerce mondial à l'arrêt et ce n'est pas simplement une histoire de conjoncture. La production industrielle mondiale migre d'un modèle de segmentation des chaînes de valeur vers un « nearshoring », c'est-à-dire une relocalisation ou régionalisation des chaînes de production près des marchés de consommation.

À cela s'ajoutent les difficultés des pays émergents à élargir et faire prospérer leur classe moyenne sur laquelle comptait pourtant bien les industriels allemands pour assurer leur prospérité. Enfin, il faut aussi invoquer le développement d'une offre locale qui vient directement concurrencer les pays avancés et l'Allemagne en premier chef : outre l'automobile, ses chasses gardées des biens d'équipement et de la chimie sont dans la ligne de mire.

L'Allemagne, gros pollueur

Autre défi qui va peser sur l'économie allemande : la transition énergétique. Malgré la montée en puissance des énergies renouvelables, l'Allemagne reste, et de loin, le plus gros pollueur d'Europe. Selon les données de l'Agence internationale de l'énergie, la fabrication d'un euro de PIB émet près de deux fois plus de gaz carbonique en Allemagne qu'en France (qui il est vrai importe beaucoup plus de produits qui donc pollue ailleurs) et trois fois plus qu'en Suède. En cause, le mix énergétique. La production d'électricité allemande dépend encore pour 38% de la combustion de la houille et du lignite. Or, ce sont des techniques de production particulièrement émettrice de CO2. La nécessaire conversion énergétique devrait mécaniquement faire gonfler les prix de l'électricité et fragiliser les industriels dont les avantages en matière de coûts salariaux se sont déjà considérablement réduits ces dernières années.

A cela s'ajoute un défi majeur, celui du vieillissement de la population et de la hausse induite du taux de dépendance des seniors. Ce mouvement, visible depuis longtemps, va nettement s'accélérer à partir de cette année.

Un sous-investissement chronique

Transitions industrielle, énergétique et démographique : le défi est triple. Or depuis 10 ans, l'Allemagne s'est contenté de provisionner ces risques plutôt que d'investir de façon pro-active dans ces trois transitions. Les investissements publics qui pourraient permettre de les surmonter sont en berne. Pire ! C'est un des rares pays, avec la Grèce, l'Italie ou le Portugal, dont l'effort d'investissement depuis 10 ans ne compense même pas l'usure des infrastructures installées.

Autrement dit, l'Allemagne a raté l'occasion de transformer ses montages d'excédents en investissements d'avenir. A défaut d'être investi dans l'économie réelle, le trésor de guerre allemand demeure sous forme financière. A la moindre conflagration de la planète finance, l'Allemagne peut se retrouver nue et voir s'évaporer des décennies de parcimonie... C'est le talon d'Achille allemand, qui peut transformer la crise en débâcle.

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