Convergence audiovisuelle et plomberie : les limites de la métaphore

Y a-t-il vraiment deux mondes, dans l'audiovisuel, celui des tuyaux et celui des contenus? En fait, là n'est pas l'essentiel. Il réside plutôt dans la relation avec le client, ce qu'a bien compris Netflix, mais aussi Google, Apple, Facebook et autres Amazon... De cette relation, ils retirent les si précieuses datas. Par Jacques Marceau, Président d'Aromates, Fondateur des Assises de la Convergence des Médias

Qu'ils soient équipementiers, opérateurs, diffuseurs, groupes médias, banquiers ou analystes, les acteurs du marché de l'audiovisuel, tout comme ceux des télécommunications, nous ont habitué à une simplissime et réductrice analogie : celle de la plomberie. Ainsi il y aurait deux mondes, celui des tuyaux et celui des contenus qui circulent dans ces tuyaux. Peut-être faut-il voir dans cette métaphore une réminiscence remontant aux origines communes de SFR et du Groupe Vivendi, la Compagnie Générale des Eaux qui, elle, s'y connaissait en tuyaux ?

Comme le débat sur le sexe des anges, les stratèges présidant aux destinées des géants des télécoms et des médias ne cessent, depuis des années, d'enchainer de grands mariages suivis, la plupart du temps, de tumultueux divorces. Dernier avatar de cette saga, l'annonce du rachat de Time Warner par AT&T qui a immédiatement relancé dans notre pays les commentaires et les supputations sur la stratégie de nos champions nationaux. Revenons ici sur le fond du débat et sur les mots qui le nourrissent.

 Plus de programmes, des "contenus"

Il y a encore quelques années, on parlait en France de programmes audiovisuels, d'émissions de TV, de films et autres œuvres cinématographiques. Aujourd'hui, il n'y a plus qu'un seul mot, traduction littérale de l'anglais « content », en « contenu ». Une évolution sémantique qui n'est pas neutre. En effet, un contenu n'existe que parce qu'il y a un contenant et par rapport à ce dernier. Il en est de même pour le contenant qui n'existe que parce qu'il contient quelque chose ou qu'il est susceptible de le faire. C'est sans doute cette interdépendance entre la chose contenue et son contenant qui conduit régulièrement le monde des médias et celui des télécommunications à se poser la question de l'intégration dite verticale. Démonstration : en possédant et en exploitant à la fois les tuyaux et les programmes, on maîtrise la chaine de production et de diffusion et on est ainsi en capacité de tirer pleinement partie non seulement de la valeur cumulée des deux mais encore de celle induite par leurs synergies. Une vision industrielle intégrative où la valeur procède de la propriété des moyens de production et des infrastructures de transport.

 Maîtriser la relation avec le client

Cependant, faut-il le rappeler, cette vision du XXème siècle est depuis quelques années bousculée (on dit maintenant transformée) par l'avènement de l'internet et le développement de ce que l'on appelle aujourd'hui l'économie des plateformes. Ces dernières autorisant dorénavant une relation directe entre un producteur de biens, de services ou d'œuvres de l'esprit, et un consommateur, elles affranchissent les deux extrémités de la chaine du recours à leurs intermédiaires traditionnels. Cependant, ces plateformes, en constituant le lieu privilégié, et parfois unique, de la relation avec le client et de l'échange son corollaire, deviennent le nouvel et parfois obligatoire intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Un phénomène aujourd'hui bien connu de ré-intermédiation par des plateformes hégémoniques et décrites par Stiegler comme le lieu de la disruption(1) . Dans ce contexte, il est clair que la valeur ne procède plus ni de la propriété des tuyaux, ni de celle des contenus, mais bien sûr de relation construite et entretenue avec le consommateur. L'enjeu n'est donc plus tant de posséder à la fois les infrastructures de télécommunications, les moyens de production et les droits sur les programmes que de s'assurer de la maîtrise de la relation avec le client final.

La data économie

Sur la base de cette analyse et du constat qui la sous-tend, il semblerait évident que la stratégie des acteurs du marché audiovisuel et des télécommunications soit prioritairement axée sur la qualité et la diversité de l'expérience offerte au client et sur sa fidélisation dans un écosystème qui, tout en lui offrant la plus grande liberté de choix, le conduit à utiliser la même plateforme. Le lecteur attentif aura ici reconnu la stratégie déployée par Netflix, mais aussi par Google, Apple, Facebook et autres Amazon qui vise à puiser dans la relation qu'ils ont su instaurer avec leurs utilisateurs, les traces numériques (2) qui alimenteront leur modèle de « data economy ». Forts de ce socle d'audiences captives et des ressources informationnelles qui en découlent, ces nouveaux entrants pourront s'orienter vers l'intégration des moyens de production et de diffusion. Dans cette hypothèse, les acteurs traditionnels des télécommunications et de l'audiovisuel, et quelle que soit leur taille, pourraient bien être relégués au rang de commodité.

Et là, la métaphore du plombier deviendra fâcheuse.

 (1)   « Dans la disruption, comment ne pas devenir fou » - Bernard Stiegler - Editions LLL 2016

(2)   Ibid

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Commentaire 1
à écrit le 07/11/2016 à 17:35
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