BCE  : Christine Lagarde doit en finir avec une politique monétaire insensée

Par François de Saint-Pierre  |   |  883  mots
Christine Lagarde. (Crédits : Reuters)
OPINION. La politique monétaire menée par la Banque centrale européenne (BCE) est contraire au bon sens car les taux d'intérêts négatifs sont la négation de la croissance économique. Leurs effets délétères vont faire de nombreux dégâts. Par François de Saint-Pierre, président  du Cercle Jean-Baptiste Say, Associé-gérant chez  Lazard.

« Insensé (e) » : qui n'est pas conforme au bon sens, écrit le Littré. C'est assurément le qualificatif parfait pour la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) qui a installé son taux de référence en territoire négatif depuis le 10 septembre 2014... Cinq ans déjà !

Ces taux d'intérêts négatifs sont contraires au bon sens car ils sont la négation de la croissance : le principe du taux d'intérêt est que demain vaudra plus qu'aujourd'hui parce que celui qui emprunte fera mieux avec cet argent que celui qui le garderait sans rien en faire. De la Parabole des talents à l'esprit des Lumières, c'est bien la philosophie du progrès qui soutient l'existence des taux d'intérêt.

Nier la croissance, le risque et l'inflation

En prêtant son argent, le créancier prend le risque de ne pas être remboursé. Ce risque est rémunéré par le taux d'intérêt qui protègera aussi normalement le prêteur de l'inflation. Installer et maintenir des taux négatifs, c'est nier la croissance, le risque et l'inflation. C'est contrevenir à ce qui permet et accompagne la prospérité telle que nous la partageons depuis plus de deux siècles. Cette quête de prospérité repose sur l'ambition de progresser de son vivant et d'offrir l'opportunité aux générations suivantes de poursuivre le mouvement.

Certes, la croissance de la zone euro est faible, mais est-ce en raison de difficultés de financements ? La croissance annuelle des crédits s'établit à plus de 3,5% et la masse monétaire progresse beaucoup plus vite (autour de 5% sur un an) que le PIB (+1.2%) en 2019. Cette faible croissance économique doit plutôt être analysée comme le résultat de nos faibles gains de productivité. Eux-mêmes renvoient au manque d'investissements et à la contraction durable du secteur manufacturier, à une innovation insuffisante qui renvoie à son tour au recul éducatif. En outre, les réglementations toujours plus nombreuses et les besoins d'une sécurité toujours plus élevée dévorent les gains réalisés, anéantis par une coûteuse complexité.

La déflation n'est pas une menace

L'inflation est faible, elle aussi (autour de 1.2%), mais reste proche de sa moyenne depuis la création de l'euro dans les grands pays « core ». La déflation, qui se traduit par la baisse du niveau général des prix et des revenus, n'est pas une menace. L'objectif d'une inflation cible à 2% semble être devenu un dogme qui dissimule l'inflation d'actifs - immobilier, obligations, private equity, actions cotées, or, art contemporain etc.- qui, eux, connaissent des hausses de prix que les fondamentaux n'expliquent pas toujours. Car tout est achetable à crédit, puisqu'il est possible de financer gratuitement ce qui ne rapporte rien...

Les taux négatifs permettent en outre de maintenir ou de développer des projets et des entreprises sans rentabilité en leur accordant la possibilité de se (re)financer à un coût n'ayant rien à voir avec une exigence normale de profitabilité. Ni donc avec le risque qui l'accompagne !  Ce sont ces fameux business models « disruptifs » qui ne créent pas de valeur mais qui détruisent celle produite par les acteurs ayant des contraintes financières normales. En pesant artificiellement sur les prix et en mettant sous pression les marges de concurrents aux modèles de croissance plus lents mais plus solides.

L'épargne de précaution augmente

Les taux négatifs viennent ainsi bouleverser la hiérarchie efficiente des valeurs. Demain valant moins qu'aujourd'hui, l'épargne de précaution augmente en Allemagne comme en France -alors que le chômage baisse et a rejoint son plus bas niveau dans la zone euro depuis 2007- sans pour autant venir financer aucun projet de prospérité ! Le livret A atteint des niveaux record à plus de 300 milliards malgré une rémunération ne couvrant pas la moitié de l'inflation.

Enfin, cette politique rend gratuite la drogue aux déficits issus de dépenses publiques excessives qui pèsent sur la création de valeur collective. L'État impécunieux est rémunéré en lieu et place de l'épargnant précautionneux ! Par ailleurs, les jeunes et primo-accédants voient la propriété immobilière inaccessible et les loyers monter, ce qui ajoute au ressentiment social que provoque l'obésité de l'Etat providence.

Enfin, autre conséquence maintes fois commentée, et qui s'aggrave avec le temps, est la fragilisation périlleuse des assureurs et l'affaiblissement des banques européennes (650.000 suppressions d'emplois en 10 ans) face à leurs concurrentes américaines, notamment. Pas de quoi renforcer la confiance...

Mettre un terme à la manipulation monétaire

Il est donc temps de mettre un terme à cette manipulation monétaire qui s'ajoute aux manipulations budgétaires encore amples et nombreuses dans la zone euro. Car la politique de taux négatifs, qui outrepasse une politique de taux bas, porte en elle la déflation et la stagnation qu'elle prétend combattre. Madame Lagarde doit remettre le bon sens à la direction de la BCE pour que l'Europe retrouve confiance dans l'avenir et la croissance, sans craindre la mauvaise humeur des « marchés ». Plus sera retardé le retour du bon sens, plus les effets délétères des taux négatifs feront de dégâts.