Emmanuel Macron, un président qui impressionne, mais n'imprime pas

Par Alain Faure  |   |  716  mots
(Crédits : DR)
OPINION. Le 16 janvier 2024, pendant plus de deux heures, la conférence de presse d'Emmanuel Macron a mobilisé des millions de téléspectateurs. Comme à son habitude, le Président de la République s'est exprimé avec brio et beaucoup de mordant, tour à tour analytique, prolixe en détails, solennel, joueur, sincère, emphatique. Pour quels résultats ? Par Alain Faure, Directeur de recherche CNRS en science politique à Université Grenoble Alpes (*)

Dans les premiers commentaires à chaud, des éditorialistes ont souligné que malgré tous ses efforts, sa vivacité et son éloquence, « le Président n'imprimait pas ». La formule sonne juste. Le jeune Président séduit ou agace mais il ne laisse pas de message ni ne provoque de sentiment de transfert et d'identification. Il ne marque pas les esprits sur des éléments concrets ou sur un dessein partagé. La communion n'opère pas.

La collusion entre le sacré et l'intime

Or cette communion avec les Français est la principale gageure de l'incarnation politique. L'équation est connue en sciences sociales. Elle a été théorisée il y a quarante ans par Ernst Kantorowicz dans son essai célèbre sur « Les deux corps du Roi ». Le philosophe y expliquait comment les souverains habitaient la fonction royale à partir d'une étonnante dualité corporelle convoquant sur une face l'aura divine et sur l'autre les fragilités charnelles.

La surprise pour le champion du « en même temps » provient de son incapacité à ajuster le symbolique et le physique. Tout se passe comme si sa gestuelle bondissante et son phrasé impeccable l'empêchaient d'habiter pleinement la fonction présidentielle. Pourquoi un tel blocage ? Peut-être simplement parce que manquent à son répertoire les deux registres émotionnels fondamentaux des larmes et du doute.

L'enthousiasme sans les blessures

Emmanuel Macron est un acteur, il alterne avec talent la gestuelle saccadée ou solennelle, le visage rieur ou auguste, la voix chantante ou jupitérienne. Il s'étonne, fronce les sourcils, s'indigne et badine, tantôt accoudé au dossier, tantôt les mains volontaires et le buste en avant. Son langage corporel est contrôlé, la tête est haute, le menton volontaire, le regard clair. Il respire la vivacité et l'enthousiasme. Trop peut-être ?

Les anthropologues qui étudient la gestuelle des leaders soulignent que la posture de pouvoir requiert des expressions explicites de compassion et d'empathie. Un chef est fait de chair et d'os, il se doit de comprendre et d'incarner les tâtonnements, les fragilités et les souffrances de la condition humaine. Pour reprendre la formule du sociologue Christian Le Bart, le chef doit savoir pleurer avec ceux qu'il gouverne. On pense à l'étonnant « Je vous ai compris » du Général De Gaulle... Or dans la gestuelle d'Emmanuel Macron, jamais ne sourdent les ressentis du désarroi, de la faiblesse, du désespoir ou du doute. C'est un Président en apparence sans blessures ni fêlures. Il s'expose volontiers mais s'affiche insensible, intouchable, presque insubmersible. Les mimiques remuantes semblent interdire les transferts et les projections sur les fragilités humaines.

L'éloquence sans le sens

Le second registre corporel dissonant concerne la maitrise trop parfaite du verbe. Les prestations d'Emmanuel Macron reposent sur la phraséologie d'un premier de la classe. Il décortique les problèmes, liste les défis et argumente les solutions avec aisance et fluidité. Il a réponse à tout. Ses ripostes fusent comme défilent les réparties du robot ChatGPT. La complexité du monde ne lui fait pas peur, elle le galvanise. Les idées s'empilent, les raisonnements s'enchainent. Sa faconde et sa verve ne s'arrêtent jamais. Jusqu'à la saturation du son ?

Les recherches sur les structures linguistiques et symboliques des discours politiques suggèrent que les orateurs charismatiques savent trouver des mots qui résonnent avec l'inconscient collectif. Emmanuel Macron disserte certes sur les incertitudes, les crises et les lueurs de la vie en société. Mais la plume semble trempée à l'encre sympathique et l'on peine à retenir le sens de ses brillantes envolées. Comme la forme trop joyeuse de l'enthousiasme, les performances cliniques de l'éloquence paraissent en déphasage avec les doutes et les larmes de l'incarnation politique. Gestuellement comme verbalement, le Président a beau impressionner, il n'imprime pas.

 _____

(*) Alain Faure : après avoir fait ses armes d'apprenti chercheur dans l'observation du monde rural et réalisé une thèse de science politique sur les "maires entrepreneurs", Alain Faure a poursuivi ses travaux de recherche sur l'observation et l'analyse de l'action publique, tant au niveau local en France (intercommunalités, départements, régions) qu'au niveau international (Europe et Canada). Ces travaux se sont notamment orientés sur l'analyse du « métier » d'élu local.