Apple, chronique d'une fin annoncée

Par Andre Spicer  |   |  1291  mots
Et si, en raison de la banalisation des smartphones, les ventes d'iPhone finissaient par chuter? Apple, qui ne peut compter que sur ce produit pourrait chuter comme Nokia. Par Andre Spicer, Professeur de comportement organisationnel à la Cass Business School de Londres @andre_spicer

Les derniers mois de 2015 pourraient constituer un tournant majeur pour Apple. Ce fabriquant omniprésent d'électronique grand public a atteint le premier rang mondial des capitalisations boursières en grande partie grâce à un produit : l'iPhone. Ces appareils sont le produit représentatif de notre époque. Tout comme les historiens voient désormais dans l'automobile la technologie qui a façonné le 20e siècle, il est probable qu'ils considéreront les téléphones mobiles comme l'appareil déterminant des premières décennies du 21e siècle.

Comme pour les automobiles, toute une économie et tout un mode de vie se sont élaborés autour de ces appareils. Ils sont devenus une partie importante de notre culture et nos habitudes ont profondément changé. Il est probable qu'un grand nombre de romans représentatifs de notre époque ne comporteront pas seulement des personnages obsédés par les smartphones. Ils seront peut-être même rédigés sur des smartphones. La vie américaine du milieu du 20e siècle a été dépeinte dans les aventures automobiles de Jack Kerouac dans "Sur la route". La vie du 21e siècle sera probablement décrite par les aventures de l'auteur encore inconnu de "Sur l'iPhone".

Des iPhone essentiels à la réussite d'Apple

Les iPhone représentent cependant beaucoup plus qu'une partie importante de la culture. Ils sont essentiels à la réussite financière d'Apple. Ils constituent jusqu'à 68 % de son chiffre d'affaires. Jusqu'à présent, les ventes d'iPhone ont progressé à un rythme record. Fin 2015 cependant, les ventes se sont stabilisées soudainement pour la première fois depuis le lancement, en 2007, de cet objet désormais omniprésent. Les investisseurs ont entendu là une sonnette d'alarme, et le cours des actions de l'entreprise est en baisse. En juillet 2015, l'entreprise valait 760 milliards de dollars. En janvier, sa valeur était descendue à près de 520 milliards de dollars. Comment expliquer une chute aussi importante ? Les analystes proposent une série de raisons, notamment les perturbations du marché chinois, les clients entre deux contrats de téléphone et non intéressés par l'achat d'un nouvel appareil, ou même la perte du génie de l'entreprise, Steve Jobs. Mais je pense que les enjeux sont plus profonds.

Comme Nokia?

Apple pourrait passer en quelques années du statut d'entreprise préférée à celui de ratée. Cela s'est déjà produit pour Nokia et cela pourrait facilement se produire à nouveau pour Apple. Sa stratégie de proposition d'une gamme restreinte de produits chers pourrait se retourner contre elle. Les téléphones d'Apple coûtent plus du double d'un téléphone moyen utilisant le système d'exploitation Android. Ils ne constituent qu'une partie relativement réduite du marché des smartphones, environ 11 %. Toutefois, grâce à leur prix exorbitant, les produits d'Apple remportent la plupart des bénéfices de ce marché. Il est évident qu'une partie du marché est disposée à payer beaucoup plus cher pour avoir un produit Apple.

 Des smartphones qui se ressemblent de plus en plus...

Les smartphones deviennent cependant des produits toujours plus similaires, et c'est bien là le problème. Les clients vont commencer à s'interroger sur les raisons de payer un tel supplément. C'est ce qui m'est arrivé il y a quelques années. J'étais un utilisateur fidèle d'iPhone. En fait, tout mon domicile est rempli de produits Apple. Mais pendant un voyage en Floride, mon iPhone est mort d'une crise cardiaque. De retour à Londres, j'avais désespérément besoin d'un nouveau téléphone et je n'avais pas le temps d'attendre que mon ancien appareil soit réparé.

Je me suis rendu dans une boutique de téléphone, et la perspective de dépenser 500 livres pour un iPhone neuf n'était pas très attrayante. J'ai choisi le smartphone Nokia le moins cher que j'ai pu trouver. Cela devait être une mesure temporaire, mais j'ai rapidement découvert que le système d'exploitation Windows était satisfaisant et que ce téléphone fonctionnait parfaitement. Je ne suis pas revenu à mon iPhone. Lorsque mon Nokia est arrivé en fin de vie, j'ai acheté la nouvelle version (désormais sous la marque Microsoft). Il était bon marché et fonctionnait vraiment bien. Le seul bémol était l'absence des millions d'applications, mais l'essentiel était présent. Cette petite expérience personnelle m'a conduit à m'interroger sur la durée pendant laquelle Apple pourra continuer à demander un prix tellement plus élevé pour un produit à peine meilleur, au mieux, que celui de ses concurrents au quart du prix.

Piégée par ce qu'elle sait bien faire

Apple pourrait subir le cas d'école auquel sont confrontées les grandes entreprises qui réussissent : être piégée par ce qu'elle sait bien faire. L'entreprise a élaboré une stratégie consistant à vendre à des prix très élevés des produits pour lesquels les clients sont disposés à payer beaucoup plus cher. Mais le marché pourrait-il changer ? Cette niche haut de gamme pourrait-elle disparaître ? Ou bien les smartphones pourraient-ils être remplacés par un autre produit emblématique ? Le système d'exploitation d'Apple, iOS, pourrait-il se transformer d'un atout en un piège ?

 Des tentatives de diversification...

Il est évident qu'Apple a beaucoup réfléchi à ces questions. Elle a tenté de se diversifier dans de nouveaux marchés. Par exemple, elle a lancé son Apple Watch, pour tenter d'atteindre le haut de gamme du secteur émergent de l'informatique vestimentaire. Cependant, les ventes de ce produit n'ont pas encore réellement décollé. Elle commence également à se montrer plus offensive dans la vente de ses appareils Apple TV. Apple essaie aussi de compenser la stagnation des ventes de son produit phare en utilisant sa plateforme technique pour s'introduire dans des services tels que les soins de santé et la finance. Elle y sera confrontée à un obstacle de taille : il s'agit là de secteurs extrêmement complexes et très différents, qui sont strictement réglementés et couverts par un grand nombre d'acteurs importants et expérimentés. Il est difficile d'imaginer comment les compétences de fabrication de téléphones à la mode peuvent s'appliquer dans le secteur de la banque. Apple a même annoncé explorer le secteur automobile.

Une entreprise ordinaire?

Il est facile de décrire un scénario catastrophique pour Apple. Vous pouvez imaginer les ventes d'iPhone chutant lourdement, comme pour Nokia il y a seulement quelques années. Si cela se produisait, l'entreprise serait confrontée à une perte massive de recettes à compenser. La société survivrait pendant un certain temps : elle peut compter sur des sommes énormes placées dans différents paradis fiscaux. Mais il reste à voir si l'un de ses autres produits pourrait apporter des recettes aussi élevées. Si ce scénario se réalisait, il est probable qu'Apple redeviendrait une entreprise de technologie ou finirait par se reconvertir dans quelque chose de totalement différent (par exemple dans le secteur de la banque).

Mais il est plus probable qu'Apple passera du statut d'entreprise remarquable à celui d'entreprise ordinaire. Si cela se produit, elle prendra de nombreuses habitudes des entreprises d'âge moyen : réduction des coûts, suivi des modes et programmes de changement répétés et inutiles. Il est probable que les actionnaires mettront plus de pression sur l'entreprise pour qu'elle rapporte des dividendes et qu'ils s'engageront dans des activités de promotion financière classiques, comme l'augmentation du rachat d'actions. Certains investisseurs s'intéresseront à la trésorerie confortable d'Apple, en espérant qu'elle leur revienne plutôt que d'être réinvestie pour revigorer l'entreprise. Si cela arrive, cela enfoncera probablement le premier clou dans le cercueil de l'entreprise.