Couples mariés, pacsés, concubins...à quand la fin des discriminations ?

Par Edwin Matutano  |   |  1564  mots
De nombreuses discriminations subsistent entre ces statuts, notamment d'un point de vue fiscal et social. Par Edwin Matutano, Avocat

Si, en France, les mœurs semblent évoluer jusqu'à avoir admis le mariage pour tous, nonobstant l'orientation sexuelle des individus concernés, la tolérance du législateur ne va pas jusqu'à mettre sur le même pied les couples, selon qu'ils sont mariés, pacsés ou concubins.
Pourtant, ce sont environ 32 millions de personnes qui, selon l'INSEE, vivent en couple dans notre pays, quel que soit le mode de conjugalité retenu. Ces personnes ont, pour la plupart d'entre elles, la certitude de vivre dans la même situation les unes par rapport aux autres. Et néanmoins, le droit qui leur est applicable varie considérablement, créant de véritables « niches » ou « abymes » selon que la loi se montre favorable ou dédaigneuse à leur égard.

Une situation difficilement explicable

Cette situation, difficilement explicable en ce siècle et source de contentieux, plonge ses racines dans l'absence de toute recherche d'harmonisation par la loi de la situation des couples, selon le type d'union qu'ils ont choisi d'adopter. La loi a reconnu le concubinage dans le code civil, a créé le pacte civil de solidarité, mais a maintenu des avantages surannés au profit des couples mariés et globalement, n'a pas aligné la situation de tous les couples sur un même standard, ce qui offre à l'examen un panorama sectionné en trois tronçons, d'inégale valeur, les couples mariés tendant à avoir l'avantage, les concubins se trouvant en queue de peloton, cependant que les pacsés sont placés dans une situation intermédiaire.

Si ces inégalités peuvent être illustrées plus précisément, elles peuvent aussi trouver une résolution dans l'œuvre du législateur, selon une méthode garante du résultat en termes de légistique.

Des exemples très parlants

Etant observé que les exemples de cet état du droit discriminant sont fort nombreux, nous nous contenterons dans ces lignes des illustrations les plus démonstratives que voici de l'absence de neutralité et de rationalité de la part de la loi, en matières fiscale, successorale, sociale et de logement :
- Sur le plan fiscal et plus précisément, de l'impôt sur le revenu, l'article 194 du code général des impôts fait bénéficier les personnes mariées et pacsées de deux parts de quotient familial, tandis que les concubins sont imposés à raison d'une part chacun. Une telle différence de traitement, outre qu'elle soit peu respectueuse du principe d'égalité devant les charges publiques, ne favorise pas pour autant l'équilibre du budget de l'État ;
- En matière successorale, l'article 732 du code civil désigne le conjoint survivant non divorcé comme héritier, à l'exclusion du partenaire à un pacs et du concubin, ces derniers étant cependant placés au regard de la disparition du défunt, dans une situation identique ;
- Dans le domaine social, l'article L.353-1 du code de la sécurité sociale réserve au conjoint survivant d'un assuré décédé le droit d'obtenir une pension de réversion et en droit de la fonction publique, l'article L. 39 du code des pensions civiles et militaires de retraite en dispose de même. Dans les deux cas, le conjoint divorcé est assimilé au conjoint survivant, alors que la personne liée au défunt par un pacs ou son concubin en sont rigoureusement exclus ;
- Toujours en matière sociale, l'article L. 434-8 du code de la sécurité sociale, pour sa part, fait bénéficier indistinctement d'une rente viagère le conjoint, le concubin ou la personne liée par un pacte civil de solidarité à la victime d'un accident de travail atteinte d'une incapacité permanente ;
- Dans un domaine sensible, celui du logement, l'article 1751 du code civil réserve le droit au bail du local servant à l'habitation du couple aux personnes mariées ou liées par un pacte civil de solidarité, excluant de ce droit les concubins.

Aucune refonte de la législation de la vie en couple

Ces disparités, vécues comme autant d'injustices et de préjudices par les intéressés, résultent de l'absence de toute refonte de la législation française relative aux conséquences de la vie en couple. Les législations se sont empilées par strates, le pacte civil de solidarité est apparu, créateur de droits, le concubinage a été consacré, mais aucun alignement n'a eu lieu, ce qui morcèle le droit applicable et le rend inéquitable au regard de l'unité économique que représentent les couples.
Toutefois, des solutions existent, qui ont été proposées aux responsables politiques.

La solution : un audit législatif préalable à toute harmonisation

A l'heure de la simplification du droit, si souvent proclamée et revendiquée, tant pas les responsables politiques de droite comme de gauche, le régime juridique tricéphale applicable aux couples apparaît comme un défi.

Pourtant, les occasions ne manquent pas. Pour s'en tenir à la présente législature, pas moins de quatre lois et de dix ordonnances contiennent le mot « simplification » dans leur titre et prétendent ainsi simplifier le droit dans tel ou tel domaine. Mais rien en ce qui concerne l'alignement entre concubins, pacsés et époux...Et parmi ces quatorze textes législatifs, l'on compte une ordonnance du 15 octobre 2015 « portant simplification et modernisation du droit de la famille » et une loi du 16 février 2015 « relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures » !

Étonnamment, la majorité actuelle n'a pas inscrit à son programme l'harmonisation du droit applicable à toutes les formes de conjugalité. Et pas davantage, en cours de législature, n'a-t-elle, empiriquement, décidé d'y procéder, ce qui, indéniablement, eût été, en l'occurrence, une œuvre de modernisation.
Si cette erreur manifeste d'appréciation de la part des pouvoirs publics s'explique mal, leur persistance à ne pas apporter de réponses claires en ce domaine apparaît plus ténébreuse encore, si l'on considère que j'ai moi-même proposé un axe méthodologique aux présidents respectifs des commissions des lois et des affaires sociales de l'Assemblée nationale, M. Jean-Jacques Urvoas et Mme Catherine Lemorton. J'en ai également saisi le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon.

La méthode proposée consiste en un audit législatif, à réaliser en tous domaines (droit fiscal, droit de la sécurité sociale, droit professionnel, droit commercial, droit rural, droit de la fonction publique, droit des successions, droit du logement, etc...), afin de dresser un tableau exhaustif des situations où il existe, comme tel est le cas, un alignement entre les trois modes de conjugalité, celles où seuls le mariage et le pacs sont assimilés et celles où le mariage est exclusivement considéré par la loi.
Cet audit préalable doit être conduit par un expert en légistique et sa tenue permettra d'aboutir, sans modification des définitions respectives du mariage, du pacte civil de solidarité et du concubinage, à une solution équitable et susceptible de gagner la confiance des citoyens.

S'aligner sur un des régimes en vigueur

Après réalisation de cet inventaire législatif, des choix devront être opérés, sans préjugé, tendant à l'alignement, dans chacun des domaines concernés, sur un des régimes en vigueur. Dans telle branche, il pourra s'agir de celui applicable au mariage, dans tel autre, des règles auxquelles sont soumis les concubins et dans d'autres situations, de celles relatives au pacs. L'objectif étant de ne favoriser ni de discriminer aucune forme de conjugalité.
Curieusement, à ce jour, Madame Lemorton, n'a pas daigné répondre et le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale s'est contenté d'une réponse d'attente, indigne de l'enjeu en question. Quant au Défenseur des droits, il s'est dit demandeur d'un travail tout fait sans manifester le souhait de rencontrer l'auteur de ces lignes...
Cette inertie des pouvoirs publics ne laisse pas de surprendre à l'heure où les distorsions entre les citoyens et le pouvoir politique ainsi qu'entre les sujets du droit et la loi ne cessent parallèlement de croître.

L'on peut déjà être interloqué par l'absence de toute initiative en ce domaine, depuis 2012, de la part d'un Gouvernement et d'une majorité « progressistes », mais la surdité manifestée par les autorités précitées, alors même qu'elles ont été alertées et qu'une proposition de collaboration leur a été faite par un praticien, est tout simplement édifiante et représentative d'un état d'esprit figé et sclérosé.
Bien sûr, il n'est pas trop tard pour agir. La présente législature n'est pas achevée et au-delà, une autre majorité peut se montrer plus opportunément lucide...

Edwin Matutano, Avocat à la cour, Docteur en droit Expert en légistique


Pour aller plus loin :
- Edwin Matutano, Les normes du couple, un droit positif fragmenté pour un concept socialement uniforme, Revue de la recherche juridique-droit prospectif, 2011-3, p.1299 ;
- Edwin Matutano, Pour l'harmonisation des effets de la conjugalité à la faveur de la nouvelle réforme législative de la famille, AJ Famille, juillet-août 2014, p.423 ;
- Edwin Matutano, Légalité et conjugalité : le législateur doit épuiser sa compétence, Revue Lamy Droit civil, n° 133, janvier 2016, p. 61.