Apple : à la recherche de la moralité fiscale

Seule une réforme internationale de la fiscalité pourrait mettre fin aux pratiques telles que celles d'Apple. Les mesures initiées sur ce point par l'OCDE sont insuffisantes. Par Dorothée Traverse, associée du cabinet MBA

La Commission européenne demande à l'Irlande de récupérer auprès d'Apple 13 milliards d'euros d'aides d'État correspondant à l'impôt sur les sociétés économisé par Apple grâce aux accords négociés avec le Trésor irlandais.

 Alors que le taux normal d'imposition en Irlande est de 12.5% (ce qui est déjà très bas selon les normes européennes), l'accord fiscal obtenu par Apple lui permettait de réduire, de facto, son taux d'imposition effectif à moins de 1%. Par un jeu habile de prix de transfert et d'organisation logistique, les profits irlandais auraient été en outre gonflés ce qui aurait permis à Apple de bénéficier à plein du système au détriment probablement des filiales d'Apple établies dans d'autres membres de l'Union Européenne.

 Chasse aux rulings

La décision de la Commission européenne est rendue dans un contexte de « chasse aux rulings » dont ont déjà été victimes le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas. L'objectif recherché est d'éviter la compétition fiscale entre membres de l'Union Européenne, sujet que nous avons déjà abordé. Au cas particulier, ce qui est amusant est d'une part la réaction de l'Irlande et d'autre part celle d'Apple. L'Irlande accorde un avantage très significatif à une entreprise afin d'attirer des investissements ; Apple aurait directement créé 5.000 emplois dans une zone sinistrée, sans compter les autres répercussions positives que constitue un tel pôle d'activité.

 Une question de confiance

Dix ans plus tard, on demande à l'Irlande de revenir sur la parole donnée et de réclamer l'impôt économisé. Évidemment, certains membres du gouvernement irlandais souhaitent s'opposer à l'injonction de Bruxelles. C'est une question de confiance vis-à-vis des entreprises. En outre, si l'Irlande obtempère, elle risque de perdre son statut de paradis européen stable qui offre un taux d'impôt effectif dérisoire et une porte grande ouverte sur le marché européen. Certains s'indignent donc, à tout le moins pour sauver l'honneur.

 Pour autant, ne pas réclamer le jackpot fait prendre un risque politique important dans une période où, en Europe, les mauvais payeurs fiscaux sont mal vus par les électeurs et les gouvernements laxistes guère appréciés. En outre, l'argent ainsi collecté résoudrait bien des problèmes en Irlande.

Le choix des emplois

 Entre l'attractivité fiscale que souhaite garder l'Irlande vis-à-vis des sociétés étrangères investisseuses et créatrices d'emplois et la vox populi, l'Irlande a fait le choix des investisseurs, le choix des emplois. Le gouvernement irlandais a annoncé que l'Irlande ferait appel de la décision de Bruxelles. C'est un choix qui permet à l'Irlande de restaurer la confiance, Apple n'étant probablement pas la seule firme ayant bénéficié d'un ruling fiscal.  Elle doit donc défendre l'image d'un régime fiscal stable et d'une administration qui tient ses engagements.

 De son coté, Apple veut se montrer sous son meilleur jour et éviterait bien la publicité résultant d'une mise au pilori pour évasion fiscale. Pour bien vendre ses produits sur le sol européen, Apple a conscience qu'un comportement fiscal anti-européen peut être mal perçu par les consommateurs.

 La recherche d'un soutien  américain

Ainsi, Apple déclare, sur son site, payer les impôts légalement dus en Irlande et reproche à la Commission Européenne d' « ignor(er) la législation fiscale irlandaise et boulvers(er) par la même le système fiscal international ».

 Apple affirme, en outre, payer beaucoup d'impôt aux Etats-Unis et souhaiter y rapatrier ses réserves de cash quand les conditions d'imposition y seront plus favorables... Ce faisant, Apple cherche le soutien des Etats-Unis et ne répond pas au souhait de la Commission européenne d'imposer en Europe, à un taux normal et non raboté, des profits normaux, c'est à dire déterminés selon des principes de pleine concurrence. Force est de constater que chacun parle son propre langage. L'Irlande veut sauver ses emplois, Apple déclare respecter les lois et la Commission européenne tente de lutter contre la concurrence fiscale entre États européens et d'attirer de la base taxable sur son territoire. Tout le problème vient de l'existence même des rulings au sein de l'Europe qui dénaturent le « système fiscal international » auquel Apple fait référence, en exonérant d'impôt une partie importante des profits.

Les mesures OCDE n'empêchent pas l'existence des rulings

 Comme le suggère Tim Cook dans sa déclaration à la communauté Apple, seule « une réforme fiscale internationale » pourrait instaurer « simplification » et « clarté », et, ajoutons, mettre fin à ces pratiques. Le seul problème est qu'une telle réforme est pour le moins utopique. L'OCDE s'y attelle néanmoins. Cependant, à ce jour, le paquet de mesures BEPS proposé par l'OCDE et adopté dans son principe par le G20 n'est pas suffisant pour remettre en cause l'autonomie des États et régler le problème posé par l'existence même des rulings. C'est un pas vers une moralisation des relations fiscales internationales si les mesures sont effectivement adoptées par tous, mais le chemin est encore long.

 Le feuilleton européen de la lutte contre l'évasion fiscale n'en est donc pas à son dénouement.

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