Benalla Macron, "une affaire d’été"

Par Jean Christophe Gallien  |   |  949  mots
Jean Christophe Gallien, politologue-communicant et enseignant à l'Université de Paris la Sorbonne, Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals. (Crédits : Reuters)
Face à ce véritable casse-tête, Emmanuel Macron va devoir prendre une décision : soit endosser des décisions qui bousculent les équilibres; soit choisir de freiner sa gouvernance tel qu'il l'a conseillé nouvellement au risque de s'affaiblir politiquement. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 La Sorbonne, président de j c g a.

Il ne s'agit pas d'une simple affaire de communication, pas encore d'une affaire d'Etat pour autant, mais l'affaire Benalla est déjà une affaire politique. Une affaire d'été !

L'affaire Benalla devenu le feuilleton de l'été

Eh oui, c'est l'été et pas n'importe lequel. Celui d'une victoire bleu blanc rouge à la Coupe du Monde de Football. Tout était réuni pour que malgré une vraie baisse de popularité Emmanuel Macron passe un été raisonnablement serein et festif. Un été normal. Même le début de ce qui est depuis devenu l'affaire Benalla semblait maîtrisable par l'effacement, l'éloignement du Président de l'arène médiatique. Magie de l'historique trêve estivale. Sauf que l'été a changé. Comme le reste. Impossible désormais de se cacher et d'attendre que "ça passe". La bête médiatique contemporaine comme nos appétits individuels exigent une nourriture permanente. Plus personne ne se débranche comme avant. Pas de déconnexion, encore moins de sevrage. Journalistes, observateurs, spectateurs, lecteurs, ... nous ne pouvons cesser de consommer les grandes ou petites pulsations du Monde. Nos écrans individualisés nous suivent partout, à la plage, à la montagne et tout le temps. Et les écrans ont besoin de contenu. Nous aussi, même quand l'info n'est pas une vraie actualité. Alors quand ça ressemble à une affaire, une vraie ... voici potentiellement le feuilleton de l'été ! A moins qu'une autre info, un autre événement, plus gros, plus violent, ... ne vienne la repousser dans l'obsolescence médiatique.

L'énorme travail en profondeur de La France Insoumise

C'est une affaire politique parce qu'il s'agit de la première vraie victoire politique d'un mouvement politique qui s'oppose à Emmanuel Macron et à La République en Marche. La France Insoumise a produit un gros travail en profondeur pour sourcer, structurer, diffuser et imposer ce qui avait échappé à beaucoup. Peut-être même au Président ! Au moment où personne ne s'y attendait, dans l'euphorie d'une victoire mondiale en bleu blanc rouge, au moment où nombreux célébraient ou enrageaient de cette baraka macronienne qui depuis l'affaire Fillon ne cesse d'accompagner le destin politique d'Emmanuel Macron, au moment où celui-ci pouvait légitimement baisser sa garde, la France Insoumise a cogné et frappe encore un Président presqu'au tapis. C'est comme si, pour quelques jours, le pouvoir avait changé de visages et de voix. Comme dans une convergence des luttes politiques, comme dans une seule et même opposition, La France Insoumise est rejointe par le Rassemblement National et Marine le Pen, puis Les Républicains et Laurent Wauquiez. Seuls les ex apparatchiks du PS ne trouvant pas le souffle nécessaire ni à l 'Assemblée, ni ailleurs.

Les enjeux de la conversation avec les Français

Emmanuel Macron va devoir revenir dans la conversation avec les Français. Il va surtout devoir choisir entre l'affirmation d'une gouvernance verticale, autoritaire, décomplexée, celle de nombreux leaders contemporains, assumer des choix ou décisions qui détonnent ou bousculent les équilibres mais qui participent, selon lui, de la réalisation rapide et durable de ses engagements pris auprès des français : plus de travail, plus d'argent, le dégraissage public, la baisse de la fiscalité ... Comme dans un "je fais ce pourquoi je suis là comme je choisis de le faire" et pour le reste ... Une posture qui séduit certains mais repousse aussi beaucoup, surtout si les résultats concrets ne viennent pas. Soit il choisit de tempérer sa gouvernance comme il l'a suggéré récemment. Il déclare clairement avoir été trompé par un de ses collaborateurs. Il le sanctionne. Il fait le ménage dans son cabinet et au delà, et, sans faire une Leonarda, il se requalifie en Président classique entre son épouvantail François Hollande et un Nicolas Sarkozy plus fréquentable à ses yeux. Au risque là aussi de décevoir, voire de s'affaiblir politiquement et géopolitiquement en se normalisant de trop. Dilemme complexe mais il doit décider vite.

Inquiétante fracture au sein du gouvernement

Au delà des enjeux de la conversation avec les français, cette affaire révèle des lignes de fractures inquiétante entre le Ministre de l'intérieur et ses troupes qui deviennent de fait une menace politique pour la suite de la Présidence Macron. Un an jour pour jour ou presque après avoir affirmé son autorité sur les armées, des décisions et une communication maladroites de l'Elysée et du Ministre de l'Intérieur, créent les conditions d'une potentielle nouvelle épreuve de force entre le Président et un corps constitué de la République. Des noms de policiers balancés dans l'arène parlementaire et médiatique, des explications dissonantes entre Beauvau et la Préfecture de Police, les silences de l'Elysée ... les policiers hommes et femmes pour beaucoup déjà en revendication d'une meilleure situation pourraient considérer qu'il s'agit de l'affaire de trop. Et ils ne sont pas des soldats. La police n'est pas la Grande Muette. Plus libre, plus bavarde, traversée par des sensibilités politiques et spirituelles diverses et puissantes, pas toujours proches de La république en Marche et de son leader, les effets à moyen terme pourraient être très lourds pour la suite du confort politique d'Emmanuel Macron et de ses amis. Affaire d'été ou affaire d'Etat ? Rendez-vous, comme l'année passée, sur les routes et les ondes du Tour de France pour en savoir plus.

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Par Jean Christophe Gallien 
Politologue et communicant
Président de j c g a 
Enseignant à l'Université de Paris la Sorbonne

Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals