Construisons enfin une véritable identité culturelle européenne

Par Mario d'Angelo  |   |  823  mots
Qu'est-ce qu'être Européen, en ce 9 mai 2015 qui fête l'Europe, 70 ans après le conflit le plus effroyable qu'ait connu le Vieux continent ? Par Mario d'Angelo, Directeur scientifique du MS MECIC-Paris (Management des Entreprises Culturelles et Industries Créatives), Groupe ESC Dijon-Bourgogne

Être Européen, c'est acquérir une citoyenneté liée à l'un des 28 État-membres dont on a la nationalité et gagner par là des droits additionnels. En moyenne sur 2010-2014, 60 à 64% des habitants des 28 se considèrent comme citoyens européens . Mais, l'Union et son caractère supranational suscite toujours un sentiment ambigu chez les citoyens européens dont 35 à 39% seulement ont une image positive de l'UE.

Insuffisance de la politique culturelle européenne

La construction européenne a été le fait des élites et non de mouvements populaires de masse. L'identité en a été la faiblesse patente et chronique. Or l'histoire nous montre que l'identité a été la composante culturelle de la formation politique des États-nations comme des villes et des régions. L'Allemagne ne s'est pas faite par le Zollverein comme l'affirmait Bismark lui-même.

Toute communauté humaine a besoin d'imaginaire, de représentations et qu'un lien d'appartenance soit tissé avec chacun de ses membres. Les musées par exemple ont été des institutions productrices de sens dans la formation des nations. Pour l'Europe (multinationale) il faudra attendre 2016 pour que la Maison de l'histoire européenne, voulue par le Parlement européen, ouvre ses portes à Bruxelles.

L'insuffisance d'une politique culturelle visible, symbolique et efficace à l'échelle des 510 millions d'Européens et à l'ère des réseaux numériques, a souvent été dénoncée. Il est vrai que l'article 167 TFUE confère à l'UE une compétence (non exclusive) dans un cadre de subsidiarité qui limite sa capacité d'action.

En revanche, le 167 lui donne compétence pour valoriser à la fois « l'épanouissement des cultures des États-membres » et « l'héritage culturel commun ». Toutefois, l'action supranationale ne peut venir qu'en complément de celle des États-membres et favoriser leurs coopérations.

L'UE corsetée

Ainsi corsetée, il est difficile à l'UE d'agir directement pour le renforcement de l'identité culturelle européenne. La stratégie adoptée dans ses programmes vient en appui des niveaux nationaux, régionaux et locaux. Les principaux programmes sont orientés sur des projets, à durée limitée, ancrés dans des réseaux professionnels, mais avec peu de visibilité populaire et un impact symbolique faible. Une action réussie comme « Capitales européennes de la culture » a surtout permis aux villes partenaires concernées d'en endosser les bénéfices symboliques.

Enfin, les moyens mobilisés pour la culture paraissent faibles à l'échelle des 28. Le budget 2014-2020 du programme Europe créative (1,4 milliards d'euros pour 7 ans) est à peu près équivalent à ce qu'était le budget culturel des régions espagnoles pour la seule année 2011 (1,48 milliards d'euros) .

Le défi de la structuration du champ culturel européen

Pourtant, la construction d'une identité culturelle reste indispensable pour l'Europe, même à l'ère digitale. N'est-il pas étonnant que la seconde puissance économique au monde ne puisse aligner une offre de l'ampleur de Google Gallery pour valoriser son patrimoine culturel ?

Quant à ses industries culturelles et créatives, trois problèmes clés ont été relevés : 1) l'inexistence d'un marché intérieur européen et la faible circulation interne des produits et services des industries de contenus, facilitant ainsi la domination des marchés nationaux en Europe par les producteurs et médias américains ; 2) la menace technologique sur les filières traditionnelles (audiovisuel, livre, presse, etc.) ; 3) la limitation de l'expansion des entreprises créatives européennes (hors luxe) sur les marchés dynamiques d'Asie. En moyenne, moins de 15% du chiffre d'affaires se fait hors de l'UE .

L'édifice confédéral européen, doué d'une faible identité, trouvera-t-il le ciment nécessaire pour réaliser une union « cosmopolitique » ? C'est-à-dire qui ne gomme pas, au nom de l'intégration, les différences entre les peuples qui s'unissent ? Le ciment d'une telle « unité dans la diversité » est fondamentalement culturel.

Mais le niveau supranational, pour s'affirmer, aura besoin d'inscrire son action dans des institutions et des médias pérennes et reconnus, jouant un rôle de transmission de ses valeurs et bénéficiant d'une forte visibilité, aussi bien par les réseaux numériques que par des réseaux coopératifs de lieux culturels.

Dans cette logique, l'UE devient une autorité organisatrice structurant un champ stable d'acteurs culturels européens institutionnalisés. Dans le domaine très ciblé de la musique classique, ce qui n'était encore que la CEE avait commencé de le faire dès les années 1980 (orchestre de jeunes, orchestre de chambre, orchestre baroque). De telles actions peuvent être des initiatives bottom up et/ou des actions top down.

En tout cas, l'autorité organisatrice peut trouver diverses formes pour structurer le champ sur lequel elle intervient. Ainsi, au Royaume-Uni, l'État n'a jamais agi par des organismes culturels publics, mais reconnait et pérennise, par des chartes, les institutions culturelles au service de la nation . National ne veut pas dire étatique.

Mario d'Angelo, Directeur scientifique du MS MECIC-Paris (Management des Entreprises Culturelles et Industries Créatives), Groupe ESC Dijon-Bourgogne