EDF : l'Etat peut éviter un désastre industriel et financier

Par Raphaël-Homayoun Boroumand, Stéphane Goutte et Thomas Porcher  |   |  1224  mots
Jean-Bernard Lévy, PDG d'EDF propose l'allongement de la durée de vie des réacteurs et l'augmentation du prix de l'électricité
EDF est au plus mal, pour avoir misé sur une filière nucléaire à l'avenir incertain. L'État doit renouer avec son rôle de stratège, et pousser EDF comme les autres acteurs historiques vers les énergies renouvelables, où les parts de marché à prendre sont importantes. Par Raphaël-Homayoun Boroumand, Professeur à la Paris School of Business, Stéphane Goutte, Maître de conférences à l'Université Paris 8, et Thomas Porcher Professeur à la Paris School of Business

EDF n'est plus un fleuron de l'industrie française et doit faire face à un mur d'investissements colossaux de plusieurs dizaines de milliards d'euros dans les prochaines années pour lesquels les provisions sont insuffisantes (maintenance des centrales, sauvetage d'Areva, EPR britanniques, démantèlement des centrales). La sortie du CAC 40, avec une valeur boursière divisée par 8 depuis 2008 (soit une perte de valeur de 136 milliards d'euros), et un bénéfice 2015 divisé par trois en un an, laissent présager un naufrage industriel et financier.

Une fuite en avant suggérée par le PDG

Les solutions proposées par le PDG d'EDF, comme l'allongement de la durée de vie des réacteurs pour amortir le coût du démantèlement ou l'augmentation de 30 à 50% des tarifs de l'électricité, s'apparentent plus à une fuite en avant qu'à une réelle volonté de faire face aux difficultés structurelles de la filière nucléaire. L'État, actionnaire à 84 ,5%, se mure dans le silence sans mettre un terme aux errements stratégiques pour sortir de l'impasse. Peu importe que l'allongement de la durée de vie des centrales annoncé par le PDG d'EDF soit en contradiction avec la baisse de la part du nucléaire dans la production d'électricité prévue par la loi sur la transition énergétique. Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les solutions pour qu'EDF ne subisse pas la même déroute qu'AREVA ?

« L'Etat stratège » et la construction d'opérateurs historiques

Le système énergétique français est le produit d'une planification et d'un pilotage centralisé qui ont donné naissance à de grandes entreprises publiques : EDF, GDF-Suez, Areva et Total. Ces entreprises, appelées « opérateurs historiques », se sont développées dans un environnement non-concurrentiel : société publique en monopole. Encore aujourd'hui, EDF, Engie et Areva ont une grande partie de leur capital détenue par l'Etat. Le développement de ces entreprises est d'abord le fruit de choix politiques et non le résultat de mécanismes de marché. La part du nucléaire dans notre bilan énergétique en est la meilleure démonstration. Les seuls mécanismes de marché n'auraient jamais pu faire du nucléaire la première énergie. Le signal-prix aurait orienté les investissements vers les centrales à gaz et à charbon compte tenu du coût complet significativement plus élevé des centrales nucléaires. Le choix du nucléaire avait une finalité stratégique : gagner une indépendance énergétique avec une électricité compétitive et mettre la France à l'abri des fluctuations des prix du gaz ou du pétrole. La réussite d'EDF en France et le développement exceptionnel du nucléaire sont donc les résultats d'un choix politique qui a permis la mise en place de conditions de développement favorables (monopole public).

La libéralisation du secteur de l'énergie et l'effacement de l'État

A partir des années 90, la Commission européenne exige des États membres de libéraliser de vastes secteurs de leur économie, notamment celui de l'énergie. L'objectif était de casser les monopoles verticalement intégrés afin de faire jouer la concurrence. EDF est donc contrainte, de l'amont à l'aval, d'opérer une séparation juridique entre ses activités (création d'ERDF et de RTE). L'État « stratège » opérant un pilotage de long terme des différentes entreprises de l'énergie laisse progressivement place à un État « neutre », c'est-à-dire gardant l'actionnariat par sécurité sans imposer sa vision aux entreprises. La libéralisation, accompagnée de l'effacement de l'État, a eu un impact négatif sur le positionnement de nos énergéticiens. Le meilleur exemple est la mise en concurrence des deux champions Areva et EDF alors que leurs activités étaient initialement bien définies et complémentaires.

Les problèmes de la filière nucléaire : croissance inéluctable des coûts, incertitude, et perte de débouchés

L'EPR (European Pressurized Reactor), dont celui de Flamanville, fait face à un véritable gouffre financier. Le coût a été revu à la hausse à hauteur de plusieurs milliards d'euros. Le coût total est désormais évalué à plus de 10 milliards d'euros. Pour mémoire, ce coût avait été estimé à 3.3 milliards en 2005. Si la production démarre en 2020, le chantier aura pris huit ans de retard par rapport à la date initiale prévue. Le surcoût prohibitif et le retard d'achèvement fragilise considérablement la crédibilité de l'EPR à l'export. Avec un coût estimé à environ 100 euros le MWh contre 80 euros pour l'éolien, la compétitivité de l'EPR est fortement mise à mal.

Cependant, le vrai problème de la filière nucléaire se trouve dans le manque de débouchés. En France, les parts de marché à conquérir sont très faibles pour ne pas dire inexistantes, 75% de la production d'électricité provient déjà du nucléaire. En Europe, les objectifs en matière d'énergies renouvelables sont ambitieux (30% de renouvelables dans la consommation d'énergie finale) et laissent peu de perspectives au nucléaire. Enfin, les Etats-Unis se sont tournés vers le gaz de schiste. Reste encore certains pays émergents intéressés par l'achat de réacteurs nucléaires comme la Chine ou les Emirats Arabes Unis mais le monde est loin de la dynamique connue ces 30 dernières années pour l'électricité nucléaire. Pour l'obtention des contrats, EDF est en concurrence avec d'autres entreprises plus performantes.

Pousser les opérateurs historiques dans le secteur des renouvelables

A l'inverse, les parts de marché à saisir dans les énergies renouvelables sont importantes en Europe et même dans le monde si l'accord de la COP 21 est appliqué. D'autant plus, qu'il n'existe pas encore de « major » des renouvelables.
L'État actionnaire doit pousser les opérateurs historiques dans le secteur des renouvelables

Les choix politiques de long terme ont laissé place à un modèle hybride combinant politique de soutien et marché libéralisé. Alors que les investissements dans le secteur de l'énergie sont massifs, l'État français, encore actionnaire des opérateurs historiques, aurait pu propulser ces entreprises vers les énergies renouvelables. Une telle rupture stratégique aurait permis de positionner nos entreprises sur des secteurs d'avenir en veillant à leur complémentarité.

Ce tournant aurait permis de lever un certain nombre d'obstacles que connaissent aujourd'hui les énergies renouvelables comme l'instabilité règlementaire (le « stop and go ») ou le manque de connaissances de la part de l'ensemble des parties prenantes (citoyens, investisseurs, décideurs politiques). Il aurait également donné confiance aux investisseurs et aurait créé des effets d'entraînement pour les centaines de PME qui travaillent dans les renouvelables. Il est encore temps de faire ce choix, l'État doit renouer avec son rôle de stratège pour éviter un nouveau désastre industriel et financier qui sera, sans nul doute, au frais des contribuables. Le triomphalisme n'est plus de mise. Maintenir EDF sous perfusion financière ne fait que repousser le problème. Il y a urgence à définir un projet industriel pour sortir du brouillard.

Raphaël-Homayoun BOROUMAND (Professeur à la Paris School of Business), Stéphane GOUTTE (Maître de conférences à l'Université Paris 8) et Thomas PORCHER (Professeur à la Paris School of Business) sont auteurs de l'ouvrage « 20 idées reçues sur l'énergie » (de boeck, 2015)