Capture accidentelle des cétacés : la France au rendez-vous de ses engagements

Par Annick Girardin  |   |  898  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. Que savons-nous de l’état écologique de la population de dauphins et pourquoi sont-ils aussi nombreux dans le golfe de Gascogne ? Pourquoi tant d’interactions entre les dauphins et les filets de pêche et comment les éviter ?État des connaissances sur les échouages des cétacés liés aux captures accidentelles. Par Annick Girardin, Ministre de la Mer

Depuis 10 ans, le nombre de dauphins qui s'échouent sur les plages du golfe de Gascogne durant l'hiver augmente régulièrement. D'une centaine en 2010, ce chiffre atteint aujourd'hui le millier. L'examen des carcasses montre en outre que 80 à 85 % d'entre elles portent des marques de filets de pêche. Bon nombre des dauphins capturés accidentellement disparaissent en mer.

Face à cette triste réalité, dès mon arrivée au ministère de la mer, j'ai lancé un plan d'action doté de 10 millions d'euros, avec deux priorités claires. D'abord, mieux comprendre les causes de ce phénomène afin d'agir et protéger les dauphins. Ensuite, identifier des solutions permettant aux pêcheurs de poursuivre leur activité indispensable à notre économie bleue et à nos territoires côtiers, en évitant au maximum les captures accidentelles.

Premier axe de ce plan d'action : la connaissance scientifique

Les échouages posent trois grandes questions : quel est l'état de la population de dauphins ? Pourquoi les dauphins sont-ils aussi nombreux dans le golfe de Gascogne ? Pourquoi tant de carcasses de dauphins sont-elles retrouvées avec des marques de filet de pêche ?

Pour y répondre et améliorer nos connaissances, nous avons mobilisé la recherche française dans le cadre du plan d'action défini en 2020. Pour la première fois depuis 2011, une grande campagne d'observation des cétacés a été lancée. 70 jours de survols des côtes françaises ont été réalisés. Au cours de ces observations, les taux de rencontre de dauphins ont été supérieurs et leur répartition plus étendue qu'il y a 10 ans.

Les analyses scientifiques sont en cours, et nous disposerons des résultats définitifs au mois de juin 2022. Cela nous permettra de mieux connaître les enjeux écologiques de la population de dauphins dans l'Atlantique, les dauphins du Golfe de Gascogne faisant partie d'une population plus vaste, qui s'étend du sud de l'Angleterre jusqu'aux côtes africaines de la Mauritanie.

Pour compléter cette analyse de la population et bien comprendre les raisons de ces échouages qui surviennent pour la plupart pendant l'hiver, le projet DELMOGES, doté de 3 millions d'euros, a été lancé autour de l'Ifremer, de l'observatoire Pelagis, de l'Office français de la biodiversité, du Comité national des pêches maritimes et d'entreprises innovantes. Il démarrera cet hiver et s'achèvera en 2024. Il permettra de mieux comprendre les interactions entre les pêcheurs, les cétacés, et des facteurs externes pouvant expliquer le phénomène, comme le changement climatique ou la reconstitution des stocks de poissons.

Deuxième axe de notre plan d'action : la prévention des captures accidentelles

 Sans attendre les résultats de ces travaux scientifiques, nous avons décidé d'agir par des mesures qui vont réduire les captures accidentelles de dauphins.

D'abord, la communauté scientifique est désormais mobilisée afin de mettre au point des technologies innovantes, impliquant notamment dispositifs acoustiques, observations satellitaires, drones flottants, volants ou sous-marins. L'objectif principal reste inchangé : tout faire pour éviter que les dauphins se retrouvent pris dans les filets. De premières avancées seront présentées dès cet été.

Ensuite, il faut accélérer la mise en place de ces solutions avec les pêcheurs. Dès 2020, nous avons défini une charte de 7 engagements aux côtés des professionnels et des scientifiques. Les premières actions ont été menées : les chalutiers du golfe de Gascogne sont aujourd'hui tous équipés de répulsifs acoustiques, les « pingers », qui permettent d'éloigner les dauphins. Pour aller plus loin, nous allons expérimenter en 2022 l'utilisation de ces dispositifs sur de plus petits bateaux, les fileyeurs.

Dès fin 2020, nous avons lancé une expérimentation de caméras embarquées à bord des navires de pêche, afin d'améliorer l'état de nos connaissances et de permettre le développement de techniques de pêche évitant les captures. Si le dispositif fait ses preuves, l'État soutiendra la généralisation de ces caméras dans les prochains mois. La mobilisation des professionnels va également se traduire par l'accueil d'un plus grand nombre d'observateurs à bord des navires.

Sur la base de ces actions, et des résultats des études scientifiques que nous avons lancées, un bilan sera établi au moins de juin. Cela nous permettra d'accélérer le développement des mesures qui fonctionnent, mais aussi d'explorer certaines pistes, comme l'évolution des techniques de pêche, permettant par exemple aux dauphins de sortir des filets dans lesquels ils se retrouvent accidentellement piégés, comme certains pays ont réussi à le faire pour les tortues marines.

Ne soyons pas dogmatiques : les pêcheurs ont l'ambition d'être des acteurs de premier plan dans la préservation de la biodiversité marine. Leur activité en dépend et ils le savent. Et pourtant, tous ne sont pas encore au rendez-vous de leur obligation en matière de déclaration des captures accidentelles, parfois par choix, parfois par crainte d'être stigmatisés. En faisant progresser la connaissance sur les captures accidentelles de cétacés, en mettant au point de nouvelles solutions avec les pêcheurs, nous avons les moyens d'agir pour protéger les dauphins et concilier la protection de cette espèce emblématique de nos océans avec les activités de pêche indispensables à l'économie bleue.