De cash investigation à trash investigation ?

Par Florian Silnicki  |   |  1156  mots
Dans Cash investigation, Élise Lucet a fait le choix de la trash investigation. Cela ne peut pas être sans conséquences... Par Florian Silnicki

Dans le prochain épisode de l'émission Cash Investigation, Arnaud de Belloy, le patron de la société Herta, passera au grill à cause d'Élise Lucet, procureur médiatique, qui lui demandera de s'expliquer sur la présence des nitrites dans le jambon.

 Dans cette émission, les méthodes anglo-saxonnes sont importées en France : investigation, fausses identités, recel d'informations volées, caméras cachées, enquêtes diligentées uniquement à charge, questions volontairement excessives posées en dehors de tout rendez-vous avec la volonté affichée de piéger la victime... En clair, un journalisme belliqueux bien loin de toutes considérations déontologiques ou éthiques, qui use de techniques dignes des pires détectives privés, reposant uniquement sur une présomption de culpabilité installée dès le début de l'émission.

 Pourquoi Herta?

Ce qui a poussé l'émission à s'intéresser à cette marque ? Des victimes en nombre ? Des dommages causés sur la santé de ses consommateurs ? Non, simplement la popularité de cette entreprise.

Comme Jean-Marc Morandini choisissait ses invités people en fonction de leur popularité, Élise Lucet choisit ses sujets d'investigation en fonction de leur notoriété, espérant ainsi gonfler ses scores d'audience. Avec 96 % de taux de notoriété chez les Français, Herta est la première marque en France pour la charcuterie, notamment le jambon, y vendant un million de produits chaque jour. C'est dire à quel point elle est une cible de premier choix pour la journaliste, dont la soif d'une enquête médiatisée ne laisse aucune place au doute, à la nuance ou aux faits objectifs.

 Développer des boucliers

Dans un contexte économique ultra compétitif où l'ouverture d'une seule brèche sur le front de son image et des impacts qu'elle entraîne peut donner lieu, au travers du déficit de cette même image, à une déperdition quasi simultanée de parts de marché, les entreprises sont contraintes de développer des boucliers leur permettant de se protéger des méthodes de cette journaliste.

Bonne nouvelle pour elles, Cash Investigation ne fait plus peur aux entreprises à qui elle a déclaré la guerre. En effet, les entreprises peuvent aisément anticiper les comportements et les méthodes des enquêteurs d'Élise Lucet et peuvent donc mettre en place les procédures leur permettant de contre-attaquer. En l'espèce, on le sait, la sécurité de nos aliments a constamment progressé depuis la dernière guerre.

Pourtant, depuis quelques années, « les peurs alimentaires » connaissent une vigueur inégalée jusqu'alors. C'est sur ces peurs que la journaliste surfe pour gonfler son audience. La nature même de l'alimentation, qui consiste fondamentalement à incorporer des éléments extérieurs dans son propre organisme, et ses liens avec l'imaginaire et le culturel, confèrent aux problèmes de sécurité des aliments une acuité toute particulière. Les communicants sont conscients du fait qu'en matière de sécurité alimentaire, un certain nombre de références ne fonctionnent plus. Car la maîtrise de la sécurité des aliments, considérée comme un problème strictement technique, a montré ses limites, voire ses défaillances. Par ailleurs, l'opinion ne suit plus ; les Français ne pensent plus que la science et la technologie vont leur apporter plus de sécurité, mais au contraire moins de sécurité, et, surtout, de nouveaux dangers. C'est le cas ici avec le nitrite de sodium et l'additif E250, utilisés dans les produits carnés.

Quelle gestion de crise?

 La gestion de crise ne vise pas à couvrir d'inacceptables insuffisances en matière de sécurité, contrairement à ce que la journaliste sous-entend systématiquement. Bien au contraire, la préparation aux situations de crises des industriels aide à identifier de telles insuffisances et à les corriger bien en amont dans l'exercice de démocratie. En effet, la gestion de crise ne saurait être une collection de recettes tactiques partagées secrètement par des cercles restreints.

 Elle est le fruit d'un consensus global, dont le bras armé est la communication de crise. La communication de crise que la stratégie de réplique à la crise que peut potentiellement traverser l'entreprise, attaquée par une émission dont la déontologie journalistique ne semble pas être une limite.

Il faut que ces entreprises apprennent à maîtriser la capacité de tisser du lien informationnel, symbolique et humain, tant à en interne qu'en externe dans une société ; c'est donc bien la dimension stratégique de la conduite de la crise dont il est ici question ; son maître-mot est l'anticipation, car plus une structure est familiarisée avec les techniques d'entraînements réactionnels à la crise, plus elle aura de chances d'en réduire la durée et les répercussions.

Trash investigation

Les Français se déclarent, en majorité, conscients et inquiets des risques potentiels dans le domaine de la santé (respectivement 81 % et 73 %), sans doute parce qu'ils ne font pas confiance aux acteurs publics et privés (pour 63 % d'entre eux). Ils sont également une majorité à penser que le nombre de crises dans le domaine de la santé aura plutôt tendance à augmenter (8 personnes sur 10, nous rappelait récemment une étude d'opinion sur le sujet). Il existe une inquiétude latente des Français et, surtout, un manque de confiance dans le progrès scientifique, censé améliorer les conditions de vie.

Le cas se présente une nouvelle fois avec cet épisode. Élise Lucet ne cherche pas tant la vérité, mais cherche plutôt à mettre en scène la recherche de la vérité. La journaliste joue et mise sur le non-dit. L'entreprise qui ne se soumet pas à son diktat est suspecte et coupable aux yeux de l'opinion publique. Dommage pour la journaliste d'investigation, la démocratie, ce n'est pas la soumission aux méthodes, et encore moins à ses méthodes plus que contestables ! De la même manière qu'il y a une antibiorésistance, on peut constater un début de « casho-résistance » dans les directions de la communication des entreprises françaises qui ont une image très dégradée de cette émission. Dans Cash Investigation, Élise Lucet a fait le choix de la trash investigation. Cela ne peut pas être sans conséquences...

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>> VOIR Cash investigation - Industrie agro-alimentaire : business contre santé

Pourquoi le jambon est-il rose ? Pourquoi a-t-il la réputation d'être bon pour les enfants ? Elise Lucet révèle les recettes inavouables des géants de l'agroalimentaire. De la Bretagne au Danemark en passant par la Californie et le Wisconsin, pendant un an, une équipe a avalé les kilomètres, en avion, en voiture et en caddy pour déterminer comment ces mastodontes de l'assiette pèsent sur les décisions de santé publique, à leur avantage. Elise Lucet prolonge l'enquête avec des experts et des responsables politiques.

Présenté par Elise Lucet - France 2