Défense  : si nous apprenions de notre Histoire  ?

Par Bruno Alomar  |   |  890  mots
Alors que la France vient de lancer une Revue Stratégique de la Défense nationale, une polémique s’est déclarée sur la réduction du budget de défense 2017, notre histoire nous apprend que la France est coutumière des fausses routes dans le domaine militaire. Par Bruno Alomar, auditeur à la 68e session « Politique de défense » de l’IHEDN

Le Gouvernement a décidé de lancer une Revue Stratégique de la Défense nationale. Il s'agit d'un exercice important, car il marque la volonté de placer dans les questions de défense dans l'horizon qui est le leur : le temps moyen/ long.

Disons-le tout net : notre histoire militaire est le théâtre de changements, parfois profonds. L'on aurait ainsi quelques difficultés à considérer aujourd'hui le peuple français, avec Tocqueville, comme un peuple « n'excellant que dans la guerre » (l'Ancien Régime et la Révolution). Pourtant, à côté de ces changements, fille de la géographie, l'histoire militaire est surtout le temps des permanences. Il en est certaines qu'il importe d'avoir à l'esprit.

L'histoire militaire montre la nécessité pour la France de compter avant tout sur elle-même

Première permanence : la puissance inégalée de l'Amérique. Cette Amérique, n'en déplaise aux néo-conservateurs, qui selon le mot de Ford considère que l' « Histoire, c'est de la blague », et de ce fait peu préoccupée du temps long, a largement fait une croix sur la France. Depuis l'effondrement de mai 1940, en passant par les accords de Nassau en 1963 - que le Général de Gaulle a eu la force de refuser -, jusqu'à l'OTAN aujourd'hui, l'Amérique ne prend la France que difficilement au sérieux. Elle au mieux un supplétif, dont la présence tolérée ne doit pas gêner la puissance militaro-industrielle américaine. À peine le salon du Bourget achevé, la façon dont le programme JSF 35 a été conçu pour rendre impossible toute souveraineté des Européens dans le domaine de l'aviation de combat est un exemple parmi beaucoup.

Deuxième permanence : l'incapacité de l'Europe à se défendre. L'Europe institutionnelle, qui n'est nullement la Mère de la Paix mais qui en est bien la Fille, est un projet par essence civil. Fondée sur l'économie et le droit, domaines dans lesquels elle a de vraies réussites, l'Europe, qui a trop connu de guerres, est hantée par une vision irénique du monde. En raison de son ADN pacifiste, elle est incapable de penser la souveraineté et la conflictualité, ce qui rend mort-né tout projet crédible d'Europe de la Défense.

Le fait militaire est consubstantiel à la société internationale

Troisième permanence : la société internationale n'est pas mue par le droit, mais bien par la force. Les rêves post 1989 se sont dissipés, et avec eux ceux de mondialisation heureuse et de fin de l'Histoire. L'investissement massif des émergents, à commencer par la Chine, dans leur défense, a déclenché une nouvelle course aux armements. La Russie effectue un retour spectaculaire sur la scène militaro diplomatique.

De tout ceci, une conclusion émerge : dans un monde dangereux, et qui le sera de plus en plus, la France ne doit compter que sur elle-même si elle veut continuer à exister ! Or, si l'on considère les années récentes, il faut bien admettre que nous nous obstinons à ne pas le comprendre.

Les sujets militaires sont traités au travers de questions médiatiques

D'abord, il faut bien pointer ici la litanie de nos renoncements, qui consiste à sans cesse remettre sur le métier les mêmes erreurs, mais en partant de toujours plus bas. L'on pourrait citer le débat sur le deuxième Porte-avions, qui revient comme un serpent de mer, ou encore la question de l'abandon de la deuxième composante (aéroportée) nucléaire. Pire, c'est la question même de l'existence de la dissuasion nucléaire, dont le besoin de modernisation est urgent, qui est posée. Est-il permis de rappeler ici que la force nucléaire est la colonne vertébrale de notre existence au monde, et que sans elle, la France perdrait l'essentiel de son influence ?

Ensuite, après s'être sciemment affaiblis, l'on ne voit que dans des coopérations en réalité biaisées, le salut. Bien sûr, personne de censé ne conteste l'intérêt que les Européens auraient à tirer parti dans le domaine des capacités militaires de la profondeur de leur marché, lié à une population d'un demi-milliard de personnes. Mais la réalité est autre. En fait de coopération et d'esprit européen, la plupart de nos partenaires conservent comme réflexe de s'équiper en matériel américain, et pensent, à tort, qu'ils feront l'Europe de la défense en cumulant les renoncements des uns avec les faiblesses des autres. En fait de coopération franco-allemande, la réalité commande de rappeler que dans le domaine militaire, il s'agit moins, hélas, d'aider l'Allemagne à restaurer une industrie de défense d'excellence, qu'à mettre sur pied des partenariats justes, que de toute façon la différence de contrat opérationnel entre les armées française et allemande interdit d'envisager sérieusement.

Au final, il est temps d'en finir avec la dialectique qui consiste à se considérer comme trop faibles, pour ensuite envisager des coopérations qui nous affaibliront encore plus, véritable collier étrangleur de notre pensée militaire. Il n'est que temps de changer enfin de logiciel, de regarder notre histoire telle qu'elle est, et d'y puiser les ressources indispensables à la modernisation de notre outil de défense.