Création de valeur : l'Europe décroche !

Par Jérôme Hervé  |   |  756  mots
Les entreprises européennes accumulent du retard par rapport aux américaines. Il faut recréer un environnement européen plus accueillant pour les entreprises. Par Jérôme Hervé, Directeur Associé senior au Boston Consulting Group

Au cours du premier semestre 2015, les bénéfices des géants du CAC 40 ont augmenté de près de 30%. Mais attention aux effets d'optique ! Des éléments conjoncturels expliquent principalement ces excellents résultats : hausse du dollar, baisse des taux et du prix du pétrole. La réalité de la création de valeur de nos grandes entreprises françaises est beaucoup plus nuancée, lorsqu'on l'analyse sur une période plus longue.

Pour avoir une idée plus juste des performances boursières, le Boston Consulting Group mesure la création de valeur des sociétés cotées dans le monde et publie chaque année un classement en fonction du TSR . Or les entreprises européennes, et françaises en particulier, accusent du retard face aux américaines, dans cette 17ème édition du rapport

Les entreprises américaines championnes toutes catégories

Si vous aviez investi dans l'une des entreprises du CAC 40 en 2010, vous auriez gagné 1,3 fois la mise en moyenne cinq ans plus tard. Sur la même période, votre investissement aurait été multiplié par 2 avec un groupe du Dow Jones. Les entreprises américaines sont bien les championnes toutes catégories de la création de valeur. Et presque aucun secteur ne leur échappe. Elles sont majoritaires dans notre Top 10 des grandes multinationales (capitalisation supérieure à 50 milliards de dollars), mais aussi dans de nombreux secteurs industriels : aéronautique et défense, biens de consommation courante, mode et luxe, machinerie, pétrole, centrales d'énergie, commerce de détail et transports et logistique.

L'Europe à la peine

La France fait figure de petit poucet face au géant américain. Seules quatre entreprises hexagonales sont présentes parmi les 270 meilleures créatrices de valeur du classement général tous secteurs confondus : Plastic Omnium pour les composants automobiles, Zodiac Aerospace et Safran pour l'aéro-défense, Imerys pour les mines.

Et le palmarès européen n'est guère plus satisfaisant. Parmi les dix plus gros créateurs de valeur boursière tous secteurs confondus, la seule Européenne qui rivalise avec les géants mondiaux est Jazz Pharmaceuticals (siège social en Irlande, cotée au Nasdaq).

Les difficultés de création de valeur en Europe sont évidemment conditionnées par la crise profonde et persistante de la zone euro depuis 2009-2010, ce qui contraste avec le rebond plus précoce de l'économie américaine. Un phénomène dont les États-Unis ont su profiter en créant un environnement économique propice au business, grâce à une stabilité juridique, fiscale et monétaire. Enfin, ce vent favorable s'est doublé d'une véritable volonté de se saisir des opportunités dans des secteurs de pointe comme la bio-pharmacie.

Recréer un environnement plus propice à l'économie en Europe

Sans création de valeur, la capacité des groupes à investir et à innover est profondément affaiblie. Ce qui crée un cercle vicieux : moins les entreprises investissent et innovent, moins elles créent de valeur et moins elles créent de valeur, moins elles investissent et innovent...

Tandis que la France et l'Europe stagnent, les rivaux gagnent du terrain. L'écart sera d'autant plus difficile à combler qu'il est pris en compte tardivement. L'Europe reste à la traîne en termes d'innovation, notamment dans la biotechnologie, comme elle l'a été avant dans le secteur de la technologie. Si le retard se poursuit, si le cercle vicieux se maintient, on peut craindre que les fleurons européens ne soient distancés par leurs homologues américains.

Il faut donc recréer un environnement plus accueillant pour les entreprises au niveau européen. Et une prise de conscience que la création de valeur - c'est-à-dire la performance boursière et les dividendes - est une composante indispensable de la compétitivité, au même titre que le coût du travail et l'innovation. Cette prise de conscience doit avoir lieu dans les conseils d'administration des grandes sociétés et au niveau des pouvoirs publics qui ont trop tendance à opposer "la bonne performance industrielle" à la "spéculation du cours de bourse". Si les sociétés européennes ne se "réveillent pas", si elles ne se préoccupent pas davantage de la création de valeur, il est probable que d'ici quelques années, une partie de nos fleurons du CAC40 deviennent la proie de sociétés étrangères dont nous ne connaissons encore ni le nom, ni l'existence.

Jérôme Hervé, Directeur Associé senior au Boston Consulting Group