Enterrement des droits voisins par Google et Facebook : les communicants s'honoreraient de GooGUEULER

OPINION. La transposition de la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins, adoptée à la quasi-unanimité par le parlement, prive la presse française d'une ligne de revenus au profit notamment de Facebook et Google. L'enjeu démocratique qu'est le risque d'une fragilisation voire d'une disparition de cette presse est réel et doit être pris au sérieux, notamment de la part du secteur de la communication. Par Jacky Isabello, cofondateur de l'agence de communication Coriolink.
(Crédits : Reuters)

Le mercredi 6 novembre restera comme une journée noire pour la presse. Après 76 ans d'existence, c'est la fin pour le journal l'Echo créé par la Résistance à Limoges durant la Seconde Guerre mondiale. Quelques jours auparavant, la plateforme Facebook avait suivi la décision de Google, et refusé également de rémunérer les éditeurs de presse français pour les liens « enrichis » partagés sur sa plate-forme. Ce nouveau droit permettrait aux géants du numérique de se mettre en conformité avec la loi du 24 juillet. Entrée en vigueur récemment, elle est la transposition dans le droit français de la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins. A noter au passage qu'elle a été adoptée à la quasi-unanimité par le Parlement français cet été. Or cette loi est devenue un point de très forte crispation entre la presse française et les géants du numérique.

Peut-on se demander si la mort de l'Echo est la conséquence d'une position dominante des géants du numérique, nombreux sont ceux qui l'affirment ! Dans une tribune parue sur plusieurs sites 700 journalistes, cinéastes, photographes et responsables de médias dénoncent « le cynique choix de dupes » proposé par Google aux médias européens. En tant que professionnels de la communication nous devons impérativement soutenir le combat des médias. Google, en démiurge du numérique qui détient 93 %[1] de parts du marché mondial des moteurs de recherche, peut-il se lancer dans une carrière de dictateur qui sacrifierait le bien commun numérique dont il doit être un des garants au seul bénéfice d'une forme insupportable de cupidité ?

Respect de l'éthique démocratique

Un site web, qu'il soit moteur de recherche ou plateforme de mise en relation, s'impose par essence un impératif catégorique de respect de l'éthique démocratique. De ce fait, transmettre du contenu de qualité aux internautes qui le fréquentent s'impose. Ces contenus sont en grande majorité produits par des médias qui rémunèrent des journalistes. Dans son édition du 23 octobre dernier, Le Parisien Aujourd'hui en France a réalisé un travail très pertinent montrant à quoi ressembleraient les résultats de Google desquels disparaitraient les articles « griffonnés » par ceux que Google et Facebook considèrent comme d'inutiles folliculaires.

L'article du quotidien décrit un monde cuistre et de mésinformation. Les deux premiers résultats pour une requête sur le sigle GPA orientent vers un « recycleur d'automobiles » ou « un spécialiste des casques de sport ». Rappelons qu'au Moyen-Âge, imposer un péage entre deux cités déclenchait des guerres. Google et Facebook, en créant un univers numérique devenu un quasi-monopole préemptant la captation de la valeur publicitaire jusqu'alors détenue en partie par les médias, a déclenché un conflit qui s'enlise, dans lequel il est capital que l'industrie de la « com' » prenne position pour défendre la place indispensable des médias dits mainstream, ceux construits par les détenteurs d'une carte de presse ou un numéro de commission paritaire. Pierre Rosanvallon décrit dans son ouvrage "La Contre-démocratie" (éd. Le Seuil) paru en 2006 la place des médias en tant que clé de voûte de ce concept indispensable à la vivacité de la démocratie. Concept qu'il résume en trois points : rester vigilant, dénoncer, et noter celles et ceux qui nous dirigent. Sans médias en capacité de rémunérer, et parfois salarier, des professionnels du journalisme, nous filons à vive allure vers un mode orwellien.

Sans réaction de la part de notre industrie de la communication, nous votons les pleins pouvoirs à une nouvelle forme de dictature ; celle de la captation de la valeur que tentent d'imposer avec hubris Facebook et Google. Le secteur de la communication vit en très bonne intelligence avec les médias, il serait la victime collatérale de l'extinction économique des médias. Nos métiers doivent se battre contre la posture de refus et d'arrogance des deux géants du numérique.

Un concept mal compris

Facebook et Google sont d'incroyables sociétés, innovantes, qui offrent une liberté nouvelle vers un chemin où tout un chacun se bâtit une culture sur mesure, débarrassé de toutes les frontières géographique linguistiques. Ces « Entreprises-Nations » détiennent une part considérable de ce nouveau « bien commun ». Paradoxalement, cela leur impose de s'interdire le refus du dialogue.

Aux ambitions hégémoniques qui semblent conduire la stratégie de certains GAFAM, il faut rappeler à Google et Facebook que la racine de ce concept forgé au Ve siècle avant notre ère par Thucydide signifie : « Conducteur » (Hégémon, celui qui est en tête). Le politiste spécialiste des relations internationales Bertrand Badie, rappelle dans son dernier ouvrage (1) que ce « Conducteur » pour Thucydide produit un ordre bénéficiant de l'adhésion volontaire de ceux qui le suivent ; une notion de consentement qui semble échapper totalement à Facebook et Google. Leur hégémonie technique et financière est factuellement acquise mais l'imposer avec une telle violence est historiquement une erreur.

Tarir les sources de revenus des principaux contributeurs de contenus rétablirait en quelque sorte un système esclavagiste et reconnaîtrait le principe du « travail sans rémunération ». Aux médias les coûts de production du contenu, aux zélotes du gain le butin publicitaire. La mission de l'hydre « GoogBook » réside davantage vers la mobilisation de toutes les énergies contre ce qui menace la confiance et les libertés : la manipulation, les fakenews et les deepfake, les cybermenaces et la cybercriminalité...

A s'asseoir sur leur tas d'or, Facebook et Google vont sacrifier la santé économique des quelques grands médias encore en état de faire leur métier, et à même de les aider à garantir cette indispensable confiance. Le secteur des médias a déjà lourdement payé son écot à la révolution numérique. A poursuivre la réalisation de telles ambitions destructrices des médias indépendants, Facebook et Google seraient les diaboliques agents d'un monde terrifiant.

Que font les métiers de la communication ?

En 2015, en pleine période trouble des attentats, alors que la propagande djihadiste abondait sur les réseaux sociaux, je lançais un appel aux communicants comme force vive pour combattre les djihadistes. Et des initiatives ont vu le jour. Dans un tout autre registre, l'organisation « Sleeping Giants » mobilise les annonceurs pour assécher financièrement les relais de la haine en ligne. Dans le cas qui nous préoccupe, je désire secrètement le même engouement de la part de mes confrères, femmes et hommes travaillant en agence, comme de nos organisations professionnelles (Syntec RP, AACC, UDECAM...). De Kant à Bourdieu en passant par Habermas, quels qu'aient été leurs griefs à propos du rôle des médias, et ils furent très sévères, aucun de ces immenses intellectuels n'auraient imaginé leur anéantissement de « L'Espace public ». A ce jour, un tel avenir se dessine si rien n'est fait !

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[1] Source : StatCounter, décembre 2019

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Commentaires 2
à écrit le 10/12/2019 à 16:55
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" A s'asseoir sur leur tas d'or, Facebook et Google vont sacrifier la santé économique des quelques grands médias encore en état de faire leur métier...." C'est une vue à court terme, si les médias libres des pays indépendants des USA disparaissen...

à écrit le 10/12/2019 à 16:03
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ah, encore quelqu un qui pensait que le lobbyisme sur les politiciens allaient sauver leur rente de situation. Un peu comme les moines copistes du DVD ... Pourtant iles avaient bien vu que plus personne n achete des DVD et que netflix fait un carton ...

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