Comment le cyber-yuan va remodeler la finance internationale

Par Jean-Jacques Handali (*)  |   |  1137  mots
Hong Kong a commencé à tester la possibilité de paiements via un yuan digital. (Crédits : Reuters)
OPINION. En annonçant la création d'un e-yuan, la Chine s'inscrit à son tour dans le développement des crypto-monnaies. Mais quelles seront les conséquences d'une telle émission et quelles sont les intentions des autorités de Pékin? (*) Par Jean-Jacques Handali, directeur et administrateur de Cosmopolis Conseil (Genève).

Dans une conférence récente pour la Nixon Foundation, Peter Thiel affirmait que « le e-yuan n'est pas une crypto-monnaie, mais une mesure totalitaire. » Qu'en est-il ?

La Chine a inventé la poudre à canon quand le reste du monde ferraillait encore avec des lames, la musique quand il faisait encore du bruit, le papier monnaie quand il frappait encore des pièces métalliques. Aujourd'hui, le politburo de l'Empire du Milieu s'attaque à l'émission d'une monnaie numérique. Cette transformation de la devise légale en code informatique a le potentiel de remodeler l'ensemble du système financier et de bouleverser l'accès à notre épargne individuelle.

L'objectif du gouvernement chinois est quadruple :

- Saper l'un des piliers de la puissance américaine

- Contrôler l'économie et surveiller la population

- Enrayer la montée des crypto-monnaies

- Internationaliser sa devise.

Fuir le dollar avant qu'il ne s'effrite

Avec la prépondérance du dollar, les États-Unis contrôlent une large partie du circuit financier mondial. Ils peuvent ainsi sceller le sort économique d'une entreprise, d'une banque ou même d'un pays tout entier par simple décret. Leur hégémonie est telle qu'ils ne se satisfont pas d'interdire aux entreprises américaines de commercer avec le pays honni, mais empêchent toute entité, quelle que soit sa nationalité, d'utiliser des dollars dans les transactions avec ledit pays. Or, au lieu de réagir, la communauté internationale détourne le regard pour ne pas déranger ses principes, heureuse de ne pas être la cible de la colère américaine. Pour cette fois...

Plus spécifiquement, ces derniers mois ont témoigné d'une tension commerciale sino-américaine grandissante. Rappelons les sanctions économiques contre la Chine et Hong Kong en 2020, et la menace répétée d'exclusion du système de paiement en dollars US ; une attitude peu convenable pour une monnaie de réserve internationale. Outre ces menaces politiques, le niveau d'endettement économique des États-Unis pousse la Chine à réduire son assujettissement vis-à-vis du système SWIFT et de la devise américaine.

L'objectif consiste à établir un structure monétaire internationale capable d'exister en parallèle de la monnaie de réserve. Ainsi, biens et services pourront être échangés en dehors des circuits financiers traditionnels, et contourner la surveillance et les sanctions américaines. Tous les damnés de l'Oncle Sam (Iran, Corée du Nord, etc.) pourront alors utiliser ce moyen de paiement, mais pas seulement... il y aurait aussi tous ceux qui souhaitent se soustraire au contrôle américain et à l'impact de sa politique de gabegie économique sur sa propre monnaie (22.500 milliards de dollars de dettes attendus en 2021).

Nouvel outil à l'arsenal de la surveillance d'État

Après la reconnaissance faciale, voici venir le temps de la monnaie programmable...

La première caractéristique de cette cyber-monnaie sera sa traçabilité en temps réel. Chaque transaction effectuée par un consommateur chinois pourra ainsi être suivie à la trace par la banque centrale, qui en sera informée dans l'instant. À quand le contrôle des intentions d'achat ?

La deuxième caractéristique de la devise sera sa date d'expiration que les autorités auront loisir d'établir selon leur perspective économique. Une faiblesse passagère du PIB et vos yuans numériques seront caducs à partir du... 28 février prochain, par exemple. Une incitation à la dépense encore plus stimulante qu'une hyperinflation !

La troisième caractéristique de la monnaie virtuelle résidera dans sa disponibilité ou, plus précisément, celle que les autorités voudront bien concéder à ses récipiendaires. Elle sera considérée et distribuée tel un accessit : qui a droit d'en disposer, qui n'y a pas droit et qui devra attendre le bon vouloir du palais.

L'Occident songe également à introduire ses propres monnaies numériques (e-dollar et e-euro) fondées sur le même postulat que le e-yuan et renfermant le potentiel des mêmes dérapages...

L'anti-Bitcoin chinois

En lançant le e-yuan, la Chine n'émet pas une autre monnaie blockchain décentralisée, comme le ferait un protagoniste privé. Elle soutient le rôle des banques nationales en les gardant dans le circuit. En cela, elle n'opère pas une désintermédiation de leur fonction, mais au contraire, leur permet d'élargir et de compléter l'éventail de leurs prestations.

Le yuan numérique sera réglementé et « garanti » par l'état, ce qui n'est le cas d'aucune devise virtuelle.

Partant, la Chine a commencé à peser sur la circulation du Bitcoin et de ses semblables. Il n'est plus possible d'acheter quoi que ce soit en crypto-monnaie dans le pays. Le Bitcoin est toléré uniquement en tant que crypto-actif ; un actif non-échangeable en yuan ou futur e-yuan !

Les obligations d'État chinoises à la manœuvre

Cette dernière décennie, l'Empire du milieu s'est évertué à faire du yuan une valeur crédible. Il a maintenu sur les marchés une devise forte et stable et des taux réels positifs (nets d'inflation). Cette combinaison a permis à la Chine de générer les meilleurs rendements en matière de devises et en matière d'obligations, ajustées en fonction des devises. Le pays dispose de deux atouts décisifs : la taille de son marché intérieur (représentant le cinquième de l'humanité) et la capacité de mobiliser sa population.

Durant la parenthèse Bretton Woods (1945 à 1971), les obligations d'État et l'or étaient les placements de prédilection. Les premières parce qu'elles offraient du rendement, le deuxième parce qu'il résistait aux dévaluations. Aujourd'hui, l'or a perdu un peu de son éclat en Occident, où les investisseurs lui préfèrent les crypto-monnaies. En tout cas, pour le moment. Toutefois, il est encore des pays très attachés à cette vieille relique (Russie, Arabie Saoudite, Inde, Malaisie, Indonésie...), des pays où précisément la Chine essaie de promouvoir sa devise.

L'idée de la Chine serait de combiner ces deux instruments : des obligations d'État adossées à des réserves d'or. Une sorte de retour à l'époque rigoriste de Bretton Woods qui offrirait une crédibilité au marché national chinois des taux fixes. Cette crédibilité était l'apanage des États-Unis jusqu'à ce que l'expansion monétaire et les politiques fiscales ne mettent le dollar face à un probable risque de dévaluation et une éventuelle poussée de l'inflation.

À force de faire tourner la planche à billets à vide, de gonfler le prix des actions sur de faibles taux de croissance, de museler les taux d'intét par désordre, les États-Unis risquent de rendre factice la valeur de leur dollar. Alors, le yuan numérique et les obligations chinoises ressembleront peut-être à des alternatives séduisantes, aux yeux des investisseurs du monde entier.