Emmanuel Macron ou la "République 2.0"

Par Arno Pons  |   |  796  mots
La campagne touche à sa fin, et force est de constater que les candidats n'ont pas voulu faire du numérique un véritable sujet lors de ces élections. Par Arno Pons, directeur général de 5e Gauche-Herezie Group, délégué général de la fondation « Digital New Deal », enseignant à SciencesPo.

Leurs programmes avaient des propositions intéressantes, mais ils n'ont pas profité de ce moment de débat national pour faire la pédagogie de cette révolution qui transforme nos vies. Certes François Fillon, Benoit Hamon et Emmanuel Macron se sont engagés sur les 9 mesures politiques proposées par la Digital New Deal Foundation dans son «pacte numérique» du 22 mars, mais ils n'ont pas souhaité en faire un grand rendez-vous médiatique.

Pourtant on aurait pu s'attendre à ce que leader d'En Marche fasse du numérique un véritable axe programmatique pour se démarquer et légitimer son ambition européenne. En expliquant par exemple que les États-Unis ont fait le pari gagnant du numérique il y a maintenant 25 ans avec Al Gore, et que c'est bien grâce à la nouvelle économie que les USA sont encore aujourd'hui la 1re puissance mondiale économique, mais aussi culturelle (les GAFA étant devenus un "softpower" bien plus puissant que l'industrie de l'entertainment).

Si Emmanuel Macron n'a pas fait ce choix c'est peut-être parce qu'il savait qu'avec un tel thème de campagne il aurait été englué dans des argumentations inaudibles face aux mots totémiques robotisation et uberisation.

Et surtout parce qu'il a compris mieux que tout le monde que la meilleure réponse politique à apporter aux enjeux du numérique ce n'est pas une série de mesures, mais davantage à travers une pratique, une nouvelle culture de gouvernement.

En Marche, une startup politique

Et tout semble indiquer que Macron soit bien dans cette vision : du lancement de son mouvement conçu telle une startup (une offre agile qui se glisse dans les failles d'un système sans le remettre en cause), à sa promesse de renouvellement du personnel politique (qui prouve bien qu'il ne souhaite pas refondre les institutions de la République), tout montre qu'il vise plutôt à faire « pivoter » le modèle républicain et non à le refondre.

C'est là où réside sa force car sa construction hors parti l'a rendu anti-establishment sans tomber dans les travers d'une candidature antisystème.

Il ne propose pas comme Marine Le Pen de se déconnecter du reste du monde en sortant du réseau européen, ou de revenir sur une version antérieure du logiciel politique comme le souhaite François Fillon, et encore moins de régler les bugs de la nation en passant à une VIe République comme Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon le promettent.

Lui se montre pragmatique en imaginant simplement de mettre à jour le système.

La « beta-isation » du monde politique

Emmanuel Macron a probablement compris que la « beta-isation » du monde s'applique aussi à la politique. Notre République est comme une application mobile: des mises à jour régulières sont nécessaires, mais ce n'est pas la peine d'en créer une nouvelle à chaque problème rencontré (opération coûteuse et risquée en termes d'adoption par le grand public).

Ce n'est donc pas via les institutions que l'ancien ministre de l'Économie pourrait devenir le premier président de l'ère numérique, mais bien en disruptant le mode de gouvernance. À l'instar de Valery Giscard d'Estaing qui permit la transition post-Gaullisme, Emmanuel Macron a vocation à créer une nouvelle version de la Vème République, celle du post-bipartisme.

Des valeurs plutôt que des partis

Pour ce faire il devra s'assurer d'enterrer le clivage droite-gauche en créant des lignes de démarcations programmatiques transversales en remplacement des positions partisanes silotées.

Tout comme il a tué le hertzien, le digital a sonné la fin des grands systèmes idéologiques de masse laissant place à des courants comme l'écologie et le numérique qui partagent une vision horizontale de la politique et une certaine forme de radicalité dans la notion de progrès (ce qui implique que le numérique se politise comme l'écologie le fit dans les années 70).

Les mouvements écologiques et numériques pourraient alors créer des coalitions de projets avec les courants libéraux (ex-LR), sociaux (ex-PS), et progressistes (EM) évitant ainsi de tomber dans une logique de cohabitation qui rendrait caduque l'idée même de ce mandat !

En indexant son action politique sur les transitions numériques et écologiques, Macron pourrait alors construire une croissance collaborative qui marginaliserait le clivage droite-gauche, et deviendrait par la même occasion l'initiateur d'une nouvelle aventure politique européenne.

Gageons que cette ambition soit bien la sienne et qu'il ne se contentera pas s'il est élu de gouverner au centre par la culture du compromis. Car le populisme attend son heure...

_______

Par Arno Pons, directeur général de 5e Gauche-Herezie Group, délégué général de la fondation « Digital New Deal », enseignant à SciencesPo.