Changement climatique, la troisième voie

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1220  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)
ANALYSE. Face à la nécessité de lutter contre le changement climatique, il y a trois attitudes possibles : celle, militante, des ONG, celle des modèles proposés par les experts, et celle du marché, qui en exerçant une pression concurrentielle favorise les solutions innovantes. Paradoxalement, c'est en Chine et en Inde que cette attitude est la plus suivie. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l'Essec.

Le changement climatique fait l'objet de deux types d'approche, l'approche changement des comportements via les réseaux sociaux et les ONG, qui a eu l'immense mérite d'alerter et de créer une énorme pression sur les dirigeants politiques et économiques mais aussi quelques travers comme l'approche de la honte dont Greta Thunberg est l'emblème. Cependant, la balance de cette approche est globalement positive.

La deuxième approche est  issue de la modélisation qui analyse la situation au moyen de modèles d'évaluations intégrées et qui propose des solutions de politiques économiques à même de limiter le changement climatique au niveau voulu.

La troisième approche repose sur les concepts issus de l'économie managériale basée sur la capacité des marchés, correctement organisés, à fournir la solution à beaucoup de problèmes via une incitation positive en termes de retour sur investissement et négative en termes de pression concurrentielle. Cette approche est basée et fait levier sur la capacité quasi infinie d'innovations des firmes et des entrepreneurs.

A cet égard, l'Inde et la Chine sont des exemples à méditer pour les dirigeants occidentaux dans leur capacité à utiliser la puissance des incitations concurrentielles. On peut être surpris de prime abord que la compréhension de l'efficacité des mécanismes concurrentiels viennent de gouvernements autoritaires et interventionnistes. De fait, il n'y a pas de conversion en cours de l'Inde et de la Chine à l'économie de marché mais une compréhension faite de pragmatisme dans la volonté d'atteindre un objectif précis en un temps record.

L'exemple de la Chine

Spécifiquement, la Chine s'est fixé un objectif ambitieux de passage à l'électrification de ses automobiles et l'a atteint à grand coups de soutien public et de subventions aux voitures électriques. Elle a ainsi réussi à créer une industrie automobile électrique de grande taille. La phase suivante que la Chine a commencé à initier consiste à rendre cette industrie viable et compétitive, et pour cela il n'y a qu'une solution : créer une énorme pression interne à l'innovation. Pour créer cette pression, la Chine a commencé à fortement diminuer toutes les subventions à l'achat de véhicules, ce qui va éliminer les firmes inefficaces et faire émerger les meilleures firmes, c'est-à-dire celle ayant réussi à se réorganiser pour baisser les coûts, et identifier les meilleurs compromis technologiques afin de survivre sans subventions.

De son côté, l'Inde est un exemple intéressant sur la capacité des gouvernants à créer une concurrence organisée et encadrée utilisant leur contexte particulier pour parvenir à un résultat à fort impact climatique. Ce pays a commencé en 2010 à développer le solaire. Certes, il y a une base d'excellentes conditions locales avec des zones désertiques et très chaudes, une main d'œuvre bon marché et un contexte industriel favorable d'effondrement des prix des panneaux solaires (-90% en 10 ans, sachant qu'ils représentent 50% du coût d'une centrale). En 2015, le gouvernement a fixé un objectif de production de 100 gigawatts d'électricité solaire pour 2022 contre 3 gigawatts en 2015, objectif qui est passé à 450 gigawatts en 2030 avec un objectif de 40% de son énergie provenant de sources renouvelables. La part du solaire indien en termes de génération d'électricité est passée de 1% à 9% en 10 ans et devrait passer à 24% en 2024 selon Agence Internationale de l'Énergie. En 2018, et hors subvention, le kWh solaire indien est 14% moins cher que le kWh charbon ce qui est une première mondiale. En 2030, le solaire et l'éolien devraient être en moyenne 17% moins cher que le charbon dans toute l'Asie du Sud-est et 50% moins cher en Inde selon Wood Mackenzie, une firme de conseil en énergie, ce qui est remarquable étant donné que l'essentiel de l'augmentation de la demande mondiale d'électricité va venir d'Asie. En Inde, le coût de construction de capacités solaires a baissé de 84% en 8 ans selon Agence Internationale de l'énergie renouvelable. Les coûts s'effondrent également en Chine et en Australie. La recette indienne pour la baisse des couts est de mettre aux enchères la construction de centrale et d'octroyer la construction au moins disant en kWh. Cela a généré une concurrence agressive entre les entrepreneurs comme Renew Power (soutenu par Goldman Sachs et le fond souverain d'Abu Dhabi), Softbank et divers groupes industriels comme Acmé une firme indienne de télécom. Au fur et à mesure des appels d'offres du gouvernement indien, le prix au kWh proposé par les offreurs depuis 2015 a diminué de moitié. Cette mise en compétition spécifique par le gouvernement pour un bien homogène place les firmes en configuration d'oligopole en concurrence sur les prix (configuration appelée Oligopole à la Bertrand alors que classiquement sur le secteur de l'énergie la concurrence se fait par les quantités) ce qui pousse les prix vers le bas et le profit économique devient de plus en plus faible, pour le plus grand bénéfice des consommateurs, du gouvernement et de la planète.

Des innovations découlant de la pression concurrentielle

La condition de survie des firmes et le moteur de la baisse des prix sont les innovations découlant de la pression concurrentielle que le gouvernement indien a su créer (comme il avait su le faire sur les télécoms), combiné à la chute des prix des panneaux solaires due à la Chine. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître mais conformément aux modèles d'économie managériale, la clef de l'accès à une énergie solaire bon marché est, à un moment donné, de supprimer les subventions et de ne laisser d'autre possibilité de survie aux firmes que l'innovation. La poursuite de l'expansion de la production d'électricité solaire en Inde va se heurter rapidement au problème classique du solaire qui est le stockage de l'énergie produite le jour. A ce jour, le problème du stockage est c'est ce qui bloque dans le monde entier le développement du solaire puisque cette énergie n'est produite que lorsqu'il y a du soleil et l'éolien que lorsqu'il y a du vent.

La pression concurrentielle générant le réflexe de survie via l'innovation peut être créée autrement que par des enchères concurrentielles. La voie européenne est plutôt via des normes, comme les normes d'émissions maximales de CO2 pour l'automobile et cela fonctionne aussi bien donc devrait être efficace en termes d'innovations. Il n'est pas sûr cependant que la majorité des décideurs européens sache quel type de tempête concurrentielle ils ont déclenché. On devrait bien avoir les investissements et les innovations et disruptions mais cela va s'accompagner d'une restructuration massive de cette industrie avec des vagues de licenciements sans précédent dans l'histoire industrielle automobiles et la disparition de filières entières liées au moteur thermique. Mais c'est un problème social différent de l'enjeu climatique. Pour l'heure, les firmes comme Tesla focalisent sur la technologie d'amélioration des batteries et GM vient d'annoncer qu'il travaillait avec LG sur une piste de technologie de batterie utilisant moins de cobalt, différente de la technologie lithium-ion actuelle.

Un grand nombre de disruptions sont nécessaires et l'enjeu pour les gouvernements est de créer les conditions qui vont leur permettre d'émerger.