Droit du travail : comment changer la donne ?

Les propositions de réforme du droit du travail risquent de se heurter à plusieurs écueils, dont l'investissement des salariés comme des responsables d'entreprises sur ces sujets. Par Christine Hillig-Poudevigne et Agathe Meffre, Avocat - Associée Avocat, M B A
Manuel Valls défend une réforme du droit du travail donnant plus de liberté aux entreprises

« Un objectif : l'emploi. Une méthode : le dialogue social ». Cette première phrase du rapport intitulé « Sauver le dialogue social : priorité à la négociation d'entreprise » que vient de publier l'Institut Montaigne, un « think tank » libéral et indépendant, donne en quelques mots le ton et sa solution.

Le dialogue social a décidément le vent en poupe. A l'instar de la loi du 17 août 2015 relative précisément au dialogue social et à l'emploi, nombreux sont ceux qui pensent en effet que la clé de la reprise de la croissance et de l'emploi en France passe par le dialogue social (voir également le livre de Gilbert Cette et Jacques Barthélémy « Réformer le droit du travail » publié par la fondation Terra Nova, un « think tank » plus à gauche).

A droite comme à gauche

A droite comme à gauche, on semble donc pour une fois sur la même longueur d'onde. Le rapport de l'ancien directeur général du Travail, Jean-Denis Combrexelle, fraichement paru et commandé par le Premier Ministre, confirme cette position et suggère également d'élargir la place des accords collectifs.

Mais de quoi parle-t-on au juste ?

L'Institut Montaigne part d'un constat simple : le rôle de la loi en France est trop important, au détriment de la marge de manœuvre de l'entreprise et de l'autonomie des partenaires sociaux. Cette tradition française d'interventionnisme législatif traduit également « une forme de défiance à l'égard des partenaires sociaux ». Pour y remédier, l'Institut Montaigne liste 12 propositions afin, notamment, de remettre en cause cette « centralité » de la loi et de construire progressivement un droit du travail plus souple.

Donner un rôle dominant à l'accord d'entreprise au détriment de la loi

Ainsi, l'Institut Montaigne propose un bouleversement de la hiérarchie des normes en faisant de l'accord d'entreprise la norme de droit commun qui fixerait les règles des relations de travail. On ne partirait donc plus du haut (la loi) mais de la base (l'entreprise). L'entreprise établirait ainsi ses propres règles du jeu en respectant néanmoins quelques règles qui relèveraient d'un « ordre public absolu » (qui serait à définir).

Les auteurs du rapport sont formels : « la modernisation par le haut ne fonctionne pas » et il est désormais impératif de mettre en œuvre de nouvelles méthodes afin de « placer l'accord d'entreprise au cœur de la réforme du marché de l'emploi et reconstruire un dialogue social efficace au service de la cohésion sociale et de la compétitivité ». L'accord d'entreprise, norme autonome en droit du travail, deviendrait donc la référence, la loi et les accords de branche ne joueraient plus qu'un rôle supplétif.

Une négociation, avec quels interlocuteurs ?

Pour rendre cet objectif réalisable, encore faut-il avoir des interlocuteurs dans l'entreprise qui puissent négocier et être légitimes à le faire. L'Institut Montaigne propose, à cet effet, une meilleure formation des représentants du personnel, par un renforcement de leur « développement professionnel ». Il préconise de limiter à deux le nombre de mandats consécutifs de représentants du personnel et de limiter également le temps consacré à ces mandats (pas plus de 50% de leur temps de travail) et ce, pour éviter le développement d'un syndicalisme d'appareil et permettre ainsi à l'élu de ne pas trop s'éloigner de la réalité de l'entreprise.

Des propositions trop ambitieuses ?

Ce bouleversement de la hiérarchie des normes soulève des difficultés évidentes de remise à plat du Code du travail et de changement des mentalités. On peut anticiper que la tendance sera de considérer l'existant (le Code du travail actuel) comme la base de référence. Qui osera négocier des accords moins favorables que ce que la loi permet actuellement (notamment sur la durée du travail, les règles de licenciement, les salaires, etc.) ?

Mais surtout, le renforcement du dialogue social au niveau de la base pose une question essentielle : celle de l'investissement personnel des salariés dans une négociation qui bien souvent les dépasse. En pratique, on constate qu'il est déjà difficile pour de nombreuses entreprises, au premier rang desquelles les PME, d'avoir des candidats aux élections professionnelles. Les salariés n'ont, en effet, souvent ni le temps, voire ni l'envie, de s'investir dans des négociations et sur des sujets aussi techniques.

Un tel changement nécessiterait, de la part des salariés et managers, déjà à court de temps, de se réapproprier les problématiques du droit social. Est-ce réalisable quand leur priorité est de développer leur activité ? C'est une question qu'il serait important de ne pas sous-estimer.

Christine Hillig-Poudevigne et Agathe Meffre
Avocat - Associée Avocat

M B A

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Commentaires 2
à écrit le 10/09/2015 à 2:46
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http://www.ccecrb.fgov.be/txt/fr/doc07-854.pdf

à écrit le 09/09/2015 à 22:53
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Donner la priorité à la négociation entre salariés et entreprises part du présuppose que les pouvoirs des 2 partenaires sont équilibrés. A voir ....

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