Brexit nord-irlandais : la possibilité d’une île

Par Yannick Cabrol  |   |  537  mots
Yannick Cabrol, économiste au sein du cabinet EY Irlande. (Crédits : DR)
OPINION. Le Brexit pourrait rouvrir des plaies qui semblaient cicatrisées en faisant craindre aux protestants du nord de l’Irlande un éloignement progressif de la figure tutélaire londonienne. Par Yannick Cabrol, économiste au sein du cabinet conseil EY Irlande.

Le projet d'accord proposé par Theresa May et Michel Barnier pratique à merveille l'art du « en même temps » : sortir de l'Union Européenne tout en continuant à commercer avec elle en se pliant à la plupart de ses directives communautaires. Si ce compromis minimise les conséquences économiques du Brexit, il risque de se fracasser sur un problème politique qui hante les couloirs du 10 Dowding Street depuis des décennies : la question irlandaise.

Un soft Brexit protégerait l'accord signé en 1998

Le principal parti unioniste (DUP) a fait valoir à Theresa May son indignation à l'égard d'un accord trop conciliant avec l'Union Européenne. Pour Nigel Dodds, leader des députes unionistes cet accord est « mauvais » et « ébranle l'intégrité du Royaume Uni ». L'option d'un hard Brexit a ses faveurs car il permettrait de rompre définitivement avec le marché commun... et la République d'Irlande au sud. La frontière, un temps disparue, serait de retour.

Au contraire, le premier ministre de la République d'Irlande Leo Varadkar, s'est félicité de l'accord obtenu par la Première ministre britannique car il garantit la liberté de mouvement des hommes et des marchandises sur l'ensemble de l'île. Il protège ainsi le Good Friday Agreement signé le 10 avril 1998 après trois décennies d'affrontements qui auront fait près de 3.600 morts au cœur de l'Europe.

Backstop : vers un statut différencié de l'Irlande du Nord

Négative pour le commerce international et source potentielle de troubles nationalistes, la lutte contre la réintroduction d'une frontière physique a été au cœur des discussions entre les gouvernements britanniques et irlandais. Elle a abouti à la promesse d'un backstop dans le scénario d'un no deal. Or, ce plan B est désormais envisageable du fait de l'alliance de circonstance entre les remainers et les hard brexiters. A la mi-décembre, si le parlement rejette le plan de Theresa May,  soit un nouveau referendum sera organisé, soit le backstop sera mis en place.

La possibilité d'une île unifiée à long terme

L'option du backstop permet d'entrevoir la possibilité d'une île d'Irlande unifiée à long terme car il introduirait un statut économique spécifique pour l'Irlande du Nord à mi-chemin entre l'Union Européenne et le Royaume-Uni. L'ensemble de l'île d'Irlande serait ainsi inclus dans une union douanière, un marché commun de l'électricité ou encore une zone de libre circulation des personnes.

La crainte d'un éloignement de la figure tutélaire londonienne est d'autant plus prégnante que, d'après le dernier recensement nord-irlandais de 2011, les catholiques deviendraient majoritaires dans le pays d'ici à 2021.

Cependant, et en particulier depuis deux décennies, le commerce et les concessions politiques réciproques ont considérablement contribué à rapprocher les peuples. 35% des exportations nord-irlandaises hors Royaume-Uni se font à destination de sa voisine du sud et, chaque année, 110 millions de personnes traversent la frontière irlandaise (NISRA, 2017).

C'est pourquoi dans le cas de l'Irlande du Nord comme dans le cas du roman de Michel Houellebecq, les perspectives les plus sombres peuvent et doivent être éclairées par une lueur d'espoir afin de continuer « quand même au fond de [soi], et contre toute évidence, à croire en l'amour » (*).

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(*) In "La possibilité d'une île", Fayard, 2005.