Brexit : Tous perdants !

Par Dominique Gautier  |   |  867  mots
David Cameron, premier ministre britannique démissionnaire, a joué les apprentis sorciers en promettant un référendum sur le Brexit
Penser que le continent européen sortira gagnant du Brexit, c'est se fourvoyer. Par Dominique Gautier , Senior Partner, Roland Berger

La tradition britannique est parlementaire; le Royaume-Uni n'a connu que trois référendums dans la période d'après-guerre. Celui du 23 juin dernier, favorable au " leave " restera dans les mémoires comme l'ultime épisode du mandat de David Cameron, l'homme qui inventa le concept de " Big Society " pour réformer son pays !
Un point de non-retour a désormais été atteint en Europe, aux conséquences politiques, économiques et sociales majeures pour le Royaume-Uni et pour l'Union.
Les marchés financiers ont sanctionné  l'entrée des pays de l'Union Européenne dans une zone de fortes turbulences.

Dans le même temps, les indices boursiers britanniques ont beaucoup moins reculé, et ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce " Brexit ", que d'accréditer - au fond - la thèse d'un moindre mal pour l'économie britannique.
Les investisseurs internationaux sont donc persuadés qu'il y aura des perdants et des " plus que perdants ". Ils parient contre les économies endettées, à faible croissance et au niveau de rigidité élevé (marché du travail, dépenses publiques, etc.) et restent moins inquiets - si l'on peut dire - des effets de ce divorce sur l'économie britannique. Que faut-il penser du jugement des marchés ?
Quels effets sur l'économie britannique ? Le Trésor de la Couronne a publié, quelques mois avant le référendum, une étude qui indique que la sortie de l'Union coûterait à son activité économique entre 3 et 7 points à horizon 2030. Le résultat est obtenu en évaluant les effets du ralentissement des investissements directs étrangers (IDE) et des échanges sur la productivité des facteurs et donc sur la croissance. Il est édifiant !

Une mauvaise affaire pour la place financière de Londres

La sortie de l'Union sera aussi une mauvaise affaire pour la place financière de Londres qui disposait jusque-là d'un avantage concurrentiel très fort (notamment plus de 50% de part de marché sur certains segments des marchés de capitaux). Londres va subir les effets de la désimbrication du système financier Royaume-Uni - Union Européenne et les grandes banques d'investissements internationales (notamment américaines et suisses) vont revoir leur implantation car les marchés de l'UE seront moins accessibles depuis la capitale anglaise, d'où ils opèrent aujourd'hui grâce au passeport bancaire délivré par le régulateur britannique.
Quels effets sur les pays de l'Union ? Si l'on s'en tient aux trois principales économies continentales de l'Union Européenne : l'Allemagne, la France et l'Italie, la situation est plus contrastée que ce que les marchés financiers semblent l'indiquer. Tout d'abord, la plongée de la Livre Sterling a mécaniquement fait passer l'économie britannique de la 5e à la 6e place mondiale.

Besoin de compétences

La diminution inéluctable du niveau de vie et de richesse des britanniques va peser sur la consommation intérieure, sur l'investissement des entreprises et déclencher un contre effet migratoire majeur, en particulier sur les profils les plus qualifiés, qui va bénéficier aux économies du continent. Or, ces économies se situent toutes -à des degrés différents de maturité - à la frontière technologique. Elles ont, pour la plupart constituées des écosystèmes leaders dans certains domaines (E-santé, Cleantech, Internet des Objets) et ont besoin de renforcer leurs compétences sur ces profils pour continuer de réaliser des gains de productivité. L'Allemagne, par exemple, va devoir pourvoir entre 150.000 et 200.000 emplois dans le digital à horizon 2025, en plus de son contingent domestique de diplômés.
Enfin, si la compétitivité-coût du Royaume-Uni va s'améliorer sous l'effet d'une position de change favorable, il n'est pas du tout certain que cet avantage concurrentiel soit désormais déterminant dans la mesure où les filières industrielles qui pourraient être affectées en Europe (comme les équipementiers automobiles par exemple), ont pour la plupart fait leur révolution vers des positions stratégiques où la compétitivité hors-coût est primordiale.

Pas de "Brexit dividend" !

Au final, dans une perspective purement macro-économique, le Brexit a toute les apparences d'une aubaine pour les économies de la "Vieille Europe", en renversant, les avantages comparatifs relatifs de part et d'autre de la Manche. C'est évidemment un trompe-l'oeil, il n'y aura pas de " Brexit Dividend ". Les marchés l'ont bien compris, ils sont juste encore un peu aveugles sur la dépression britannique qui attend les citoyens de Sa Majesté.
En effet, les effets politiques traumatiques de ce séisme vont peser sur l'activité économique du continent dans son ensemble, Royaume-Uni inclus, en assombrissant encore un peu plus les perspectives du continent aux yeux des agents économiques internationaux. Le FTSE gagnera tôt ou tard des étages identiques à ses concurrents continentaux.
Dans ces conditions, il faut vite repenser le projet européen, l'arrimer davantage aux aspirations des citoyens des pays membres, et surtout négocier, sur la base d'un consensus qu'il ne faut pas tarder à trouver à 27, les conditions d'un " Breturn ", plutôt que le bannissement de la Couronne, qui semble être -Malheureusement - l'horizon que ces sont désormais fixés les dirigeants de l'UE.

Dominique Gautier, senior Partner, Responsable du Centre de Compétences Secteur Public