Et si des citoyens étaient promus jurés de la Nation ?

Par Arno Pons  |   |  973  mots
Arno Pons, délégué général du think tank Digital New Deal Foundation et enseignant à Sciences Po. (Crédits : DR)
OPINION. À l'heure des réseaux sociaux, il semble inéluctable de laisser le peuple participer activement à la politique. Cela doit passer par une représentation « directe et continue » dans les institutions de la République. Et si nous inventions un jury populaire à l'Assemblée nationale ? Par Arno Pons, délégué général du think tank Digital New Deal Foundation et enseignant à Sciences Po.

Et si la révolte des "Gilets jaunes" était la nouvelle Révolution française ? Avec lnternet, comme en 1789, notre accès au savoir et donc au pouvoir bouleverse les équilibres, remet en question les institutions, et soulève dans le peuple une soif de démocratie plus directe. La Révolution française avait été le résultat du mouvement des Lumières, une contre-culture qui eut pour conséquence un plus grand accès et partage de la connaissance comme l'illustrait l'Encyclopédie, ancêtre de wikipedia...

Ce bouleversement du monde des idées avait impliqué la critique de l'organisation sociale, hier l'anticléricalisme, aujourd'hui l'anticorporatisme. Dans les deux cas, c'est la remise en question des élites pour un nouveau système démocratique. Et cette fois-ci le terreau de la révolte ne se joue pas dans les salons bourgeois mais sur Facebook par les classes populaires et moyennes, au vu et au su de tous.

Composer avec la mobilisation politique sur le net

Car loin d'être uniquement des mouvements de contestation, expression d'une forme de révolte ou d'opposition parfois stérile - que la classe politique toise comme une forme d'anarchie -, la mobilisation politique sur le net se construit progressivement. Rien ne sert de vouloir lutter contre ce phénomène, il faut au contraire composer avec. La classe politique doit prendre conscience de cette menace de voir l'État ainsi contesté au point de potentiellement ébranler les fondements de la République.

À l'heure des réseaux sociaux, il semble inéluctable de laisser le peuple participer activement à la politique, sinon celui-ci redevient une foule apolitique qui se tournera vers des raccourcis populistes hasardeux.

L'enjeu est donc de faire de la démocratie d'opinion un facteur de modernisation de la démocratie représentative et non pas un facteur de déstabilisation en devenant ce que Pierre Rosanvallon appelle « une forme politique à part entière anti-démocratique ».

Redonner de la légitimité aux corps intermédiaires en introduisant une dose de démocratie participative

L'urgence à y parvenir est grande. D'abord parce que notre système politique craque de partout. Mais également car il prend des formes exponentielles : plus une population se connecte sur Internet, plus elle se déconnecte de ses élites. En fait, il n'est pas exagéré de considérer que la défiance aux institutions est proportionnelle au taux de pénétration des nouvelles technologies, comme ce fut le cas en 1789 avec l'accès aux écrits des philosophes des Lumières.

L'État doit accepter que cette attente de coopération et de dialogue soit intégrée au sein de ses institutions pour ne pas alimenter les formes de défiances extérieures au système. Et cela doit se traduire concrètement à travers une représentation « directe et continue » dans les institutions de la République car l'expression démocratique bouillonnante sur le net cherche à s'inscrire dans le paysage politique national.

L'objectif n'étant surtout pas de remettre en question les fondements de la Ve République, mais à l'inverse de les consolider en utilisant Internet comme ciment pour garantir la vision durkheimienne de notre société selon laquelle il est nécessaire de faire vivre des « corps secondaires territoriaux ou corporatifs entre la population et l'État de manière à empêcher à la multitude d'imposer sa volonté à l'État, tout en la protégeant contre l'attitude oppressive de ce dernier ». L'enjeu consiste donc à redonner de la légitimité à nos corps intermédiaires en introduisant une dose de démocratie participative sinon ils seront de plus en plus contournés, jusqu'au point fatidique de se voir un jour « désintermédiés ».

Inventer l'équivalent d'un jury populaire à l'Assemblée nationale

Cette démocratie collaborative n'aurait que force à tirer si elle pouvait se régénérer non seulement au travers des échéances électorales qui rythment la vie politique, mais de manière ininterrompue en aménageant la possibilité d'une « démocratie continue », une République où le lien entre gouvernés et gouvernants ne se vivrait pas par éclipses, tous les 5 ans. Comme l'expliquait Emmanuel Macron lors de son allocution du 10 décembre, nous vivons un moment historique, et nous devons imaginer une République où « chacun aura sa part dans les débats y compris même les citoyens n'appartenant pas à des partis ».

Pour répondre concrètement à cette ambition présidentielle, nous pouvons nous inspirer de notre histoire en regardant de plus près 1789. Une des grandes victoires de la Révolution française pour le peuple fut les deux grandes lois de 1790 et 1791 qui balayèrent la justice de l'Ancien Régime. La nouvelle organisation judiciaire mit en œuvre le principe selon lequel la seule légitimité qui vaille fut celle du peuple. La décision qui symbolisa l'accès à cette démocratie judiciaire fut l'instauration des jurés populaires dans les cours d'assises. N'est-ce pas une idée à adapter à notre crise démocratique ? Et si nous inventions en 2018 l'équivalent d'un jury populaire à l'Assemblée nationale pour assoir la légitimité des élus et ainsi impliquer le peuple français aux décisions qui sont prises en son nom ?

Ces jurés, sortes de « community manager » de la nation, seraient invités à co-produire l'intérêt général et à partager leur expérience sur les réseaux sociaux pour que le plus grand nombre soit associé au pouvoir populaire. Après tout, Emmanuel Macron avait intitulé son livre programme "Révolution". Faisons preuve d'ouverture et d'imagination pour que sa prophétie se fasse avec et non pas contre lui...

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Pétition pour "Un jury populaire à l'Assemblée nationale" : https://www.change.org/p/emmanuel-macron-un-jury-populaire-a-l-assemblee-nationale

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Par Arno Pons, délégué général du think tank Digital New Deal Foundation et enseignant à Sciences Po.