Désintégrer l'Europe

Par Michel Santi  |   |  536  mots
Michel Santi
L'Europe des "quatre libertés" est un univers schizophrène qui exige une liberté totale du secteur privé encouragé à s'enrichir, tandis qu'une rigidité grandissante paralyse un secteur public incapable de redistribuer. Par Michel Santi, économiste*

Les fondements de l'Europe ont été édifiés sur le fameux principe des quatre libertés. Les capitaux, les biens, les services et le travail sont en effet censés se déplacer sans restriction aucune au sein de cette Europe mercantile. La compétition sans limite allant de pair avec le contrôle a minima du secteur privé étant supposés - selon cette imparable logique néo libérale - induire un état d'équilibre et de stabilité économiques.

L'Europe fut effectivement bâtie sur la doctrine selon laquelle, du fait de leur efficience absolue, les marchés font se mouvoir capitaux et travail vers les régions les plus productives. Cette infaillibilité des marchés ayant pour conséquence inéluctable que les biens et les services se vendent naturellement le mieux et au meilleur prix au sein des zones les plus aisées. Les quatre libertés font donc fi des bulles spéculatives, des effets déstabilisants des flux de capitaux prédateurs, des prises de risques excessives du système bancaire : autant d'aberrations et de spirales ayant affecté l'Europe de ces dix dernières années et qu'il est difficile de classer au tableau de chasse de l'équilibre de marchés prescients et efficients...

Entre liberté absolue du privé et rigidité croissante du public

En attendant, l'impérium néo-classique, qui règne toujours en maître absolu sur l'Europe et qui exige l'arbitrage ininterrompu du marché, rejette d'un revers de main dédaigneux et méprisant l'effet stabilisateur que pourrait avoir l'État sur cette jungle légale instaurée et promue ardemment par la technocratie. Nous nous retrouvons donc de facto dans un univers schizophrène qui exige une liberté totale du secteur privé encouragé à s'enrichir, tandis qu'une rigidité grandissante paralyse un secteur public désormais incapable de redistribuer car obligé de dépenser, d'emprunter et de taxer moins.

Cette asymétrie éhontée qui érige marché et secteur privé en guides suprêmes et qui relègue l'Etat au rang des antiquités aboutit à une polarisation extrême des richesses et des ressources au sein du continent. Ces quatre libertés créent donc des monstres de prospérité comme l'Allemagne, nécessairement aux dépens de victimes sacrificielles comme la Grèce. En somme, l'Union et tout particulièrement la zone euro a soit trop de liberté... soit pas assez ! Comme l'Allemagne refuse les transferts automatiques à même de soulager les nations en déséquilibre, et comme il n'est certainement pas à l'ordre du jour de créer l'union fiscale, cette Europe devra donc se désintégrer dans l'intérêt vital de certains pays en voie de ghettoïsation. En tout état de cause, la désintégration est préférable au statu quo.

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*Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et Directeur Général d'Art Trading & Finance.

Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience", "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique" et de "Misère et opulence", préface rédigée par Romaric Godin.

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