Arrêtons les travaux de la Tour triangle pour une bifurcation architecturale et écologique

Par Emile Meunier  |   |  669  mots
(Crédits : DR)
OPINION. Imaginée il y a deux décennies, la Tour triangle en construction dans le 15e arrondissement est-elle obsolète face aux exigences écologiques et au principe de sobriété imposé par la crise climatique. Par Emile Meunier, Conseiller de Paris et métropolitain (groupe écologiste) et Président de la 5e Commission (Urbanisme – Logement – Grand Paris – Politique de la Ville)

Au cœur du 15e arrondissement de Paris, le projet de la Tour Triangle suscite des controverses depuis l'origine. Prévus pour atteindre 180 mètres, soit 42 étages majoritairement dédiés aux bureaux, seuls les fondations et quelques niveaux ont, à ce jour, émergé du sol. Imaginée il y a deux décennies, dans un monde où prédominait la quête de prestige entre les capitales, cette tour, incarnation d'une rivalité verticale et d'une démonstration de puissance quasi-trumpiste, est déjà obsolète face aux exigences écologiques et au principe de sobriété imposé par la crise climatique. Mais il n'est jamais trop tard pour bien agir : nous avons encore l'opportunité de reconsidérer radicalement ce projet. L'enjeu n'est pas de l'abandonner, mais plutôt de transformer nos erreurs passées en symbole d'espoir.

Pourquoi les tours posent problème ?

Les tours sont d'abord une gabegie énergétique. Pour optimiser l'adaptation aux variations de température et maximiser l'inertie thermique du sol, la surface en contact avec l'air devrait être minimale en comparaison de la surface au sol. Or, les tours, avec leur vaste surface externe en verre, vont à l'encontre de ce principe. Leur consommation énergétique pour le chauffage en hiver et le refroidissement en été s'en trouve disproportionnée, sans oublier l'énergie nécessaire pour le transport de milliers de personnes, de fluides et de biens à de grandes hauteurs plusieurs fois par jour.

Concernant l'utilisation des ressources, les tours exigent des volumes considérables de béton et d'acier, dont la production a un impact environnemental catastrophique. Si l'industrie cimentière était un pays, elle figurerait parmi les plus importants émetteurs de gaz à effet de serre au monde, soulevant ainsi des interrogations sur la soutenabilité écologique de telles structures à l'heure de l'architecture bioclimatique.

De plus, l'histoire des tours est intrinsèquement liée à une vision du libéralisme où la hauteur des sièges sociaux symbolise la domination. Cette perspective contredit l'identité historique de Paris et son horizon ouvert.

Contrairement aux affirmations prétendant qu'elles favorisent une densification urbaine propice à la mixité sociale, les tours parisiennes entraînent souvent une ségrégation, abritant principalement des bureaux et des logements de luxe qui poussent les prix de l'immobilier à la hausse et nuisent à la cohésion sociale et territoriale.

En résumé, les tours sont en opposition avec les besoins actuels, ce qui explique pourquoi le futur Plan Local d'Urbanisme (PLU) de Paris, axé sur des principes bioclimatiques, prévoit d'interdire leur édification et de limiter la hauteur des nouvelles constructions à 37 mètres en périphérie. Cette mesure audacieuse place Paris à l'avant-garde des capitales mondiales, manifestant son engagement vers un urbanisme plus respectueux de l'environnement.

Cependant, le projet de la Tour Triangle percute cet idéal

En poursuivant sa construction, nous renions nos engagements écologiques et ternissons notre crédibilité politique. En 2026, année marquée par de nouvelles élections municipales, qui osera venir inaugurer cette aberration architecturale allant à l'encontre de la vision écologique qui sera certainement promue durant la campagne électorale ? (Il est à noter l'absence de toute tour dans le bilan des dix années de mandat d'Anne Hidalgo.) Plutôt que de célébrer un progrès, nous serions contraints de justifier une régression qui cristallisera pour des siècles nos erreurs passées dans le ciel de Paris.

Choisissons la raison et l'audace : interrompons les travaux en cours et lançons un concours d'architecture mondial axé sur la "bifurcation". La Ville de Paris, propriétaire du terrain et du bâtiment, les financeurs, les promoteurs et l'État inviteront à repenser la Tour Triangle sans dépasser 37 mètres de hauteur, tout en conservant les fondations et les premiers niveaux déjà construits. L'objectif sera de concrétiser nos engagements en faveur de la sobriété et de l'intégration de la nature dans notre urbanisme. Ce projet démontrera au monde la capacité de l'humanité à se réinventer face à la crise, à corriger ses erreurs et à se projeter vers l'avenir.