C'est le moment de miser sur les entreprises d'intérêt général

LE MONDE D'APRES. La semaine dernière, on annonçait en grand pompe la création d'un fonds de soutien de 4 milliards pour les start-up. On peut bien sûr s'en féliciter, mais quid des entreprises à impact, celles qui contribuent à l'intérêt général ? Nous aurons besoin d'elles dans le monde d'après, et peut-être plus que de bon nombre de licornes. Trop longtemps, nous avons laissé la quête d'une rentabilité maximale et le critère d'hypercroissance opérer les choix économiques stratégiques à notre place. Nous voyons aujourd'hui le résultat. Par Eva Sadoun*
(Crédits : DR)

Il y a encore quelques semaines, la France ne comptait sur son sol qu'une poignée de producteurs de masques de protection. Un mois plus tard, toute une filière s'est mise sur pied et la production quotidienne atteint plusieurs centaines de milliers de masques par jour. Parmi les entreprises pionnières, on trouve 1083. L'entreprise textile de Romans-sur-Isère a été en effet l'une des premières à annoncer la réorientation de son appareil productif au service de la fabrication de masques. Rapidement, d'autres ont suivi, et un véritable écosystème industriel est né de cette volonté de solidarité et de coopération locale.

L'exemple de 1083 est intéressant à bien des égards. Mieux encore : cette société concentre un certain nombre d'attributs que nous devrions exiger de l'entreprise pour le monde d'après. L'entreprise a contribué à relancer la filière du jeans dans l'hexagone, en créant au passage un grand nombre d'emplois pérennes en France dans le secteur textile, ce qui constitue déjà en soi un tour de force, et l'inversion d'une dynamique qu'on nous prétendait inéluctable. Sa résilience lui a aussi permis de faire pivoter son système productif en quelques jours pour le mettre au service de l'intérêt général quand les circonstances l'exigeaient. Mais l'enjeu qui nous intéresse est ailleurs : 1083 démontre qu'une entreprise d'intérêt général, qui allie consommation et production responsable, peut afficher une santé financière à faire pâlir les grands groupes.

Conjuguer éthique et pratique sur le long terme n'est pas toujours facile. Pour maintenir le cap, 1083 a pris le parti de se financer directement auprès des particuliers en passant par la plateforme LITA.co que j'ai créé avec mon associé en 2014. Un million d'euros, cela peut sembler beaucoup pour un financement participatif. Résultat : la totalité des fonds a été réunie en 12 heures et garantira 5% par an à ses investisseurs, et ce pour une durée de 5 ans.

1083 n'est pas un cas isolé. Au contraire, l'entreprise fait partie d'un écosystème florissant. Les exemples d'entreprises d'intérêt général ne manquent pas. Quand Phénix met, gratuitement, sa plateforme anti-gaspillage à disposition de toutes et de tous, c'est un engagement fort pour maintenir à flot des circuits alimentaires résilients et engagés. Quand Banlieues Santé utilise un outil technologique pour relayer les consignes sanitaires face au Covid-19 au sein des quartiers, ils sont les meilleurs auxiliaires du service public sur le terrain. Et Simplon.co, qui offre ses compétences techniques pour fournir aux hôpitaux du matériel informatique afin de permettre aux malades du Covid-19 de rester en contact avec leurs familles, nous montre la plasticité de ces modèles et la constance de leur engagement.

Avis de gros temps pour l'épargne mondiale

La crise actuelle démontre que les marchés financiers ne servent plus leur rôle premier. Leur sécession avec l'économie réelle favorise de plus en plus l'éclosion puis l'explosion de bulles spéculatives, laissant sur le carreau des milliers d'épargnants. Le monde que la finance a largement contribué à déstabiliser au cours des dernières décennies se rappelle à notre bon souvenir et fait à son tour tanguer la sphère financière. La succession des crises sanitaires et climatiques appelle un constat douloureux : en bourse, le jeu n'en vaut plus la chandelle. L'incertitude qui se profile à long terme fragilise également des secteurs d'investissements réputés infaillibles, et l'immobilier en est un bon exemple. De l'autre côté du spectre, les choix d'investissement basés sur une aversion aux risques n'autorisent qu'une rentabilité dérisoire. Dans ces conditions, il va falloir se poser sérieusement la question du sous-jacent de la finance et des méthodes d'évaluation du risque. Tout ce qui est extra-financier ne devrait-il pas finalement prendre le pas sur les critères purement financiers ? La situation exceptionnelle que nous vivons aujourd'hui penche dans ce sens. La véritable résilience, en finance, consisterait à rétablir le lien entre valeur et utilité, à réencastrer un produit financier dans le contexte sociétal qui l'englobe.

Le vent tourne et certains signes peuvent faire office de girouettes. Le plus grand gérant d'actifs au monde, Blackrock, a annoncé dans sa dernière lettre annuelle sa volonté d'inscrire la durabilité comme "norme en matière d'investissement". La crise sanitaire que nous traversons agit également comme un révélateur. Si le patriotisme économique est longtemps resté le terrain de prédilection des nationalismes douteux, on ne compte plus les personnalités politiques qui se rendent aujourd'hui à l'évidence : une économie nationale ne peut dépendre exclusivement de chaînes d'approvisionnement mondiales.

Réconcilier utilité et rentabilité

Si notre futur proche est caractérisé par l'incertitude, l'avenir plus lointain pourrait germer quant à lui dans le terreau des entreprises à impact. En érigeant la résilience en projet de société, l'économie sociale, solidaire et écologique se garantit un avenir éloigné des turbulences macroéconomiques. Leur raison d'être, basée sur des besoins réels, leur assure une robustesse au long cours, à l'opposé des entreprises qui misent leur développement sur des nécessités factices. Certes, les investisseurs à la recherche de la pépite boursière ou de la prochaine licorne française risquent d'être déçus par les rentabilités annuelles à un seul chiffre. Mais qui aurait-pu croire qu'investir à quelques kilomètres de chez soi pourrait rapporter 5% par an et contribuer à une alternative souhaitable dans l'industrie textile ?

A l'aune de la crise actuelle, les entreprises sociales et écologiques portent en leur sein le nouveau modèle économique dont nous aurons besoin à la sortie du confinement. L'économie à impact positif n'est pas l'ennemie de la rentabilité, et les dizaines de projets entrepreneuriaux qui fourmillent aujourd'hui en France en constituent la meilleure preuve. Les pénuries observées récemment dans des secteurs stratégiques sont un signal d'alarme : il faut dès aujourd'hui réorienter l'investissement vers sa destination originelle, celui d'une économie réelle dont la société a besoin.

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* Eva Sadoun, Co-fondatrice de la plateforme d'investissement dans des projets à impact social et environnemental LITA.co1, elle est aussi connue pour ses engagements personnels au sein de l'écosystème de la finance solidaire et de l'entrepreneuriat social.

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Commentaires 2
à écrit le 30/04/2020 à 6:47
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La caractéristique de l'intérêt général c'est qu'elle ne se met pas en place a coup de propagande publicitaire car ce n'est pas "une politique de l'offre" mais répond a une demande!

à écrit le 30/04/2020 à 6:46
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La caractéristique de l'intérêt général c'est qu'elle ne se met pas en place a coup de propagande publicitaire car ce n'ai pas une politique de l'offre mais répond a une demande!

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