Code du travail : "La méthode est mauvaise" (Gilbert Cette)

Par propos recueillis par Ivan Best  |   |  752  mots
Gilbert Cette, professeur d'économie associé à l'Université d'Aix-Marseille. Il est avec Jacques Barthelemy auteur de « Réformer le droit du travail », rapport réalisé pour la Fondation Terra Nova
Pour Gilbert Cette, professeur d'économie associé à l'Université d'Aix-Marseille, le gouvernement agite inutilement les chiffons rouges, comme des limites absurdes de temps de travail ou une volonté de casser le dialogue social, en dénaturant l'idée du référendum.

LA TRIBUNE - La réforme du code du travail que le gouvernement présentera le 9 mars en conseil des ministres va manifestement dans le sens de vos préconisations. L'approuvez-vous ?

GILBERT CETTE - L'orientation est bonne, la méthode est mauvaise. L'ouverture généralisée du droit dérogatoire est repoussée à 2018, après la réécriture du code, alors que les deux choses auraient pu être engagées en parallèle. Il y a là du temps perdu pour réaliser la vraie réforme. Et dans l'intervalle, le gouvernement agite inutilement des chiffons rouges, comme des limites absurdes en matière de durée du travail (60 heures hebdomadaires). Ce genre de mesure provoque évidemment un tollé.

De même, quand il affiche sa volonté de casser le dialogue social, en dénaturant l'idée du referendum : permettre à des syndicats représentant seulement 30% des salariés d'obtenir un referendum pour forcer l'opposition de syndicats représentant 50% des salariés, c'est remettre en le renforcement de la démocratie sociale par la négociation collective, qui est le sens même de la démarche de réforme que Jacques Barthélémy et moi préconisions depuis des années.

Le gouvernement réagit là au blocage constaté à la Fnac, où les syndicats refusent le travail du dimanche, approuvé par une majorité de salariés...

Absolument, et il est dommage de vouloir légiférer en simple réaction à des événements, dans des domaines structurants. Si les salariés de la Fnac ou d'ailleurs ne sont pas d'accord avec leurs représentants syndicaux, il leur suffit de les sanctionner à l'occasion des prochaines élections professionnelles. C'est le jeu de la démocratie sociale.

Le patronat semble approuver les orientations de ce texte. N'est-ce pas le signe d'une volonté de réforme ?

Ce que les chefs d'entreprise approuvent surtout, c'est la possibilité pour un patron de PME d'instaurer unilatéralement une convention individuelle de forfait jour. Cela revient à nier la négociation collective. En l'absence de délégués syndicaux dans de petites entreprises, ces sujets pourraient être négociés ou dans l'entreprise via la procédure de mandatement, ou au niveau de la branche avec la possibilité d'y conclure des accords d'application directe. Ces modalités avaient été mobilisées dans le cadre des lois Aubry, il y a plus de 15 ans, avec un réel succès.

Que faut-il faire, alors ? Quelle serait la « bonne » réforme ?

Sur la durée du travail, il faudrait simplement prévoir qu'un accord collectif puisse déroger à toutes les dispositions du code du travail dans les limites des principes rappelés par le rapport Badinter, et du droit supranational, soit essentiellement du droit communautaire. Une telle réforme serait très simple à transcrire sous forme de loi, et n'agiterait pas inutilement des chiffons rouges. Le texte serait beaucoup plus simple que celui proposé aujourd'hui.

Et sur les sujets autres que le temps de travail ?

Nos propositions (du rapport que j'ai rédigé avec Jacques Barthélémyà sont que les dérogations doivent devenir possibles, par accords majoritaires de banches ou d'entreprises, dans tous les domaines couverts par le code du travail, dans les seules limites des principes, rappelés par le  rapport Badinter, et du droit supranational, dont le droit communautaire. Mais je note que le texte du gouvernement n'aborde que les dérogations en matière de durée du travail.

Comment expliquer la méthode du gouvernement ? Agit-il seulement sous pression européenne ?

Sans doute en partie. Nos partenaires nous pressent de réformer réellement. Mais ce que je vois là surtout, c'est une méthode qui réforme peu et avec un coût de discussion énorme, voire avec une approche qui garantit certains échecs. Les syndicats, et même les plus réformistes d'entre eux, se sont déclarés hostiles à cette réforme. La discussion à l'Assemblée nationale sera très difficile. Cette stratégie étonnante semble traduire une certaine improvisation et un désemparement. En fonction des positions supposées de tel ou tel acteur, le gouvernement tente de parvenir à des points d'équilibre politique qui sont souvent, in fine, peu efficaces. Du coup, il passe à côté de la vraie réforme.

 Gilbert Cette est professeur d'économie associé à l'Université d'Aix-Marseille. Il est avec Jacques Barthelemy auteur de « Réformer le droit du travail », Rapport réalisé pour la Fondation Terra Nova et publié en septembre 2015 aux éditions Odile Jacob.