Emmanuel Macron face aux déserts médicaux

Par Alexis Dussol  |   |  1011  mots
De nombreux médecins  généralistes partent à la retraite sans avoir de remplaçant et leurs patients peinent à trouver un nouveau médecin traitant. Les territoires où l'offre médicale est insuffisante se multiplient. Peut-on lutter contre ces déserts médicaux qui  gagnent du terrain? Par Alexis Dussol

Cette tribune ne traite que de la médecine générale même si la situation est préoccupante dans d'autres spécialités médicales.

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La désertification médicale ne se  limite plus aux  zones rurales isolées. Villes petites et moyennes, banlieues péri-urbaines, grandes agglomérations sont  concernées. Paris n'y échappe pas, pour des raisons spécifiques.

Avec 287 133 inscrits au tableau de l'ordre  au 1er janvier 2017, la France n'a pourtant jamais eu autant de médecins. Ce chiffre, qui englobe également les médecins retraités,  cache de profondes disparités. Si les effectifs des autres spécialités augmentent, à quelques exceptions, ceux des médecins généralistes sont les plus touchés par la crise démographique. Ils connaissent une chute inexorable qui pourrait se traduire par la perte d'un médecin généraliste sur quatre d'ici 2025. La démographie des médecins généralistes se caractérise également par des disparités territoriales importantes entre régions et surtout à l'intérieur de chacune d'entre elles.

La fin du « médecin de famille »

Si les déséquilibres géographiques dans l'accès aux soins  ont toujours existé, le phénomène s'est amplifié ces vingt dernières années sans que les décideurs l'aient  réellement anticipé. Diverses mesures ont néanmoins été prises sous le quinquennat précédent devant l'urgence de la situation comme le relèvement du numerus clausus, des aides à l'installation ou la  création d'un statut de praticien territorial de médecine générale.

Plusieurs raisons expliquent cette désertification. Le vieux modèle du « médecin de famille » a vécu. C'en est fini du médecin exerçant seul, toujours disponible, allant visiter ses malades à domicile, de jour comme de nuit, sans compter ses heures. Les jeunes générations cherchent à concilier un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée et ce n'est pas dû qu'à la féminisation de la profession. Ils retardent aussi leur installation, préférant le confort d'un statut de remplaçant et choisissent de plus en plus l'hôpital comme lieu du premier exercice. Quand ils optent pour le libéral, c'est vers un exercice regroupé. Le choix du lieu d'exercice est souvent motivé par l'activité du conjoint, la qualité du cadre de vie ou les possibilités d'études pour les enfants, etc. Les déserts médicaux sont souvent des déserts tout court !

La formation médicale trop hospitalo-centrée ne familiarise pas suffisamment les futurs diplômés à l'exercice libéral.

Une fois installés, de nombreux médecins n'hésitent pas à quitter leur cabinet pour un exercice plus confortable soit à l'hôpital, soit dans un EHPAD.

Avec près de 2,5 millions de Français vivant dans un désert médical, nous sommes au pied du mur.

Quel plan contre les déserts médicaux ?

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que la lutte contre les déserts médicaux ait occupé une place centrale dans les programmes des candidats à la présidentielle. La nouvelle ministre de la Santé, Agnès Buzyn, en fait sa priorité en annonçant un plan de « grande ampleur » pour la rentrée. Les syndicats médicaux sont mobilisés. La puissante Confédération des Syndicats Médicaux Français s'est empressée de livrer ses propositions avant l'été.

Faut-il mettre un terme à la liberté d'installation ou en rester à des mesures incitatives? La question se posera à nouveau

Il est probable que la liberté d'installation ne sera pas remise en cause, même si des dispositifs de régulation de l'installation existent pour d'autres professions de santé, comme les pharmaciens ou les infirmiers. Les syndicats médicaux sont très attachés à ce vieux dogme et la mesure serait vite impopulaire. Tous les gouvernements précédents s'y sont refusés même si de nombreux parlementaires de tous bords y sont favorables.

C'est donc à un panel de mesures qu'il faut s'attendre. Le relèvement du numerus clausus ou l'augmentation du nombre de maisons de santé pluri-professionnelles évoquées par le candidat Macron ne saurait être la panacée, car cela n'empêchera pas les médecins de continuer à s'installer dans des zones déjà favorisées. De même, la promesse de créer un service sanitaire de 3 mois trop complexe à mettre en œuvre sera vite rangée aux oubliettes. Le recours aux médecins étrangers qui sert déjà de palliatif pourrait être mieux encadré à travers une politique de visa sélective. Les aides à l'installation doivent être poursuivies et mieux ciblées. Les étudiants qui le souhaitent pourraient aussi se voir offrir, à l'entrée en deuxième année, la possibilité d'opter pour un statut liant une rémunération pendant les études à une obligation de s'installer dans une zone déficitaire, sur le modèle des élèves-fonctionnaires de  la fonction publique. Le recours à la télémédecine peut aussi apporter des solutions à condition que l'on sorte une fois pour toutes de l'interminable saga des expérimentations. Les délégations de tâches freinées par une bureaucratie trop tatillonne doivent être résolument encouragées à l'instar d'autres pays.

Pour être efficace, il faut des mesures structurelles  dans un plan global de revalorisation du statut de la médecine générale. Cela passe avant tout par une refonte de la formation qui valorise trop une médecine hospitalière hyperspécialisée au détriment de la médecine générale. Il faut aussi, comme le souhaite la CSMF, développer des modes d'exercice partagé entre l'hôpital et le libéral. Le temps plein hospitalier qui a correspondu à une époque a  sans doute vécu. Quelque part, c'est de l'héritage des réformes Debré de 1958 dont il faut s'affranchir.

L'heure de la VIe République a sans doute sonné, au moins dans  la santé !

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 (*) Alexis Dussol, Président d'Adexsol, Ancien président de la conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers