"Cesser de raisonner uniquement en termes de marché" Dominique Bourg

[24 Tribunes pour la COP24 | 22/24 ] Depuis le début du processus de négociation, la température moyenne sur Terre a fortement augmenté et la concentration de gaz à effet de serre a explosé. Autrement dit, pour une civilisation fière de son efficacité techno-économique, il y a de toute évidence un problème. Par Dominique Bourg, Philosophe, professeur à l’université de Lausanne
(Crédits : DR)

Au moment de Rio, en 1992, guère nombreux étaient ceux qui doutaient de nos capacités technologiques à surmonter les difficultés écologiques. C'était même le fondement de ce qu'on nommait « développement durable » et qui tablait sur la possibilité de découpler la croissance du PIB des flux d'énergie et de matières sous-jacents, grâce à la magie des techniques. Continuer à attendre des seules techniques la solution à nos problèmes est le plus sûr moyen de continuer à s'enfoncer dans une impasse mortelle.

La raison pour laquelle nous ne cessons en cette matière de nous leurrer est que nous raisonnons en termes de marché, à partir du marché et des informations qu'il peut nous donner. Il est des critiques savantes et imparables du marché et de sa prétendue efficience (N. Bouleau). Mais j'attirerai ici plus simplement l'attention du lecteur sur quelques données simples. Les transactions liées à l'énergie ne représentent que 4 % du PIB alors que, si nous devions par enchantement être dépourvus d'énergie du jour au lendemain, c'est l'ensemble du PIB qui s'effondrerait. Seconde donnée simple, la volatilité des prix du baril de brut, indépendante tant des évaluations des ressources disponibles que des technologies utilisées. C'est suffisant pour douter du credo hayekien sur la fiabilité des informations fournies aux entrepreneurs par les prix, sans même évoquer le consommateur. Côté client final, si j'achète une Zoé ou une Tesla, je sais que je n'irai pas à la pompe, mais ne sais rien du coût énergétique reporté sur l'amont, la fabrication du véhicule et de ses batteries. Le constructeur lui-même n'est probablement pas capable de fournir une information absolument fiable et encore moins concernant le carbone associé au type d'électricité que je vais utiliser, qui contribue évidemment au bilan énergétique final de la voiture.

L'autre donnée est plus complexe. En matière énergétique, l'information capitale, mais difficile à dégager, est celle du Taux de retour sur investissement énergétique (TRE). Rappelons que les êtres humains ne produisent pas d'énergie, elle est constante au sein de l'univers, mais ils parviennent à la capter, la transformer et à la transporter, en utilisant de l'énergie, et des matériaux, qui exigent eux-mêmes de l'énergie. On peut ainsi distinguer un TRE strict, l'énergie directement nécessaire par exemple à l'extraction d'un baril, et un TRE étendu, qui prend alors en compte l'énergie incluse dans les infrastructures de captage, de transformation et de transport de l'énergie. Autrefois, en matière de pétrole conventionnel, il suffisait d'investir 1 baril pour en extraire 100. Depuis le début des années 2000, en investissant 1 baril on en extrait 20. Le TRE a fondu. On consomme probablement plus d'énergie qu'on en produit en introduisant des agrocarburants dans l'essence européenne ; ce que masque la monnaie.

On ne réduira pas les enjeux climatiques avec une approche strictement techno-économique, mais avec une approche plus intégrée, laquelle fera avec évidence apparaître qu'il n'est pas d'issue possible sans également changer nos modes de vie. Puissent les « gilets jaunes » l'entendre...

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La Tribune a demandé à 12 chefs d'entreprise et 
12 experts de formuler une solution pour sauver la planète.

Isabelle Kocher - Engie | Alexandre de Juniac - IATA | 
Jean-Pascal Tricoire - Schneider Electric | Antoine Frérot - Veolia | 
Jean-Laurent Bonnafé - BNP Paribas | Guillaume Poitrinal - Woodeum |
Thomas Buberl - Axa | Alain Dinin - Nexity | 
Laurence Tubiana - Fondation européenne pour le climat | 
Frédéric Rodriguez - Greenflex | Laurent Solly - Facebook | 
Arnaud Leroy - l'Ademe | Jean-Yves Le Gall - Cnes | 
Cécile Maisonneuve - Fabrique de la Cité | Sylvie Goulard - Banque de France |
Chantal Jouanno - CNDP | Karima Delli - Députée européenne | 
Alain Grandjean - Carbone 4 | François-Michel Lambert - Député | 
Frédéric Mazzella - Blablacar | Eric Scotto Akuo - Energy 
Dominique Bourg - Philosophe | Cyril Dion - Réalisateur 
Patrick Criqui - CNRS.

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Commentaire 1
à écrit le 10/12/2018 à 9:07
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Si on veut moins de pollution il faut moins de consommation et de meilleure qualité mais tant que les propriétaires d'outils de production et de capitaux investiront sur la destruction de la planète et de son humanité ceux-ci sont foutus. Sans po...

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