Coronavirus  : le déclin de l'empire américain et l'ascension chinoise

Par Cyrille Schott  |   |  1179  mots
Cyrille Schott. (Crédits : DR)
IDEE. La crise sanitaire générée par la pandémie du Coronavirus révèle combien la politique menée par le président Donald Trump depuis des années mène à un affaiblissement des Etats-Unis face à la puissance montante de l'Asie, et de la Chine en particulier. Quand à l'Union européenne, après une période d'atermoiements, elle réagit en prenant des mesures importantes, condition nécessaire pour jouer un rôle majeur sur la scène internationale. Par Cyrille Schott, préfet honoraire de région, ancien directeur de l'Institut national des Hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), membre du bureau d'EuroDéfense.

A l'issue des guerres mondiales, le visage du monde avait changé. La hiérarchie des puissances était modifiée. Au lendemain du premier conflit, l'Europe, qui s'était déchirée, se retrouva affaiblie, même si le Royaume uni et la France pensaient encore tenir les premiers rangs ; les Etats-Unis étaient devenus une puissance majeure, même s'ils renâclaient devant ce rôle. La seconde guerre mondiale a signé le déclin définitif des puissances coloniales, malgré la place éminente tenue par le Royaume Uni dans la victoire, et marqué l'avènement de deux puissances qui se sont partagé l'influence dans le monde, les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique. Cela jusqu'aux Révolutions de 1989 et des années suivantes, qui ont provoqué l'effondrement de l'Empire soviétique et donné naissance à ce bref moment où sembla dominer une puissance unique, l'américaine, avant les attentats de septembre 2001. Puis, un monde multipolaire est advenu ou est revenu, avec deux puissances en compétition pour la première place, les Etats-Unis et la Chine, celle-ci dans le rôle de challenger.

La position défensive des Etats-Unis

Il faut se demander si la crise mondiale du coronavirus ne constitue pas l'un de ces bouleversements majeurs qui changent le visage du monde. Spécialement depuis la présidence Trump, les Etats-Unis se trouvent dans une position défensive. Le Deutschland über alles, « l'Allemagne au-dessus-de tout », des révolutionnaires de 1848 visait une action offensive, celle nécessaire pour réaliser l'unité allemande et qui devait mobiliser toutes les forces. Par la suite, ce slogan fut détourné de son sens premier, en appelant à la domination de l'Allemagne sur les autres. L'America first, dès le début, s'inscrit dans une attitude défensive : d'abord penser à l'Amérique, face, selon Trump, aux agressions du monde, face à ces pays ou leurs regroupements qui  font une concurrence déloyale, face à ces nations qui demandent aux Etats-Unis de les défendre sans payer leur écot, face à cette Chine menaçante pour le leadership, etc. ; l'idée est celui d'un repli sur soi, égoïste, n'excluant pas l'agressivité, la volonté de se trouver dans un rapport bilatéral du fort au faible, en œuvrant à la destruction d'ensembles jugés menaçant pour l'économie américaine, comme l'Union européenne. Cette politique a pu sembler remporter quelques succès face à des voisins plus faibles comme le Mexique, encore que l'analyse définitive ne pourra se faire qu'avec le recul.

Elle a conduit les Etats-Unis à délaisser les actions multilatérales, comme l'accord sur le climat, et à mettre en difficulté des organismes internationaux, comme l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou l'OTAN, à prendre des tribunes comme celle de l'ONU pour des pupitres d'imprécation contre ceux classés dans les ennemis. En vérité, Trump travaille ainsi à casser des organisations créées par l'Occident, fondées sur les valeurs de celui-ci, et contribuant au rôle directeur des Etats-Unis dans les affaires du monde, même si les voix et les idées de l'Occident ne sont plus seules à s'y exprimer. De surcroît, dans cette volonté du repli sur soi, il a conduit, par ses déclarations sur l'utilité de l'OTAN, bien des Européens à s'interroger sur la fiabilité de la garantie américaine face à une agression extérieure. Pire, il a abandonné à leur sort et trahi des alliés, les Kurdes, qui furent décisifs dans le combat contre Daech. Raymond Aron a écrit[1] : « Une puissance mondiale n'abandonne pas ceux qui lui ont fait confiance. » A l'aune de ce critère, les Etats-Unis sont-ils encore une puissance mondiale ?

L'autiste présidence américaine

Dans la crise présente, le président américain agonit les autres, mettant en cause le « virus chinois » et jugeant coupables les Européens, auxquels il ferme ses frontières, en excluant d'abord de ce rejet les Britanniques, pour les y inclure promptement dans un second mouvement, en leur rappelant ainsi qu'ils sont bien européens... Ignorant ses changements de cap, il prétend avoir tout compris depuis le début et être un grand « chef de guerre », en méprisant superbement la coopération avec les autres nations. Si des Américains croient en ce Tartarin du coronavirus, le reste du monde sait qu'il n'a rien à attendre de cette présidence autiste.

La Chine eût sans doute pu réagir plus vite à l'émergence du virus, mais, dans une action déterminée et efficacement organisée, elle semble avoir vaincu l'épidémie. Sans que cela nous conduise à penser à la supériorité d'un système autoritaire, des démocraties comme Taïwan ou la Corée du sud s'étant révélées aussi efficaces, ce qui nous intéresse ici est la question de la puissance dans les affaires du monde. Désormais, la Chine s'est engagée dans une diplomatie sanitaire offensive, tournée vers les pays en pleine bataille contre le virus. Elle ne leur envoie pas seulement des masques, mais y dépêche des médecins et des spécialistes. La Chine veut présenter une image aimable au monde. Entre l'attitude américaine, fermée, défensive, nombriliste, et la chinoise, ouverte, offensive, exportatrice de ses talents, la comparaison est en faveur de la seconde.

Il n'y a pas que la diplomatie. Les publications scientifiques chinoises sur le virus et les traitements possibles font référence, jusqu'à conduire récemment un professeur de médecine français à déclarer que la science médicale la plus avancée s'était déplacée vers l'Asie. La machine de production chinoise, énorme, repart, alors que l'américaine et l'européenne sont à l'arrêt. Elle n'atteindra pas les taux de croissance des années récentes, mais, même avec un taux autour de 3 %, elle dépassera de loin les Etats-Unis et l'Europe, qui connaitront la récession.

La Chine ne se hissera-t-elle pas, après ce cataclysme du coronavirus, sur la première marche du podium des puissances mondiales ? Sans être certain de la réponse, il est légitime de se poser la question.

En Europe, les décisions viennent

Pour conclure, un mot de l'Europe. L'Union a un peu tardé à réagir, la compétence sanitaire relevant des Etats et ceux-ci se lançant dans la lutte en ordre dispersé. Cependant, comme toujours dans l'histoire de la construction européenne, la crise appelle les décisions. Celles-ci viennent : plus de 1.000 milliards d'euros mis sur la table par la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission ; suspension des règles de discipline budgétaire ; peut-être, lancement d'euro-obligations, ce qui constituerait une révolution budgétaire ; fermeture décidée en commun des frontières extérieures. Une fois de plus, ou l'Europe ne saura pas surmonter la crise, et elle mourra, ou elle la surmontera, ce qu'il est permis de croire, et elle aura franchi de nouvelles étapes, s'engageant à devenir, peut-être, la voix de l'Occident.

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[1] Raymond Aron, Une histoire du XXème siècle-anthologie, Plon, 1996, p. 258.